Patrice Elégoët : rock’n toys


Portrait P.E_©P.burguin
Patrice Elegoët ©P.burguin

Un jour de pluie en plein été, les Monts d’Arrée se laissent difficilement approcher. A la jonction de trois bourgs, il faut trouver un hameau, trois boites aux lettres, une maison, à côté un atelier, c’est là que vivent Patrice et Fanny, deux artisans de génie. L’un collectionne des jouets et compose de la musique, l’autre crée des costumes et des poupées déjantées, faites de dentelles et de matières récupérées. Les deux s’échangent leurs trésors et voyagent dans un univers égayé de poésie et de cris d’enfants. Cette fois, je rencontre Patrice pour discuter de musique à l’image. L’échange se déroule autour d’un décor de spectacle, une robe immense recouverte d’une centaine de poupées.

La fabrique à son

Il avait vingt ans, Tante Felipe était son premier groupe de Punk. « Je faisais de la flûte traversière. On utilisait des instruments classiques pour faire de la musique très énergique. En parallèle, j’avais envie de créer mes propres mélodies. En 2003, je commence à faire de la musique avec les instruments que j’ai sous la main comme un xylophone pour enfant. J’enregistre chez moi et je découvre les logiciels de montage son. Sous le nom de Chapi Chapo, je fabrique des disques que j’offre à Noël à ma famille. Ils plaisent bien et je me prends au jeu. Je cherche d’autres jouets chez Emmaüs et voilà comment je découvre le monde des Toys. »

Patrice fouille les greniers, dévalise le bon coin et fait des affaires avec les Américains. Il acquière plus de cinq cents jouets musicaux. Le Toy piano est le premier instrument auquel il s’attache. « Ce que m’inspire les jouets ? Leur beauté, leur naïveté, leurs fausses notes et leurs grincements. »

Un jour, alors qu’il fait du tri dans ses CD, il réécoute un album de CocoRosie. Il découvre qu’un de leurs morceaux l’a fortement influencé, on y entend un jouet reproduisant des cris d’animaux. C’est le déclic, Patrice, alias Chapi Chapo, s’attèle à la création d’un premier album, Chuchumuchu qui sort en 2009.

Itinéraires nomades

A cette époque, la principale activité de Patrice est la recherche et l’enseignement. En 2006, il publie une thèse (La musique et la chanson bretonne : de la tradition à la modernité), et enseigne la langue bretonne au collège et à la fac, jusqu’en 2011. Et puis la musique prend de plus en plus de place. « Je compose la musique seul et je fais appel à des chanteurs pour poser une ou deux voix sur mes compositions. J’ai fait quelques morceaux avec GaBlé ou Jason Lytle par exemple. En 2009, on me propose de faire des concerts et j’invite les copains pour jouer les instruments sur scène avec moi. Au début, on faisait du rock pour les grands avec des jouets, au bar La Bascule à Rennes. Les concerts s’enchaînent, on est content. Un jour, Anne Le Hénaff qui s’occupe du festival Travelling nous propose de créer un ciné-concert pour le jeune public à partir de film polonais d’animation des années soixante, en partenariat avec le forum des images. »

La petite fabrique de jouets est le titre de ce ciné-concert. Quatre films d’animations créés à partir d’origamis, de pâté à modeler et de dessins. Les quatre musiciens réunis par Patrice baignent dans les musiques populaires, composent ensemble et c’est un succès. Chapi Chapo présente La petite fabrique de jouets plus de 400 fois, en France et à l’étranger.

Après Travelling, c’est le Festival international du Film de la Rochelle qui leur commande un ciné-concert, toujours à partir de films polonais. « Cet été, nous partons jouer PoPoPolska! en Chine pendant trois semaines. Ce sera un PoPoPolska! de luxe puisqu’on y ajoute deux courts-métrages de la petite fabrique de jouets. Tout est organisé par L’Armada Productions qui a déjà fait tourner des musiciens en Chine. »

Ce n’est pas la première fois que Chapi Chapo va jouer pour les Chinois. Lorsque les musiciens sont allés montrer leur premier ciné-concert là-bas, les malles de jouets ont beaucoup plu. Les petits sifflets faisaient beaucoup rire les gens qui posaient avec les musiciens et leurs instruments. C’est aussi en Chine que le groupe découvre les grandes salles avec des jauges de mille à mille cinq cents personnes. « Notre spectacle le plus récent est une sieste musicale, Toutouig LaLa, que nous jouons dans de petits lieux, pour 30 personnes. »

Si le travail de Chapi Chapo est bien connu des programmateurs jeune public, il l’est moins d’un public rock. Pourtant, leur tout nouveau concert C’H est puissant, du genre rock qui décoiffe. Accompagnés de la chanteuse Tiny Feet, les copains de scène sont contents de jouer pour un public jusque 6 heures du matin dixit Tangi Simon, le bassiste. 

Parmi les autres musiques qui influencent Patrice, la musique folk des années quatre-vingt-dix et dans un registre bien connu du Cinéma, les compositions de Yann Tiersen. Patrice écoute aussi beaucoup de vinyles. L’homme qui se cache derrière sa barbe semble en connaitre un rayon sur la musique.

Et le cinéma ? « Je ne suis pas un gros consommateur d’images » confie Patrice à demi-mot. Lorsqu’il ne fait pas de musique, le musicien débonnaire aime se promener dans la nature. « Un jour de ballade, j’ai commencé à faire de la musique avec une scie musicale. Une chouette s’est mise à chanter. J’aimerais bien enregistrer quelque chose comme ça, un dialogue entre une scie et une chouette. Encore faut-il trouver une chouette qui aime la scie… »

Les petites musiques de pluie glissent sur la fenêtre. Patrice poursuit en expliquant que le dernier film qu’il a regardé est un documentaire sur la limace. « J’aime beaucoup la nature, en particulier l’agriculture intelligente. Et là, c’est un gars qui parle de limaces. Au bout d’une heure j’ai arrêté car ça devenait trop technique. »

Chez Patrice et Fanny, on ne trouvera pas de grandes théories sur la musique à l’image. Patrice compose de façon sensible, fabrique des mondes qui se racontent simplement. Il aime s’entourer et semble particulièrement habile pour donner de l’importance aux petites choses du quotidien.

Les petites musiques de pluie ©P.Burguin
Les petites musiques de pluie © Pauline Burguin

Poursuite

Plusieurs réalisateurs ont déjà décelé dans la musique de Patrice une forme de narration singulière qu’ils ont adoptée pour leur film. Patrice évoque le film L’angle mort de Florence Benoist pour lequel il a fait la musique, mais aussi son rôle de consultant en langue bretonne sur le tournage du dernier film de Mickaël Ragot, Clôture, et sa collaboration sur Suite Armoricaine de Pascale Breton. Dans son film, la cinéaste a adapté un morceau du dernier album du musicien.

Klet Beyer, le batteur de C’H et l’interprète principal dans le précédent film de Pascale Breton, Illumination, fait le lien. Alors en montage à Rennes, la cinéaste assiste à un concert de Chapi Chapo aux Champs libres, elle est très enthousiaste. Elle se procure le dernier album Robotank-z qui reste bloqué Piste n°10 : Poursuite. Elle imagine ce morceau au début de Suite Armoricaine et puis finalement il glissera vers la fin.

Pascale Breton convie Patrice Elégoët et Klet Beyer chez elle, dans une vieille maison avec de grosses poutres. Pour Suite Armoricaine, elle cherche un son brut, à un niveau sonore élevé, « sans la délicatesse habituelle avec laquelle on fait entrer de la musique dans un film. » Patrice et Klet ont pour mission de réenregistrer Poursuite avec un son de batterie plus rock que dans l’original, morceau rebaptisé La course pour le film.

Pourquoi Pascale Breton a-t-elle choisi la musique de Patrice, ce morceau en particulier et pas un autre ? « La musique de Patrice apportait à la fin du film une exultation enfantine qui soutenait le changement de ton de la narration. Cela pourrait sembler ironique, (le morceau finit tout de même avec des chœurs féminins), mais ça ne l’est pas parce que le morceau est pur, comme l’est la joie de partir vers le Finistère. Eric Duchamp (le compositeur principal) apportait la dimension mélancolique et amoureuse, toujours atteinte par le scepticisme, tandis que Patrice communique une croyance. Ce morceau, Poursuite, invite au départ, il fait basculer dans une féérie » explique la cinéaste.

Pour Patrice, la collaboration musicale avec Pascale Breton a été simple, il en retient surtout une belle rencontre. Ses incursions dans le Cinéma restent encore exceptionnelles, sa vie de scène l’occupe beaucoup dit-il. Mais il souhaite continuer à composer des musiques pour des films, prendre le temps d’échanger avec des réalisateurs.

Au sujet de Patrice Elégoët, le témoignage de Pascale Breton est limpide : « Il ne faut pas se laisser abuser par sa musique enfantine. Patrice est un musicien très savant, extrêmement structuré avec une grande précision dans les mots. Il a une vision très large de la musique et la capacité à créer une communauté, c’est un artiste. »

Pauline Burguin


Focus : Une Suite Armoricaine à plusieurs mains

Lorsque Pascale Breton commence à réfléchir à la musique de Suite Armoricaine, elle n’envisage pas de composition originale. Seuls les sons du film comme les rumeurs de l’Université, les sons de la ville puis de la campagne constituent la partition. Elle prévoit quelques morceaux «in» pour des moments précis du film. Little Red Hood Hit the floor, un morceau de Robert Wyatt ou Clockface de Siouxsie and the Banshees. Et puis d’autres morceaux se sont rajoutés en cours de montage comme La course.

Quand elle contacte Eric Duchamp, qui avait fait la musique sur Illumination, c’était pour « retendre les thèmes du film à un moment du montage où le film ressemblait trop à une créature de Frankenstein ». Eric Duchamp harmonise les tonalités des différents morceaux et propose de nouvelles compositions à la réalisatrice, comme Ion Moon ou Angoisse. En tant que compositeur principal, son rôle est d’assurer la cohérence du film sur le plan musical. C’est Miguel Constantino qui se charge d’enregistrer les musiques et de les mixer.

La construction de la musique de Suite Armoricaine a été un processus long et complexe, indissociable de la pensée globale du film. « La musique devait contribuer à cet état de réception un peu spécial et flottant que je souhaitais particulièrement alors que la plupart du temps on cherche à embarquer le spectateur dans «un train qui fonce dans la nuit» selon la célèbre expression de Truffaut