Mécénat culturel : un outil pour la cohésion et le dynamisme d’un territoire


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Les Rencontres de Films en Bretagne © YLM Picture


Les Rencontres professionnelles de Films en Bretagne se tenaient les 4 et 5 octobre derniers, avec une volonté nettement marquée cette année de rendre compte plus concrètement encore de problématiques actuelles ou augurées, de leurs effets, et d’inviter les acteurs de la filière qui y sont confrontés à chercher des réponses, ensemble. Il s’est donc agi de concentrer l’écoute et les échanges autour d’ateliers et d’études de cas. En cette période de crise dans la culture, avant tout financière, mais qui tendrait peut-être à brouiller nos systèmes de valeurs, l’un de ces premiers rendez-vous proposait opportunément aux professionnels présents de s’intéresser au mécénat culturel à travers deux expériences d’un mariage réussi entre public et privé, culture et économie.

Le mécénat culturel a de l’avenir ! Et c’est pour en décliner les caractéristiques et donner les principales clés de sa réussite que deux couples exemplaires en cette matière étaient réunis autour d’Annie Leroy (consultante indépendante en stratégie de collecte de fonds privés pour les organisations à but non lucratif), qui conduisait les échanges. Étaient donc présents Lénaïck Hemery (directrice de la communication à l’agglomération de Saint-Brieuc et coordinatrice générale du Festival Photoreporter), accompagnée de David Hervé (responsable de la communication du Crédit Agricole pour les Côtes d’Armor, mécène historique de l’évènement) ; et Guirec Milot (administrateur de La Fiselerie, l’association organisatrice du Festival Fisel en Centre-Bretagne), accompagné, lui, de Pierre Gueguen (dirigeant de l’entreprise Ubister, mécène de la manifestation), par l’heureuse entremise de Skype.

Du cas particulier à la règle

Qu’il s’agisse de Photoreporter ou de Fisel, les raisons de s’intéresser au mécénat sont sensiblement les mêmes, au moins au départ : une recherche de fonds pour créer, rendre viable voire pérenniser un évènement, et la permission d’avoir de l’ambition. En d’autres termes, dans un contexte économique défavorable et à cause aussi d’une baisse notable des subventions de la part des institutions, il leur a fallu trouver des partenaires capables de les accompagner dans la construction d’un projet culturel d’abord économiquement, mais également en termes de communication et de relais à l’échelle d’un territoire – et parfois au-delà. 

LENAICK HEMERY RFEB041018
Lénaïck Hemery © YLM Picture


L’expérience du festival de photoreportage briochin est intéressante à plusieurs endroits. La crise du photoreportage est plus ou moins connue de tous, et l’on sait aujourd’hui que journaux et magazines ont cessé de financer ces reportages, et que les photographes doivent le plus souvent autofinancer leurs voyages sans être assurés de vendre le fruit de leur travail au retour. Lénaïck Hemery parle en conséquence de l’uniformisation d’une information parcellaire, évidemment dommageable pour la connaissance qu’ont du monde les citoyens que nous sommes. L’idée de faire appel à des entreprises privées lui est venue en réfléchissant à une solution pour faire de Photoreporter le producteur de ces reportages, que le festival mettrait ensuite en valeur durant un mois d’exposition (du 6 octobre au 7 novembre cette année) : « Dans les courses à la voile, les sponsors investissent des fortunes sans être assurés de gagner, leur bateau peut même casser en cours de route ! Nous nous sommes dit qu’il y avait là un modèle que nous pourrions adapter », témoigne-t-elle. C’est ainsi qu’elle pousse la porte du Crédit Agricole en 2011 et qu’elle construit un nouveau modèle de mécénat avec David Hervé. Le projet qu’elle présente est solide, les enjeux sociétaux clairs et le cadre bien défini. Lénaïck a mis en place un fonds de dotation qui permet de faire la part des choses entre fonds publics et fonds privés, et leur utilisation : les investissements des mécènes servent à financer la seule production des reportages et l’argent public est alloué au festival exclusivement. David Hervé est convaincu par l’utilité du projet et les valeurs qu’il véhicule, dans lesquelles il reconnaît celles de son entreprise. C’est ce point qui décide de son engagement dans l’aventure depuis 7 ans.

Le Crédit Agricole est aussi partenaire du festival Fisel de Rostrenen, mais il s’agit là de son agence locale et non plus départementale. David Hervé rappelle à ce propos que ces agences de proximité sont le premier relais et le meilleur interlocuteur auquel s’adresser, en tant qu’acteur territorial investi dans un environnement donné, susceptible d’agir en vue de son développement et de son rayonnement. Les deux porteurs de projet présents font d’ailleurs avant tout, pour ne pas dire exclusivement appel aux TPE et aux PME voisines, chacun ayant les mêmes intérêts à œuvrer dans le même sens !

DAVID HERVE RFEB041018
David Hervé © YLM Picture


Le modèle économique de Fisel n’est pas celui de Photoreporter, et l’on peut parler avec une affection complice d’un assemblage de « bouts de ficelle » et d’autant de bonnes volontés qui contribuent à faire prospérer cette manifestation depuis 46 ans ! L’association qui porte le festival, La Fiselerie, fonctionne selon un modèle collaboratif et joue de leviers culturels et sociétaux forts à l’échelle de son territoire pour convaincre des partenaires le plus souvent locaux d’investir dans l’évènement : les dons vont de 5 à 3500 euros, quand ils ne se traduisent pas en huile de coude avec 250 bénévoles et un réseau exponentiel sur lequel il compte vraiment. Pierre Gueguen, chef de l’entreprise de gestion informatique Ubister, dont l’exercice dépasse très largement les frontières de la Bretagne, témoignait de son attachement au territoire – il a choisi Rostrenen pour y installer son siège social – et de l’évidence pour lui de s’engager financièrement dans le festival, lieu et temps de culture et de détente, synonyme d’attractivité territoriale et, pour son entreprise, de valeur ajoutée à son image. À ses yeux, un lieu plein de vie à deux pas de chez lui : « je suis sensible au discours sur la beauté des choses », concluait-il, « nous évoluons dans un monde trop aride. »

GUIREC MILOT RFEB041018
Guirec Milot © YLM Picture


Un lien qui s’entretient

Si ces deux expériences de mécénat ont si bien fonctionné et dans des contextes, on le voit, sensiblement différents, c’est qu’elles reposent cependant sur des bases communes qui ont permis leur lancement et que les intervenants résumaient à peu près comme suit. Le premier d’une courte suite d’impondérables est de concevoir un projet solide aux enjeux nettement définis, et sous-tendu par des valeurs clairement formulées. Avant de choisir quels mécènes potentiels on veut rencontrer, il vaut mieux définir une ligne éditoriale et artistique intangible – afin d’éviter toute tentative d’intromission de la part du donateur – et pourquoi pas une charte, afin d’établir un cadre à cette recherche de partenariat (avec qui l’on peut s’accorder et avec qui l’on ne peut pas). Il faut ensuite décider des termes d’une convention de mécénat avec le partenaire, visant à définir les limites de l’intervention de chaque partie. Le mécénat culturel est régi par la loi, cela va de soi. Si cette loi interdit normalement que le mécène reçoive une contrepartie, elle tolère cette pratique dans les faits à hauteur de 25% des dons. Ces contreparties peuvent prendre la couleur que le porteur de projet souhaite leur donner – reprise du logo du partenaire dans les documents de communication, visite d’exposition, rencontre ou conférence privées avec des artistes, etc. – et doivent figurer dans un catalogue qui sert de base à la négociation et garantit pour le mécène le sérieux de la proposition. Ce catalogue n’a pas vocation à être exhaustif et les intervenants à cette étude de cas ont insisté sur le fait que l’écoute du partenaire et de ses besoins était une clé essentielle de la réussite d’un partenariat de mécénat. Il faut savoir à qui l’on a affaire et ce que l’on peut apporter à l’entreprise que l’on démarche. Il est à noter, enfin, que la défiscalisation des dons de mécénat peut peser favorablement dans la balance des négociations. Toutefois, David Hervé comme Pierre Gueguen soulignent combien la raison économique est de peu de poids dans leur engagement : l’étalon est ici la valeur sociale, humaine, citoyenne et territoriale, et s’il ne s’agit jamais de philanthropie, la force des accords réside bien ici dans cet ancrage et son incarnation. Une fois ces partenaires gagnés, une partie importante du travail reste à faire pour le porteur de projet s’il ne veut pas tout recommencer d’année en année : entretenir la relation et jouer la carte de la transparence en communiquant bilans et nouvelles régulières, et en ponctuant le temps de latence entre deux éditions de rencontres plus ou moins formelles, plus ou moins fortuites.

Un partenaire heureux et convaincu est également prescripteur auprès de ses clients qui sont autant de nouveaux partenaires possibles. Une raison supplémentaire de ne pas négliger une relation qui sert les intérêts de chacun à condition d’en prendre soin.

Heureuse alternative au financement de manifestations culturelles fragilisées ces dernières années, le mécénat semble être une clé à activer. Une solution qui dépasse par ailleurs largement son objet premier (le financement de la culture) au profit d’une réjouissante synergie entre l’économie et la culture, le monde et le territoire (1).

Gaell B. Lerays

(1) Vous êtes porteur d’un projet culturel que vous cherchez à formaliser ? À vos agendas ! Films en Bretagne prévoit de prolonger cette réflexion sur le mécénat culturel dès l’automne 2019, avec la mise en place d’une formation prenant la forme d’un atelier pratique de 4 fois 2 jours.


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