C’était dans l’air depuis quelques années. Et le maire Daniel Delaveau l’a officiellement annoncé fin octobre : un nouveau cinéma multisalles Art et Essai sera présent au sein d’EuroRennes, la future gare de la capitale bretonne. Ce qui était moins attendu, c’est que le comité de pilotage du projet réunisse deux acteurs… au départ concurrents ! Mais Patrick Frétel et Eric Gouzannet, deux rennais fous de cinéma… et de football, semblent avoir trouvé un terrain de jeu commun. Rencontre en duo, et premiers éléments sur le futur cinéma EuroRennes.
Il y a d’abord Patrick Frétel, ancien secrétaire général du Stade Rennais. Et surtout président depuis 30 ans du cinéma associatif l’Arvor, bien connu des cinéphiles bretons, et programmé par son frère jumeau Jacques. Ce jeune retraité des tribunes de la route de Lorient se lance à 61 ans dans un nouveau challenge, “excitant et impressionnant, et que j’ai envie d‘accompagner jusqu’à sa réalisation, avant de passer la main. Mais il ne suffit pas de le faire, il faut surtout que le projet soit viable, durable, y compris économiquement ! ”. Puis il y a aussi Eric Gouzannet, directeur de l’association Clair Obscur et du festival Travelling. “ Mon projet s’appelait au départ le Scope. Une envie toute personnelle, qui n’engage que moi, et pas l’association que je dirige”. Chacun de leur côté, ils rêvaient à de nouveaux écrans. L’un se sentant trop à l’étroit dans celle de la rue D’Antrain. L’autre ayant envie de goûter à un nouveau métier au tournant de la cinquantaine. Et pourquoi pas en reprenant une salle qui a fait de lui un cinéphile accompli. “ En 1987, j’étais objecteur de conscience, et j’avais gagné un pass gratuit d’un an à l’Arvor ! C’est là que je me suis formé au cinéma « .
Conscients du manque d’écrans estampillés Art et Essai dans la capitale bretonne, les élus rennais avaient déjà tenté de faire venir les toulousains d’Utopia. Mais le projet a échoué sur des écueils économiques. Ils ont donc réuni les deux propositions locales en une seule : un nouveau complexe multisalles qui remplacerait l’Arvor, en plus grand et plus moderne. Trois personnes, issues de chaque projet, siègent dans le comité de pilotage. Le Ciné TNB, également programmé par Jacques Frétel, n’étant pas concerné par ce travail en commun, car appartenant au TNB. Ce “ Cinéma EuroRennes”, plus grand, plus confortable, aurait une véritable ambition d’animation culturelle, que les locaux étroits du précédent limitaient. Et même si beaucoup d’éléments restent encore indéterminés pour le moment, voici ce que ses inspirateurs et copilotes ont bien voulu dévoiler.
D’abord le lieu : plusieurs implantations on été examinées. Le Triangle, le rond-point de Gayeulles, Villejean ou encore l’Hôtel Dieu… il a même été question de reprendre l’ancien emplacement des Gaumont, quai Duguay Trouin, mais les travaux étaient trop complexes et coûteux. C’est logiquement le site très central de la gare qui a été retenu. “C’est à l’interconnexion des deux lignes de métro, donc bien desservi. Et cela va contribuer à revivifier le centre-sud de Rennes. Il y a une volonté politique très forte de transformer cet endroit en véritable lieu de vie. Une passerelle piétonne permettra d’y accéder via l’avenue Janvier”, souligne Eric Gouzannet. “ Il y aura un restaurant indépendant du cinéma, une salle de rencontres et d’exposition, et sans doute de quoi offrir une restauration plus rapide à l’intérieur même du cinéma”, précise Patrick Frétel. “6 salles estampillées Art et Essai offriront 950 fauteuils en tout, la plus grande salle aura 320 places, et la plus petite 90”. Un parking en dessous offrira de quoi se garer. Au dessus du cinéma, trois étages de bureaux.
L’architecte Philippe Gazeau, du cabinet d’urbanisme FGP en charge de la Zac EuroRennes, a déjà produit des plans, revus et corrigés par le comité de pilotage, et son architecte conseil Mickael Tanguy. Reste à trouver le promoteur et le montage financier. Ce qui n’est pas une mince affaire, le budget global se montant à 7 millions d’euros. Mais notre duo cinéphile préfère se positionner non comme propriétaire des murs, mais comme simple locataire et aménageur du lieu. Un projet qui se chiffre tout de même à 2,7 millions d’euros. “ Nous travaillons là-dessus, nous contactons des investisseurs privés comme institutionnels. Pourquoi pas la piste du mécénat, nous y réfléchissons, il ne faut rien s’interdire ”, évoque, un brin mystérieux, Patrick Frétel. A la question de savoir si ses relations du Stade Rennais, par exemple avec le Groupe Pinault, pourraient l’aider à avancer dans cette voie, il préfère botter en touche.
Contrairement à l’Arvor actuel, ce futur haut lieu de la cinéphilie rennaise ne sollicitera plus les bénévoles à la caisse ou au contrôle, mais uniquement sur des opérations d’animation. L’objectif des entrées est assez précis: 250 000 pour la première année, sur des tarifs semblables à ceux de l’Arvor actuel. “Puis nous visons 300 000 tickets en vitesse de croisière, sur un potentiel de 400 000 entrées par an en Art et Essai sur toute la Métropole rennaise ”, estime Patrick Frétel. Ce qui reste encore indéterminé à ce jour : le nom de cette nouvelle salle, sa structure juridique, associative ou non, ainsi que son organigramme.
Ce nouveau lieu culturel, qui dynamisera sans aucun doute l’îlot Paul Féval, s’annonce comme très attractif pour le grand public. Mais quid de la relation aux professionnels de l’image en Région ? “ C’est un axe à développer, dans la continuité de ce qui se fait déjà l’Arvor: des avant-premières pour les films faits ici, et sans doute mieux exposés en horaire”, s’engage Eric Gouzannet. “Et il y aura un espace pour les débats, les expositions, les rencontres…”. “Attention, on ne peut le faire non plus sans limite”, tempère Patrick Frétel. “ Il y a un impératif de rentabilité, même en Art et Essai; nous développerons aussi de l’évenementiel ou des services à destination des entreprises”.
Ce projet devrait devenir réalité dans 4 à 6 ans, le temps pour la Métropole d’enclencher les travaux, et pour nos deux cinéphiles d’avancer tranquillement sur le dossier. “ Cela se passe bien entre nous, nous sommes complémentaires”, précise Eric Gouzannet. Bon vent à ce projet, que l’on souhaite voir se réaliser rapidement, pour le plaisir des amoureux du cinéma !
Brigitte Chevet