PAUL MARQUES DUARTE : Jeter l'encre chaque jour


Paul-Berlin

Après Jeter l’ancre un seul jour, Paul Marques-Duarte, auteur/réalisateur, et Thomas Guentch, son producteur, portent ensemble le projet d’un prochain film : BARBETTE.

Un film qui chemine, d’une résidence au Groupe Ouest, à la lecture des Scénarios Vivants de Paris Courts Devant, en passant par l’Arbre et l’European Short Pitch, jusqu’au premier prix du concours de scénario du Festival du Cinéma Européen de Lille… en attendant d’autres belles nouvelles.

L’occasion d’aller à leur rencontre, et faire plus ample connaissance.


Films en Bretagne : Pour commencer, pouvez-vous nous raconter vos parcours respectifs, comment vous arrivez dans « votre histoire de cinéma », chacun de votre côté, et comment vous vous rencontrez ?

Paul MARQUES-DUARTE : Mon envie de cinéma remonte à il y a très longtemps. Je ne viens pas vraiment d’un milieu artistique, mais mes parents ont monté une compagnie de théâtre quand j’étais enfant. Du coup, les voir diriger des comédiens et se diriger eux-mêmes, ça m’a beaucoup plu. Mon père m’emmenait aussi au cinéma tous les dimanches. Il y a eu cette espèce d’étincelle, à 12 ans : en voyant tous ces noms dans les génériques, ces gens qui travaillaient sur les films, je me disais « ça doit être incroyable de faire ça, j’ai trop envie de le faire ! ». Et puis j’ai embarqué le caméscope familial, les amis et mon petit frère… Et tout le week-end je tournais des petits films. Je me suis rendu compte que ça me plaisait beaucoup et j’ai fini par dire à mes parents : « voilà c’est ça que je veux faire plus tard ». C’est à peu près à cette époque-là que j’ai rencontré Thomas, vers 15 ans. Je faisais plein – plein, plein – de courts-métrages, j’en sortais un par mois, et puis un de ces films a été présenté au Festival des Films de l’Ouest qui existait depuis deux ans.

Films en Bretagne : C’était en quelle année ça ?

Paul MD : C’était en 2011. Cette sélection de festival m’a permis de rencontrer des professionnels de la région, Thomas, mais aussi d’autres personnes. Cela m’a permis aussi de me rendre compte que le cinéma en région existait, et qu’il y avait peut-être une place pour moi. C’est très vite devenu une obsession ! Pas de rentrer dans le milieu professionnel, mais de faire des films, tout simplement : j’en ai tourné à la pelle, qui, pour la plupart, n’étaient pas très aboutis. Mais ça m’a permis de tester énormément de choses, des genres différents, des formats différents. Thomas en parle souvent, quand on évoque cette période, comme mes exercices de style ! J’avais testé la comédie, le drame, etc.

Films en Bretagne : « Je me suis dit que j’avais peut-être ma place là-dedans »… Tu peux en dire un peu plus ?

Paul MD : Il y a d’abord les festivals… Je me souviens qu’à 15 ans, montrer mon film en festival, ça m’avait fait vraiment quelque chose. Après, il y aussi des rencontres importantes. Il y a eu Jean-Claude Rozec, que j’avais d’ailleurs rencontré pour Films en Bretagne parce qu’il écrivait un article sur mes petits films. Lorsqu’il m’a parlé de lui et de son travail de cinéaste en région, j’ai réalisé que c’était possible. Il y avait déjà eu la rencontre avec Thomas, qui était producteur en région, deux ans auparavant. Tout me semblait progressivement « apparaître » autour de moi, alors que j’avais impression que ça n’existait qu’ailleurs. Finalement, tous ces courts-métrages autoproduits, ça a été mon école de cinéma, ma façon de chercher ce que je voulais filmer, comment je voulais le filmer.
Et j’ai continué après le bac. Je n’avais pas les moyens d’entrer dans une école privée de cinéma mais j’étais persuadé que la FAC était une grande école de cinéma… Arrivé là-bas, déception forcément… même si j’ai tiré plein choses intéressantes de l’enseignement théorique. Mais, honnêtement, je n’ai pas véritablement été studieux, plutôt absent… pour faire des films, puis un service civique dans l’association d’éducation à l’image Libero.

Films en Bretagne : Une façon d’être « studieux », néanmoins ?

Paul MD : Peut-être… Du coup j’en ai profité pour poursuivre la collaboration avec Thomas, dans la production associative, pour continuer à faire des films… J’ai moi-même fondé une association qui s’appelle Black Sheep, « le mouton noir », qui a très vite réuni une cinquantaine de jeunes gens comme moi à Rennes. Nous avions tous une envie mordante de faire des films. C’était une période assez incroyable au fond. Nous tournions tout le temps, ensemble, et à tour de rôle… Un cinéma assez généreux, collectif. C’était une époque formidable qui a nourri mon envie de cinéma. Nous ne nous posions aucune question quant à notre légitimité. Alors que c’est une question que je me pose beaucoup aujourd’hui… Même si Jeter l’ancre un seul jour est un film très produit et très carré, c’est cette énergie adolescente, généreuse, collective, que j’avais envie de retrouver. Ces moments où l’on se met tous ensemble autour de la caméra et on essaye de faire un truc !

Au moment où s’est posée la question du « premier film produit », et cela faisait un moment qu’on en parlait avec Thomas, je sortais d’un engagement associatif à Calais avec ma famille. On avait accompagné un jeune migrant pendant 5/6 mois… Du coup, j’avais envie de parler de cela et j’ai testé plusieurs idées. Thomas m’a alors présenté Blandine JET, la scénariste, à qui j’ai pitché mes petites idées, puis nous nous sommes lancés ensemble dans l’écriture.

Films en Bretagne : « Studieux », encore ? On dirait que tu trouves l’inspiration dans tout ce que tu fais « à côté » du cinéma, tes engagements associatifs, dans l’enseignement aussi… Au contraire de te disperser, tu y puises la matière ?

Paul MD : Carrément ! Même s’il faut préciser que je ne suis pas quelqu’un de si engagé que ça. Calais, ça s’est fait parce que des amis cinéastes m’ont invité à tourner. Mais sur place je me suis retrouvé incapable de tourner dans la jungle de Calais. Ce n’était pas mon rôle. Ce n’était pas ma place. Je n’ai rien d’un documentariste. Au final, c’est devenu un engagement humain qui n’avait rien à voir avec le cinéma. Le retour au cinéma avec cette histoire, c’est ce que cela a nourri : Jeter l’ancre un seul jour. Le film parle de migration, mais ce n’est pas un film militant à proprement parler. Grâce notamment à la rencontre avec Blandine, je suis revenu à un désir de cinéma, de décors, de narration – qui intègre la migration, mais qui n’est pas un film militant.

Avec Barbette, c’est différent. Il y a mon évolution dans la communauté LGBT, qui était déjà un peu présente à l’époque, mais que je n’osais pas traiter dans mes films, c’était un peu caché… Aujourd’hui c’est quelque chose que je défends beaucoup plus, et j’en parle beaucoup dans la note d’intention de Barbette : il y a l‘idée de me raconter en racontant le personnage de Barbette, de raconter les histoires que j’aurais aimées entendre lorsque j’étais adolescent – je crois que je dénonce ça aussi, parce que ça me touche particulièrement aujourd’hui… j’aurais aimé voir une présentation de ce film en tant qu’adolescent, ça m’aurait éclairé sur le monde, sur les choses de la vie.

Je ne suis pas dispersé, mais j’ai toujours besoin de faire plein de choses… de lutter contre la solitude… c’est un truc que je découvre ! J’ai commencé dans le cinéma associatif, collectif. Aujourd’hui, mon métier est beaucoup plus « solitaire » que je ne l’envisageais : l’écriture c’est très solitaire, la prépa est très solitaire, la période du financement est très solitaire. Donner des interventions en milieu scolaire, m’engager dans des associations, me redonne l’énergie – je suis plus porté par l‘énergie des autres.

Thomas GUENTCH : J’ai sans doute ce point commun avec Paul qui a commencé sans se poser de questions, ou se penser réalisateur de carrière, avant de devenir cinéaste. J’ai monté une structure de production avant même de savoir ce qu‘était le travail du producteur : j’avais 20 ans, je venais de commencer une école de cinéma, j’ai très tôt eu cette envie de m’intéresser aux visions des autres, des scénaristes, des réalisateurs. Alors, on a monté cette société de production, 5J Productions, qui ressemblait un peu à une association. Nous étions un collectif de jeunes producteurs, scénaristes, réalisateurs, et techniciens… Je pense d’abord avoir tout fait, tout essayé, pour rapidement éliminer ce que je n’avais pas envie de faire, comme la publicité. Et très vite, notre petite équipe s’est attelée à la production d’un premier court-métrage de Jonathan MILLET, production en mode guérilla si on peut dire, assez expérimentale. Nous n’avions pas forcément beaucoup de fonds publics pour produire Old Love Desert, mais nous regorgions d’énergie pour multiplier les possibilités et les alternatives : nous nous sommes retrouvés dans le désert de Ouarzazate avec deux comédiens – Micha LESCOT et Alice BUTAUD -, pour faire un film en pellicule… L’ambition d’un cinéma qui nous amène ailleurs – aussi bien en termes de lieu, qu’en termes d’esthétique et de narration – était là. C’est là que j’ai peut-être vraiment trouvé les premières réponses.

Comme pour la réalisation, la production se conçoit, se précise en faisant. Et comme il n’y a pas véritablement d’école qui apprenne à réaliser, à écrire, il n’y a pas d’école qui apprenne à produire un film. J’ai le sentiment pour chaque projet, pour chaque film, de redécouvrir mon métier et de le préciser, de m’en approcher et de remettre en question mes pratiques. Old love desert a confirmé une voie, j’ai eu envie de continuer à accompagner des auteurs et des autrices vers l’aboutissement de leurs projets. D’un film, l’autre, j’ai continué à faire des films avec Jonathan MILLET, toujours en pellicule, et cette fois en Bretagne… petit à petit avec les chaines de télévision, avec d’autres fonds… des films que l’on a accompagnés ensuite en festival.

On est dans une « industrie de prototype » : chaque rencontre avec un cinéaste, chaque film, est une redécouverte du métier ! Old love désert nous a amenés vers un autre projet, de long-métrage, toujours au Maroc : Headbang Lulaby  d’Hicham LASRI. C’était le premier long-métrage que nous produisions, nous avons la chance d’être montrés dans la section Panorama de la Berlinale en 2017. On me demande parfois quelle est la ligne éditoriale de notre société, mais je dois dire que je me méfie de l’idée de ligne éditoriale. J’essaye au contraire de m’en écarter, avec l’idée que chaque projet, chaque rencontre va m’emmener – de façon un peu aléatoire et un peu prévisible aussi – vers d’autres types de projets, d’autres types de cinéastes… Une collaboration se poursuit dans le temps, amène un projet, puis un autre… comme c’est le cas avec Paul. D’autres films amènent vers d’autres territoires et amènent à initier des coproductions avec un même pays – on travaille beaucoup avec le Maroc par exemple… Ce sont ces rencontres, ces imprévus, qui font que mon métier me passionne.

Films en Bretagne : Tu te défends d’une ligne éditoriale, mais on trouve tout de même un fil conducteur, celui des « fidélités ». Notamment avec Paul…

Thomas G : Blue Hour Films n’a pas de ligne éditoriale en termes de genres des films, ou en termes d’histoires, mais Blue Hour a des collaborations suivies. En d’autres mots, on produit autant des cinéastes qu’on produit des films. Il faut imaginer que l’on passe énormément de temps à discuter avec les auteurs avant de produire un film : on fait partie de l’intimité de leurs histoires, c’est de l’ordre de l’intime, de la confiance – c’est une fois qu’on trouve des points de rencontre qu’on décide de faire un film ensemble, quand notre vision est convergente, que la confiance est là… On se connaît assez pour avoir envie d’avancer et de faire un bout de chemin ensemble. Dans le cas présent, il y a aussi cette idée de « grandir ensemble », en faisant effectivement des premiers films en commun. Avec Paul, nous avions commencé en même temps, nous sommes allés ensuite vers d’autres formats en faisant notre chemin ensemble. Et je pense que tant qu’il y aura cette confiance et cette vision partagée, on continuera ensemble.

Films en Bretagne : « Grandir ensemble », du point de vue d’une structure, à coté ou en accompagnement d’un auteur, il peut y avoir une évidence… mais qu’un auteur décide de grandir aux côtés « d’un producteur qui grandit en même temps que lui », c’est peut-être moins évident. Paul, tu viens de l’associatif, et tu étais dans cette énergie de faire plein de films, ce parcours initiatique commun est-il aussi pour toi comme une « école de la discipline » et/ou « un exercice de concentration » ?

Paul MD : Je suis tout à fait d’accord ! En plus le milieu associatif, je l’ai connu peu de temps avant de rencontrer Thomas – une des premières associations dans laquelle je me suis engagé avant d’en créer une c’était Libero, que Thomas menait avec d’autres… la découverte de l’esprit associatif, du collectif, ça m’a plu. J’avais quinze ans à l’époque : c’est un âge où on se construit, je me suis aussi beaucoup construit avec Thomas à ce moment-là. Je lui envoyais déjà des scénarios que je voulais faire produire. Il me faisait des retours – ce n’était pas les bons scénarios ! – mais il travaillait déjà dessus comme un producteur, il me faisait des retours d’écriture. Je les tournais dans mon coin, mais il y a un des films dont il a assuré toute la postproduction. Lorsque je me suis lancé dans un premier film produit, ça coulait de source ! Même du temps où j’étais à Calais, Thomas était devenu un ami – et c’est toujours un ami… Cela n’avait pas grand-chose à voir avec le cinéma mais Thomas était là, il m’accompagnait.

Films en Bretagne : Comme quoi, Films en Bretagne a beau regrouper des professionnels, qui sont amenés à se côtoyer… on ne connaît pas toujours la genèse de leurs parcours !

Paul MD : Il y en a de nombreux jeunes professionnels un peu partout – ils ne sont tous réalisateurs – qui sont passés par la case Libero. C’était fou cette époque ! La chose importante pour moi – parce que je pense qu’en tant que réalisateur, j’ai besoin d’être guidé -, c’est que je m’éparpille parfois dans les idées pour un prochain film. Alors, pour prendre une « métaphore bretonne », Thomas est un peu le « phare pour m’éclairer ». Régulièrement je l’appelle et je lui dis : « J’ai cette idée-là, j’aimerais faire un film qui parle un peu de ça… ». Nos discussions me font avancer alors qu’il y a quelque chose de tellement solitaire dans ce travail. C’est aussi lui qui me guide face à toutes les questions que je me pose maintenant vis-à-vis de ma légitimité.

Films en Bretagne : Pourquoi ces questions de légitimité que tu te poses maintenant et que tu ne te posais pas avant ?

Paul MD : J’ai l’impression qu’aujourd’hui c’est « le plus dur ». Avant, je faisais plein de films, ce qui me donnait l’impression d’être « réalisateur ». Maintenant, j’ose moins… écrire, notamment… Le truc de devenir officiellement « cinéaste », d’avoir peur de ne pas l’être vraiment, ou de ne pas faire LES bons films.

Par exemple, Barbette ça a et très long. Entre Jeter l’ancre un seul jour et Barbette, quatre années passent ! Pourtant, quand j’ai parlé de Barbette à Thomas, nous finissions la post-production du film précédent. Cela fait très longtemps que je porte Barbette, mais j’avais peur. J’avais l‘impression de ne pas être capable de mener ce projet, de ne pas être capable de l’écrire. Et puis, je suis rentré dans la « vie active », avec le travail pour faire un peu de sous – j’avais commencé à travailler dans la pub. Cela me permettait de gagner un peu d’argent, mais ce travail prend malheureusement parfois le dessus. Thomas a vraiment été là, il m’a souvent relancé sur ce projet. Je me souviens d’une très longue discussion au Festival de Douarnenez, c’est là que l’histoire a commencé, mais il m’a fallu encore huit mois pour oser me lancer dans l’écriture, quand bien même avoir auprès de moi quelqu’un qui « achète » ou qui adhère au projet, comme un premier spectateur, m’aide énormément.

Films en Bretagne : Avec « Jeter l’ancre un seul jour », tu passes en quelque sorte du parcours à la carrière. Il est vrai que France 2 et un nombre incalculable de sélections en festival, c’est beaucoup de pression pour le film suivant…

Thomas G : 90 festivals je crois ! Après, il faut se dire aussi que notre amitié est plus longue que notre collaboration… Souvent c’est plutôt l’inverse. Effectivement, nous avons travaillé dans l’associatif ensemble, Paul était en service civique dans mon association, je l’ai aiguillé, comme il le disait, sur ses premiers films autoproduits. Des films qu’il lançait de façon très libre, je ne faisais que regarder avec attention son évolution. Et je pense que nous avons sans doute fait le bon choix en attendant LE BON FILM pour véritablement démarrer ensemble, en trio avec Blandine JET.

Films en Bretagne : Nous évoquons « Barbette » depuis le début de cet entretien… Cela pourrait être intéressant que, chacun de vous, à sa manière, pitch le projet pour nos lecteurs…

Paul MD : Je dois me remettre dans le bain du pitch… mais : Barbette raconte les derniers jours de la carrière d’un trapéziste qui s’appelait Barbette, et qui a vraiment existé dans les années 20/30 en France. Il a eu une carrière assez immense. Il se travestissait en femme durant son numéro, et finissait tous ses numéros en arrachant sa perruque. Le public découvrait alors stupéfait qu’il s’agissait d’un homme.

Barbette – Photo Man Ray 1923

Quand j’ai découvert ce personnage, ce qui ma intéressé au fil de mes recherches documentaires, c’est la période vide, le creux historique… la période durant laquelle il a disparu dans des cirques itinérants en région. Les dernières traces ou articles que l’on retrouve sur lui concernent les années qui suivent, le jour de sa chute qui a mis fin à sa carrière. Assez vite, j’ai choisi de « cibler » ce vide documentaire. Pour moi, c’était dans ce vide documentaire que pouvait naître la fiction, qu’on pouvait imaginer. Par ailleurs, c’est également ce moment-là qui, pour moi, cristallise l’enjeu le plus intéressant du personnage : pourquoi fait-il cela, pourquoi continue-t-il alors qu’il est physiquement cassé… Il a 40 ans à ce moment-là, et on sait qu’il est atteint de la Polio. Il aurait dû arrêter son numéro… Pourquoi se produit-il dans de petits cirques itinérants miteux, alors qu’il vient du music-hall, qu’il a derrière lui une carrière immense ? Pourquoi prend-il chaque soir le risque de tomber ? Parce que Barbette est une femme, en fait. Il est le personnage de femme sur son trapèze. Dire adieu au numéro, c’est dire adieu à ce qu’il n’a pas le droit d’être en dehors du cirque. C’est dire adieu à ce qu’il est vraiment.

J’ai très vite voulu raconter cette histoire-là, et y mettre aussi beaucoup de moi-même. Je ramène Babette chez moi, en Bretagne, avec des personnages qui me sont assez proches… J’ai par exemple fait naitre un personnage, qui s’appelle Jean, et qui est ma façon de raconter Barbette. Ce jeune journaliste qui l’approche, c’est un peu de moi !

Barbette, je ne l’ai pas rencontré nulle part. En lisant Cocteau, j’ai trouvé un article où il parle de Barbette… Et j’ai découvert quelque chose que je ne connaissais pas, en me demandant pourquoi je ne connaissais pas, et pourquoi personne autour de moi n’avait connaissance de cela. Puis j’ai cherché. Au fur et à mesure de mes recherches, j’ai fini par trouver des centaines et des centaines d’articles de l’époque – je me suis rendu compte qu’il était aussi connu que Joséphine Baker. Mais, il a disparu, il a été effacé de l’histoire. Du coup, je me suis fixé comme mission de réhabiliter Barbette. Comme je le disais tout à l’heure, cette histoire-là, j’aurais tellement aimé qu’on me la raconte… Si personne ne la raconte, je vais la raconter !

Thomas G : Pour moi, Barbette est effectivement l’histoire d’une femme qui, dès qu’elle s’arrête de danser dans les airs, qu’elle arrête de faire son numéro, meurt. C’est là toute la tragédie. Le film converge vers cette tragédie, et il y a à la fois beaucoup de désespoir et beaucoup de poésie, beaucoup de paillettes et beaucoup de grâce. C’est ce qui m’a passionné, ce qui m’a donné envie de le défendre corps et âme.

Barbette est un projet avec lequel Paul a vécu des années durant, avant d’écrire la moindre ligne, avant de pouvoir même écrire la moindre ligne. Notre duo, tel qu’il était déjà constitué, est déterminant dans la genèse… Paul sortait d’un film écrit à 4 mains, Paul est un jeune scénariste/réalisateur. Je crois ne pas mentir en disant qu’il a d’abord eu une longue période de doute et de réflexion. Et je n’ai pas cessé de dire à Paul que j’avais l’intime conviction qu’il était celui qui devait écrire le film, tout seul. Parce qu’il est celui qui connait le mieux Barbette. Parce qu’il voit Barbette comme personne d’autre ne peut le voir. Ce film n’a rien d’une biographie… Paul s’empare d’un vide documentaire pour proposer une vision de Barbette, mais aussi une vision du monde, sa propre vision de cette histoire. C’est pour moi ce qui fait la force de ce scénario de fiction.

Paul MD : Il faut préciser que Jeter l’ancre un seul jour a été une aventure fabuleuse, mais aussi assez violente. Je venais du film autoproduit : j’écrivais, je tournais, le désir de film restait vivant. Quelle expérience étrange, avec Jeter l’ancre un seul jour, malgré beaucoup de soutiens, que celle de la longue période de financement, ce temps d’attente qui a été très dur à vire pour moi. J’avais 19 ans, j’avais envie de faire ce film, je ne comprenais pas pourquoi on attendait. Plus tard, il y a pas mal d’aventures sur la prépa, en tournage… Jusqu’à ce que le film soit effectivement montré ! Parce qu’avant d’avoir sa grande carrière en festival, le film a essuyé beaucoup de refus. Et si certains des premiers retours en région ont été très positifs, d’autres ont été assez violents, un truc auquel je ne m’attendais pas, auquel je n’étais pas préparé… Aujourd’hui je l’ai accepté.

Tous ces moments de violence ont fait que, quand je suis sorti de Jeter l’ancre un seul jour, j’étais essoufflé…

Barbette est arrivé petit à petit, parce que j’ai mis du temps à me dire que j’étais capable de me lancer dans un autre film, que je n’avais pas envie de retourner à ce long circuit de commissions qui prend trois ans. Maintenant que nous sommes dedans, je me rends compte que c’est encore plus long cette fois-ci !

Films en Bretagne : Avec des rebondissements, si on peut dire…

Paul MD : Oui. L’écriture de Barbette est une histoire de reconquête… En plusieurs étapes : La première, grâce à l’Arbre, alors que je m’étais quelque peu isolé à Paris en travaillant dans la publicité. Grâce à l’Arbre, et à l’atelier « C’est quoi ton histoire ? », en présentant un premier pitch – qui était encore très fragile -, je suis revenu dans une énergie collective, entre cinéastes… et ça m’a fait vraiment beaucoup de bien qu’on m’encourage à développer mon histoire. C’est aussi pendant cet atelier que l’on m’a encouragé à répondre à un appel à projets du Groupe Ouest… C’était en plein confinement, un moment où j’ai tout arrêté, y compris la pub, pour prendre le temps d’écrire, reprendre confiance dans l’écriture, retrouver le plaisir d’écrire, aussi. Et puis les retours positifs sur ce travail, et quelques prix, sont arrivés comme des récompenses, qui font plaisir, d’autant plus que cela reste rare sur des scénarios.

Thomas G : Outre les récompenses ou les sélections, quelque chose d’important. On a souvent l’image de l’auteur qui écrit seul, on imagine cela comme une expérience solitaire. Si ça l’est en partie, on n’a jamais autant besoin d’altérité et d’être entouré qu’à ce moment-là, lorsqu’on écrit ! Et que l’on soit dans un extrême manque de confiance en soi, ou au contraire dans un excès de confiance en soi, c’est toujours bon d’être confronté à l’autre, à celui qui vient bousculer le projet, nous remettre dans le droit chemin parfois, ou au contraire nous faire explorer d’autres voies qui nous permettent finalement de « mieux » choisir le chemin.
Et, ça, je crois que ça nous a été très bénéfique, au film, à Paul et moi-même, que de passer par ces temps collectifs – que ce soit l’Arbre, le Groupe Ouest, ou encore aux autres workshops. Par exemple, à l’European Short Pitch, en dehors du « pitch » proprement dit, il y a également tout un travail de workshop avec des auteurs et des autrices, des coachs, des retours sur scénario. On est dans une « écriture accompagnée », avec les mains constamment dans le projet, que l’on retourne dans tous les sens. Alors, il s’agit de ne pas se perdre dans ce travail. Mais je crois que Paul avait son cap.

Et puis la sélection de Paris Court Devant, avec la lecture du scénario par des comédiennes et des comédiens, en public, devant France Télévisions… cela a marqué un temps. Paul a vu son film mis en son et en espace. Pour un film en écriture, ça nourrit le projet, ça nourrit l’écriture des dialogues. Cela fait bouger le projet et celui qui l’écrit.

Paul MD : C’est vrai que c’était assez fou… Parce que le scénario papier, que j’avais porté tout seul, prenait vie, mais sans que les réalisateurs ne puissent influer sur la mise en scène. Ça s’est fait littéralement sans nous, et on redécouvrait le scénario, avec le plaisir de voir que ça marchait pas mal, quand même ! C’est vrai qu’au bout d’un moment, dans le processus d’écriture, on oublie, on a produit une multitude de version. Le Groupe Ouest m’a particulièrement « retourné la tête », dans le bon sens certes, mais ça a été une expérience intense. Avec Paris Court Devant, je me suis assis, pour devenir spectateur de mon propre film. Ça fait du bien.

Ce processus collectif, on en avait déjà fait l’expérience avec beaucoup de projections de montage de Jeter l’ancre… – on est bousculé, mais on se nourrit des avis des autres, souvent de pistes qu’on nous donne et qui sont précisément ce que l’on n’a pas envie de faire… On sort de la solitude de l’écriture. J’ai écrit seul, sans être véritablement seul. Et je crois qu’il faut insister sur l’importance de cultiver, dans notre région, ces endroits-là – les résidences, les événements de lectures de scénarios (c’est d’ailleurs assez simple à organiser, et il n’y en a pas assez !) -, ces endroits de partage des films alors qu’ils ne sont pas encore là. Ce sont des étapes importantes et intéressantes.

L’autre aventure heureuse qu’on a traversé avec Barbette est le prix qui nous a permis d’être publiés aux éditions de l’Harmatan. Barbette, c’est déjà un livre en librairies, avant que le film ne soit véritablement là.

Films en Bretagne : Le scénario de « Barbette » est passé par le Groupe Ouest, l’European Short Pitch, il remporte des prix et a même été édité à l’Harmatan… Aujourd’hui, vous en êtes où du développement ?

Thomas G : Nous sommes dans l’attente de plusieurs réponses pour engager le financement, on ne peut pas en dire plus pour l’instant… Nous pouvons néanmoins dire que l’on a trouvé notre coproducteur belge White Boat à l’European Short Pitch. Delphine DUEZ a en effet rejoint le projet à cette occasion… Parce que ce n’est pas inintéressant de parler des fruits de ces workshops axés co-production européenne. Le Danemark, ce n’est pas sûr pour l’instant, mais c’est une hypothèse ouverte.

Films en Bretagne : Tu as intégré le principe de coproduire au niveau européen même sur les courts-métrages ? A l’image du film « Les Silencieux » que Blue Hour a en production actuellement…

Thomas G : Oui je tends à la coproduction européenne dès que possible. Sur Les Silencieux, il s’agit d’une grosse coproduction francophone entre la Suisse, la Belgique et la France. Les bienfaits ou les avantages de la coproduction : davantage de financement et cela booste la diffusion de l’œuvre dans les pays partenaires.

Sur Les Silencieux, que l’on vient de tourner à Loctudy, sont mobilisées cinq chaînes de télévisions (les trois chaînes locales bretonnes, la chaîne nationale belge RTBF, la chaine suisse RTS). Chaque producteur fait un travail sur son territoire pour diffuser l’œuvre, auprès des télévisions, mais également auprès des festivals des trois pays coproducteurs, et à travers les festivals de ces trois pays… L’oeuvre circulera davantage, et cela ouvre de nouvelles perspectives dans chaque pays, comme les Magritte en Belgique ou les Quartz en Suisse. 

L’autre intérêt, c’est qu’à l’image des duos auteur/producteur qui avancent ensemble, les partenaires en coproduction suivent parfois le même motif. On travaille entre jeunes productions dans d’autres pays européens, d’abord sur des courts-métrages, puis on a éventuellement envie d’aller avec eux sur des projets plus lourds, dans un sens comme dans l’autre. Avec une logique de réciprocité, en allant chercher un coproducteur belge en initiative française en étant majoritaire en France. Ce coproducteur viendra peut-être nous chercher ensuite en tant que minoritaire pour monter sur un projet belge.

Paul MD : Pour ma part, j’ai envie de bouger plus vite en ce moment. Cela fait un moment que je parle à Thomas de l’envie de tourner un film un peu plus libre, plus vite… J’ai envie (besoin) de retrouver un peu un « désir adolescent », de partir avec une idée, des comédiens, et tourner quelque chose : quelque chose et que je pourrais faire assez vite, et qui me permettrait de m’amuser en termes de réalisation. Nous réfléchissons actuellement aux éventuelles opportunités qui existent de financer un film très rapidement.

J’ai besoin de cela, parce que le temps passe, il se dilate entre deux films – on entrera en tournage de Barbette, au mieux en décembre de cette année, mais plus probablement en 2022. D’ici là, j’aimerais faire un autre film. On a la chance, en région, d’avoir des partenaires, des chaînes locales, qui nous ont souvent soutenus, et qu’on aimerait solliciter pour ce projet.

Thomas G : Les chaînes locales sont une vraie opportunité, malgré la dépendance du projet au fonds de soutien régional. Mais il y a des films qui – et nous sommes d’accord que ce n’est pas le cas de Barbette – peuvent se faire dans une énergie différente, qui sont pensés pour se faire dans une énergie différente.

Paul MD : C’est vrai ! Barbette, c’est un cirque, les années 30. C’est un film à produire, un court-métrage qui s’inscrit dans une forme d’industrie. Néanmoins, j’ai d’autres films en tête, qui peuvent se faire autrement, que je compte bien faire autrement. On oublie parfois que l’on sait « faire du court autrement », en faisant des choses chouettes… en même temps, les aides régionales au cinéma associatif, à une multitude de créateurs qui proposent des formes différentes, nous le rappelle souvent. Alors, il semblerait qu’ils ne m’aiment pas trop, mais, moi, je les aime bien ! Je les adore moi !

Films en Bretagne : Pour revenir à la production de « Barbette », lorsqu’on voit « Jetez l’ancre un seul jour », on est véritablement devant un film produit… par un producteur dont on ne doute pas qu’il sera capable de porter un projet lourd, et capable de monter un cirque.

Paul MD : C’est plus facile qu’un ferry… Parce que faire un film sur l‘immigration sur un ferry vers l’Angleterre, c’était aussi un pari !

Thomas G: Après le bateau (ou les bateaux !), le cirque, les lions, cela ne fait pas trop peur ! Pour l’anecdote, pour notre tournage en cours, l’équipe était hier soir sur un chalutier toute la nuit, pour tourner en mer une séquence où 300 kilos de poissons sont déversés sur le pont… avec un cadavre. Quand tu as mis ça en place, le lion, le trapèze, ça va…

Cela nous ramène à l’ambition que nous avions en commun, Paul et moi : une liberté d’écriture, mais une appétence pour des projets qui nous amènent dans une arène forte – un ferry, un cirque des années trente -, des films relativement coûteux, qui nécessitent d’être très produits… parce que sinon, tu ne les fais pas, tu ne peux PAS les faire. Jeter l’ancre en est un exemple, Barbette en est un autre.

Paul MARQUES- DUARTE : Pour la suite, je dois dire que j’aimerais beaucoup que Barbette puisse être développé en long. Avec Thomas, c’est là une des questions quant au projet d’après… Parce que le désir de travailler ensemble est là et toujours aussi vivace !

Propos recueillis par Franck Viallele 28 avril 2021