En août, le Festival de cinéma de Douarnenez a été l’occasion d’une rencontre entre les bureaux d’accueil de tournage breton et guadeloupéen. Et d’un entretien avec Tony Coco-Viloin, réalisateur d’une trentaine de films, directeur de production, assistant réalisateur, chef-opérateur, monteur, défenseur d’un cinéma créole, enseignant, musicien, et responsable hyperactif du Bureau d’Accueil des Tournages de Guadeloupe. Essayez de suivre le flow !
Pourquoi un réalisateur aussi prolifique et militant que vous décide-t-il, un jour, de prendre la direction d’un bureau d’accueil de tournage ?
Parce qu’il fallait bien que quelqu’un s’y colle. Le BAT Guadeloupe est tout jeune puisqu’il n’a été créé qu’en 2008. Nous avons la chance d’avoir un secteur associatif de mieux en mieux structuré – une association de techniciens (le GRARG), une de comédiens (le GAG), une de producteurs (l’APCIAG) et une autre de diffuseurs (l’APCAG) – qui mènent une démarche de sensibilisation auprès des élus. C’est le président de région, Victorin Lurel, qui a concrétisé la démarche lancée par les professionnels, dans un premier temps avec la création d’un fonds d’aide qui représente aujourd’hui 1,6 millions d’euros annuel, et dans un deuxième temps par la création du bureau d’accueil des tournages. Le cinéma inscrit dans l’esprit du développement culturel est en Guadeloupe, comme ailleurs, une évidence, ce n’est donc pas là-dessus qu’il faut se battre, mais bien sur le développement économique, l’aménagement du territoire, la formation professionnelle, le tourisme et la coopération régionale, véritables vecteurs actuels de l’industrie en question. C’est là, selon moi, le sens profond de l’existence d’un bureau d’accueil des tournages en Guadeloupe, région française, située au cœur de la Caraïbe.
Quelles sont les spécificités du BAT Guadeloupe ?
Une des spécificités est d’être le seul territoire francophone au milieu d’une zone majoritairement anglophone et hispanophone. Nous sommes en train de fédérer un groupement de neuf bureaux d’accueil des tournages des Caraïbes. Nous regroupons nos bases de données décors et techniciens, nous organisons des formations en commun, etc. L’idée est de ne pas être en concurrence mais au contraire en complémentarité, ce qui permet d’être force de propositions notamment sur des gros films comme Pirate des Caraïbes 4.
Combien de tournage accueillez-vous par an et quelles en sont les retombées ?
Nous avons accueilli 27 films en 2010 (année de crise), pour l’instant majoritairement français. C’est peu, mais nous sommes encore jeunes, et les productions ont beaucoup de mal à venir chercher chez nous autre chose que des décors « Sea, sex & sun ». Ils ne savent pas encore que nous disposons par exemple d’environ 500 cascades et chutes d’eau, entre 10 et 100 mètres de haut, ou que la biodiversité locale est l’une des plus riches au monde, à tel point que nous sommes en train de créer une sonothèque pour la faire connaître. Cette initiative simplifiera énormément la dure tâche des ingénieurs du son et favorisera l’économie des tournages sur notre territoire où être preneur de son relève du sens de la maîtrise des phénomènes acoustiques. Mais, si la défense des décors, y compris sonore, est bien sûr importante, la mission n°1 du BAT reste pour moi la défense de l’emploi local. Nous sommes en étroite relation avec Pôle emploi et nous avons un fichier d’environ 400 professionnels représentant à peu près tous les corps de métier. Nous avons beaucoup de régisseurs, assez peu d’assistants mise en scène et peu de chargés de production. Notre grande sensibilité musicale explique que nous avons de très bons ingénieurs du son. Nous faisons très attention à l’embauche et toutes les productions sont bienvenues au BAT de Guadeloupe où nous accompagnons, parfois de manière très significative, les régisseurs et directeurs de production, en terme de logistique.
Les productions qui sollicitent le fonds d’aide régional (cf. www.cr-guadeloupe.fr) doivent dépenser 250% de la subvention requise sur place. Nous organisons fréquemment des « speed dating » avec les producteurs et plus de 400 techniciens, artistes et figurants ont déjà répondu présents à l’appel depuis deux ans. Plusieurs d’entre eux ont trouvé un emploi grâce à cette formule de recrutement ou de pré-recrutement. C’est également une très belle occasion pour faire de la mobilité professionnelle au sein même du secteur avec l’aide du pôle emploi de Guadeloupe.
Je souhaite développer des formations qui ont pour finalité d’augmenter les compétences des TAF de Guadeloupe, car les productions sont des entreprises tout court, avant d’être des entreprises culturelles. La formation et le développement économique font partie des compétences des Régions, pas la Culture qui relève surtout d’une volonté politique, comme c’est le cas aussi chez nous. Alors il faut y aller. Cela commence à prendre : il y a 3 ans, 80% des projets venaient de l’extérieur, aujourd’hui 60% des projets sont portés par des entreprises locales.
Qu’êtes-vous venu faire à Douarnenez ?
Je suis un ardent défenseur des langues minoritaires. Si la langue créole est très présente en Guadeloupe, elle est très peu représentée dans les films. C’est une langue jeune, à peine 300 ans. Et sur ce sujet la coopération avec la Bretagne est intéressante, et en plus évidente. Il ne faut pas oublier que les premiers occupants de la Guadeloupe étaient aussi bretons, et que Charcot est le navigateur le plus connu dans les Caraïbes. La pointe du Raz est la réplique de la pointe des Châteaux à St-François, les coiffes bretonnes sont une tradition de la petite commune de Vieux-Fort (la partie Sud de l’île)… Après avoir accueilli Caroline Trouin au Festival International du Cinéma de Guadeloupe, pour préparer la très belle édition Caraïbes qui déclenche cette rencontre, l’idée consisterait à monter des échanges, par exemple sur l’écriture entre nos auteurs et ceux d’ici, car Ici est notre là-bas et Là-bas est votre Ici.
Propos recueillis par Frédéric Le Gall
Pour plus d’informations : guadeloupefilm@cr-guadeloupe.fr
Crédit photo © Roux