Le Festival Européen du Film Court de Brest a dévoilé son programme 2010. Une édition dense qui révèle une situation paradoxale pour la création bretonne.
Pour les professionnels français du court métrage, la fin d’année est une période de tension récurrente. Quatre des principaux festivals nationaux consacrés au film court sont programmés en novembre et décembre et, dès le mois d’octobre, producteurs et réalisateurs surveillent plus régulièrement leurs boîtes mail dans l’attente du message libérateur (« nous avons le plaisir de vous annoncer que votre film a été sélectionné pour la compétition…) ou de la formule funeste (« cette année, nous avons reçu beaucoup – mais vraiment beaucoup – de films, et, malgré ses qualités, le vôtre n’a pas été retenu… »). Cette situation peut paraître puérile (est-il possible de s’exonérer un jour du bulletin de notes ?), mais le système est ainsi organisé que de ces sélections dans les festivals de Brest, Villeurbanne, Aix en Provence ou Vendôme peuvent dépendre le succès d’exploitation des films, le repérages de certains talents ou la recherche de financement d’une future production.
Ces dernières semaines, les professionnels bretons ont donc attendu fébrilement les emails à en-tête du Festival Européen du Film Court de Brest. Deuxième festival de courts hexagonal en termes de fréquentation (48 000 entrées comptabilisées dans les salles brestoises l’an dernier), Brest fête cette année ses 25 ans et les attentes n’en étaient que plus fortes. Et quand les résultats des sélections sont tombés, les réactions dans les chaumières bretonnes ont du être contrastées…
Avec 28 films produits ou tournés en Bretagne programmés, l’édition 2010 du festival brestois restera probablement comme l’une des plus importantes en termes d’exposition de la création dans la région. Avec une absence totale des compétitions des films produits en Bretagne, cette année pourrait également être synonyme de « petite forme » des auteurs et producteurs régionaux. Qu’en est-il vraiment quand on observe plus précisément les films sélectionnés ?
L’augmentation remarquable du nombre de films de Bretagne présenté cette année est principalement imputable aux programmations rétrospectives. En partenariat avec la Cinémathèque régionale, le festival nous offre une passionnante évocation de 25 ans de fiction courte en Bretagne. Programme évidemment non exhaustif, forcément subjectif, mais qui nous offre des raretés comme Le Retour du marin réalisé par Charlotte de Turkheim ; des films d’Anne Noury, de Christian Lejalé, de Pascal Stervinou, d’Hubert Blanchard, de Christophe Prédignac ou de Françoise Decaux-Thomelet, quelques-uns des réalisateurs ayant porté le genre dans les années 90 ; An Enez Du, tentative convaincante de Marie Hélia d’une fiction contemporaine jouée en français et en breton ; L’Homme aux Bras Ballants de Laurent Gorgiard pour garder en mémoire un talent de l’animation rennaise ; J de Fred Cavayé ou A la vitesse d’un cheval au galop de Darielle Tillon, deux réalisateurs récemment passés au long.
Pour les dix ans du concours de scénario ESTRAN, Côte Ouest – organisateur du festival et du concours, ne pouvait s’abstenir d’un programme anniversaire : trois films lauréats (Le Secret de Lucie de Louise Thermes, Comptes pour enfants de Gaël Naizet, Une sauterelle dans le jardin de Marie-Baptiste Roche) parmi les 21 produits au fil des éditions d’ESTRAN. Cette programmation nous offre des repères qui permettent d’évaluer le chemin parcouru depuis des années 80 qui n’avaient pas encore vu émerger un Paysage Audiovisuel Breton désormais structuré autour d’un tissus d’entreprises de production, de diffuseurs, d’associations professionnelles et d’un solide fonds d’aide à la création régionale. Si ces rétrospectives ne comportent pas que des oeuvres ayant marqué le genre, elles ont le mérite de remettre en lumière des films ayant exploré des voies originales (revoir Le Pré aux bernaches, tentative intéressante d’un cinéma fantastique à petit budget exploitant au mieux une topographie bretonne) ou ayant suffisamment marqué l’imaginaire régional pour susciter des vocations.
Ces vocations, parlons-en. Comment expliquer qu’après dix ans de concours ESTRAN, justement, les réalisations régionales peinent autant à atteindre les compétitions brestoises ? Ne pouvait-on espérer que ce concours, visant à faire émerger de nouveaux talents dans la fiction courte, engendre des films portant haut et fort les couleurs du PAB ? Le bilan n’est peut-être pas si négatif qu’une lecture trop rapide de la sélection de Brest 2010 pourrait le laisser penser.
Quand on découvre les films programmés dans les panoramas « Bretagne » et « L’Europe des régions », certains titres sont familiers. L’Enfant Do de Sonia Larue est sorti avant l’été et a déjà glané quelques prix. Dounouïa d’Anthony Quéré et Olivier Broudeur n’en est pas non plus à son premier festival et a déjà été remarqué à Clermont-Ferrand et lors de sa diffusion sur ARTE. Ce tandem de réalisateurs avait déjà fait parler de lui avec Erémia, Erèmia, primé en 2008 à Clermont-Ferrand et… lauréat du concours ESTRAN. Après Brest, le film sera en compétition européenne au Festival de Vendôme. Même constat pour Enez Eusa de Marthe Sébille (promo ESTRAN 2009) qui sera en compétition à Villeurbanne et à Aix Tout Court. Il serait donc infondé de mettre en cause la qualité générale des films produits ces derniers mois en Bretagne. On devrait même se réjouir que, pour ses dix ans, ESTRAN affiche quelques réussites. En cherchant bien dans la programmation, on découvrira encore dans la carte blanche à France 2, Quidam de Gaël Naizet, un film tourné à Brest et dont ce sera la première nationale. Un autre ancien d’ESTRAN qui n’a pas raccroché sa caméra.
On peut certes regretter que les sélectionneurs brestois aient moins apprécié la production bretonne récente que leurs collègues des autres rendez-vous du court métrage qui balisent la fin 2010. Il est toujours agréable d’être honoré par les « siens » et la programmation dans un panorama Bretagne, quand on espérait la confrontation européenne, peut laisser comme un sentiment de relégation difficile à digérer. Mais on peut également remarquer que la création régionale ne peine plus à aller chercher la reconnaissance de la profession hors de son « pays ». Et c’est peut-être là l’un des marqueurs les plus positifs de la maturation d’un secteur de la fiction courte en Bretagne.
Jean-François Le Corre