A Sérent, dans le Morbihan, des passionnés de cinéma documentaire organisent des projections de films et des ateliers de réalisation pour partager réflexions et émotions avec les habitants du territoire.
Il est 13h30, ce samedi de février, quand Régis Blanchard arrive au cinéma l’Iris à Questembert pour faire quelques essais de projection avant la séance prévue à 14h. Il dépose un carton de dvd à vendre, deux sacs de bouteilles de cidre, jus d’orange et petits gâteaux. « C’est plus convivial de terminer la rencontre autour d’un verre avant que chacun ne rentre chez soi ! ». La projection du jour montrera les films réalisés lors des ateliers cinéma organisés par l’association Les passeurs d’images et de sons entre mars et décembre 2012.
« L’association existe depuis 2005 », explique Régis Blanchard qui est un des co-fondateurs. « Elle a été créée à Sérent par un petit groupe de passionnés de cinéma dont quelques professionnels, réalisateurs et ingénieur du son. Au début, l’idée était de rapprocher le cinéma de là où nous habitions et de créer un échange, une rencontre, ce que nous appellerons par la suite le docu-débat ». Sérent se trouve à environ 20 km de l’Iris, le plus proche cinéma proposant ce type d’animation autour des films. Mais la motivation manque parfois quand, au cœur de l’hiver, il faut d’abord faire plus de 20 minutes de voiture avant de s’installer au chaud dans un fauteuil de velours rouge.
Le lancement des activités de l’association en 2005 sera timide, ou plutôt prudent. Seules deux projections par an sont organisées la première année. La première en janvier et la seconde en novembre, pour le Mois du film documentaire. Pourquoi le documentaire ? « Parce que ma femme, Françoise Bouard, et moi, venons de là. C’est notre métier. Mais aussi parce que nous voulions partager ce genre cinématographique sur le territoire, en développer une approche citoyenne. Il nous paraissait plus facile, plus évident de parler de ce que nous connaissions et aimions. A nos yeux, le cinéma documentaire est une démarche autant artistique que militante, qui questionne la société dans laquelle nous vivons. Il permet aussi de toucher à des questions, des problématiques locales, par exemple la ruralité, l’agriculture, l’aide à l’emploi. »
C’est d’ailleurs ce qui va mobiliser les spectateurs. Ces derniers se déplacent aux premières projections parce que le sujet leur parle. C’est le cas pour des films tels que L’eau, la terre et le paysan ou Avec Dédé, deux films de Christian Rouaud, Sans papiers ni crayons de Marie Borelli, Radio Lorraine Coeur d’acier d’Isabelle Cadière, Le grand Malentendu de Dominique Delattre, etc. « C’est de cette manière qu’on a réussi à fidéliser un public. Un sentiment de confiance est né, un réseau s’est petit à petit constitué. Et aujourd’hui, on est heureux de voir que ce public vient avant tout pour découvrir un film, peu importe le sujet qu’il traite. C’est ce qui s’est passé lors de notre séance du 20 janvier dernier où le film programmé était La domination masculine de Patric Jean, un film qui dénonce le machisme de nos sociétés patriarcales. Le public a répondu présent et est resté au débat qui a suivi la projection sur l’égalité entre hommes et femmes. C’est formidable ! ».
Passer à la pratique
Si l’association parvient à bien s’implanter sur le territoire, c’est aussi parce qu’elle propose à ses adhérents de participer activement au projet. Une fois par mois, une commission de programmation de dix personnes se réunit pour visionner des films et choisir les thèmes des projections à venir. De deux projections en 2005, l’association est passée à douze projections en 2012 avec près de 1150 entrées au total. Elle compte aujourd’hui une cinquantaine d’adhérents. En plus de cette programmation régulière et du Mois du film documentaire, un premier cycle de docu-débats a vu le jour en septembre dernier, intitulé tout simplement »Rural », un thème auquel ces activistes du cinéma sont profondément attachés et qui fait résonner à leurs oreilles d’autres sujets comme les traditions, les relations sociales, l’identité, la solidarité, la désertification.
L’autre clé de ce succès, c’est la mise en œuvre d’ateliers de réalisation que Régis et Françoise proposent depuis 2008 à un public vierge de toute expérience dans le domaine audiovisuel. Rodés à cet exercice depuis longtemps, ils ont animé de nombreux ateliers de commande comme, par exemple, celui proposé par le Conseil Général du Morbihan sur le RSA, que Régis mène actuellement à Ploermel, ou en 2007 avec des femmes victimes de violences conjugales à Nantes. Ou encore en 2011 avec des femmes en milieu rural, sur commande du Conseil Général de Loire Atlantique dans le Pays de Chateaubriant dont l’aboutissement fut la réalisation du film Les casquettes. « C’est une autre manière de partager notre passion, de fidéliser un public et de lier la pratique du cinéma au territoire. Nous invitons les cinéastes amateurs à réfléchir sur une thématique précise que nous fixons au préalable. »
La force de ce travail original réside dans le processus d’écriture sur lequel insiste Régis Blanchard. « Ce qui est important, c’est de faire découvrir les différentes étapes qu’implique la réalisation d’un film. L’écriture est primordiale et on ignore souvent qu’un film documentaire est lui aussi écrit à l’avance, même si le réel en décidera autrement le jour J. La manipulation de la caméra, des micros, l’apprentissage technique sont également importants mais secondaires dans ces ateliers. » Pour approfondir cette découverte de l’écriture documentaire, Les passeurs d’images et de sons n’hésitent pas à inviter des grands noms du cinéma comme Denis Gheerbrant, et organisent des leçons de cinéma autour de leurs films. En 2013, les ateliers qui ont débuté en mars se dérouleront jusqu’à décembre et porteront sur le thème »habiter ». Ils sont d’ores et déjà complets (au total vingt-quatre inscrits dont les âges varient entre 15 et 65 ans). L’association accueillera à cette occasion Christian Rouaud le 11 octobre pour présenter un de ses films puis le 12 octobre pour une rencontre en atelier.
En 2012, les dix-sept cinéastes en herbe ont abordé chacun à leur manière le thème »Vies réelles, vies rêvées ». Au final, douze portraits d’habitants du Pays de Questembert, du Val d’Oust et de Lanvaux sont réalisés. Les récits de vies ainsi collectés forment une cartographie sociale sensible et sobre d’un territoire rural en pleine mutation. On y rencontre une vieille femme de cent ans, un adolescent de quinze ans, une ancienne infirmière qui a préféré l’élevage de chèvre aux interventions chirurgicales, un animateur d’une radio en gallo, un bébé de six mois, une jeune paysanne qui se lance dans l’agriculture bio, etc. Ce sont ces courts métrages documentaires qui étaient présentés au cinéma l’Iris en février dernier. Plus de cent cinquante personnes étaient au rendez-vous, beaucoup d’entre elles avaient participé de près ou de loin à cette aventure. Un public familial, mêlant tous les âges, curieux et heureux de partager ce moment collectif. Le pari audacieux des Passeurs d’Images et de Sons semble donc bel et bien se concrétiser : rassembler la population locale, dans sa diversité, autour du cinéma documentaire !
Nicolas Le Gac
Photo : sur le tournage des »Vies réelles, vies rêvées », quand les habitants s’emparent de la caméra…
Prochains rendez-vous de l’association Les passeurs d’images et de sons :
• le 23 mars à Sérent pour un »Docu-Concert-Bal Tsigane ». Projection à 20h de »Le bateau en carton » , un film de José Vieira, suivi à 22 h d’un bal tsigane avec Kesaj Tchave, ensemble musical d’enfants Roms de Slovaquie. Réservation : lespasseurs@hotmail.fr / 06 99 93 01 07
• le 12 avril autour du film »Je suis » de Emmanuel Finkiel à la Médiathèque Départementale du Morbihan à Caro.