Passer la barre des 3 mètres ? • Par Olivier Bourbeillon


Ce qui est génial dans nos métiers c’est de pouvoir à partir d’un scénario de papier projeter un futur film.  C’est mettre la barre bien haut, et souvent aux réalisateurs avec qui je travaille je demande à quelle hauteur ils sautent. 

Si vous sautez à 1,20 m et que votre film est à 3 m, vous ne passez pas. Mais comme il faut de l’ambition, vous pouvez passer à 1,50 m. 

Si vous êtes Kubrick, Leone, Fellini, vous passez à 3 m, mais vous êtes peu nombreux dans ce cas.

Donc demain ?
En quelques années le monde numérique nous a fait basculer dans un univers, techniquement parfait, rapide, lisse, mais générant perversités et inquiétudes.

ll faut soi disant être CRÉ-A-TIF, compétitif, up to date. 
Le monde n’est pas une start-up !

Alors en Bretagne faire des films ? Nous petits bretons…

Il y a beaucoup plus d’argent que quand nous avons commencé, mais comme chacun sait l’argent ne fait pas le bonheur, même si il y contribue.

Les années 80 que nous avons traversées étaient intermédiaires. Disons entre les années 70 et l’an 2000…Tout s’est institutionnalisé. Trop. Beaucoup plus de réunions, comités, conseils d’administration… et moins de discussions conviviales. Moins de Cinéma. Chacun reste dans sa bulle, Rennes, Brest, Quimper… ça bruisse et on n’a plus le temps.

Bref il y a un esprit malin d’époque nous poursuit à l’image de ce sale « cocovirus ».
Et ce ne sont pas les esprits de la Forêt de notre cher Miyazaki. 

Mais là le temps ?
On oublie trop souvent les films , on se rassure avec les mots filière, économie, mais cela ne tient qu’à nous, qu’à vous. Cela commence à se dire, c’est vrai car nous aimons tous LES FILMS.
« Désir de films » lançait l’Arbre (association des auteurs réalisateurs en Bretagne).  Bon titre !  Je n’ai pas de réponses mais des questions. 

Quels films voulons nous faire ? Peut-on faire les mêmes films qu’à Paris où 80 % de la production est regroupée. Je ne pense pas. Le granit a une âme comme dit Antoine Le Bos. Un beau film ne ressemble qu’à lui même, et la Bretagne est une terre d’histoire(s), bien au-delà des binious et des coiffes…

Je me méfie des films de touristes on l’on voit la Bretagne encore en Kodachrome !

Vous savez la belle vague sur les rochers, les amours se délitant dans un hôtel l’hiver ( les rosaires )  l’acteur principal à qui l’on donne une casquette de marin pour faire plus « local »…

Ce qui est drôle est que dans les projections sur le Cinéma Breton ça démarre souvent avec les films de l’immense Jean Epstein. Comment ce cinéaste juif polonais a trouvé ici sa terre promise ? C’est vrai aussi que nous étions au début du cinéma, et avec le plus grand talent du monde nous ne pourrons jamais plus filmer les habitants d’Ouessant comme lui. Il filmait la fin d’un monde au bout du monde.

À défaut, réfléchissons, lisons, revoyons.

L’histoire peut nous apprendre plein de choses, d’où nous venons, qui nous sommes ou voulons être. Français ? Breton ? Républicain ? Citoyen ? 

Souvenez-nous des premiers films de Guédiguian à Marseille. Les Larrieu dans les Alpes. Guiraudie dans le sud Ouest. Bruno Dumont dans le Nord.
Et nous ? Pascale Breton, Marie Hélia (tiens des femmes…) ont ouvert la voie de la fiction longue en Bretagne.

Sans oublier nos camarades de l’animation montrant virtuosité, poésie et humour. 

Ca se passe plutôt du côté de Rennes. Bravo les gars !

La fiction est un genre qui fait battre les cœurs quand on a 20 ans… et à 60 ans encore.

Un groupe Fiction est en train de se mettre en place, comme ce jour où avec Laurent Gorgiard l’éternel Homme aux bras ballants fondions L’Arbre.

Donc bienvenue…
Si Paris-Brest continue à faire des courts c’est la promesse de regards nouveaux, d’univers. Il y a une éternelle jeunesse dans le court avec des diffuseurs encore concernés, sympas, abordables.
Il y a 40 ans, aucun cinéaste breton n’avait été diffusé sur France 2, Canal, Arte.

Ça c’est fait.

Il y a 40 ans il y avait peu ou pas de producteurs. 
Aujourd’hui nous sommes une vingtaine, et beaucoup de nouveaux. Welcome !

Au début souvent (moi le premier !) on a fait un peu les malins (c’étaient les années Beineix), et puis à peu à peu on grandit, on apprend. Commencer sera toujours difficile, continuer l’est encore plus.
Les envies changent, tout bouge. On se marie, on fait des enfants, on accepte une commande à la télé, puis deux, on perd des amis, et la Roue tourne.

Que ce soit à Paris, Quimper, Rome, ou Bratislava, il est dur de faire des films, de plaire, de raconter des histoires, toujours différentes, de trouver sa manière de faire.

Ça été toujours dur et ça le sera encore dans 50 ans.

Donc discutons, rêvons, interpellons les responsables, partons loin de Bretagne pour mieux y revenir, vivons et travaillons au pays comme on disait dans les années 70.

Faisons nous confiance, lisons, intéressons nous à « notre » terre où nous ne sommes que de passage. Oublions un peu le côté formel des associations, des festivals, des comités de sélection pour tâcher d’être libres.
Trop peu d’entre nous le sont..

Une politique du Cinéma (de l’audiovisuel je sais… où la télé a tout envahi surtout les cerveaux) doit être un vivier, lieu de rencontres, d’échanges.
Il y a encore quelques années ce sont les films qui nous faisaient vibrer, revenons à la source de nos désirs, loin du formatage, des reportages déguisés en docus…

Festivals, invitez nous à discuter. Comités de sélection, rencontrez nous pour savoir ce qu’on a dans le ventre (et vous ?) .

Un dernier désir. Que le « cocovirus » des cerveaux noirs soit vaincu.


Olivier Bourbeillon

Producteur – Paris-Brest Productions