Lycée Joseph Savina : option cinéma-audiovisuel


Lycée Joseph Savina
Lycée Joseph Savina © ßénédicte Pagnot


Tréguier (Côtes d’Armor) compte moins de 2500 habitants mais son lycée public polyvalent Joseph-Savina accueille plus de 600 élèves venus de toute la Bretagne, et parfois plus loin, pour ses filières artistiques. Une option cinéma-audiovisuel y existe depuis 1995. Cette année, ils sont au total 93 élèves de seconde, première et terminale à l’avoir choisie. Deux tiers de ces élèves sont internes. Les cours de cinéma-audiovisuel représentent jusqu’à 8 heures de cours par semaine pour certains d’entre eux.

Un soir par mois professeurs et élèves de la section cinéma-audiovisuel (CAV) montent dans un car pour aller aux Baladins de Lannion ou de Perros-Guirec, les deux cinémas les plus proches. « La spécificité ici c’est que c’est un lycée de campagne. Dès qu’on veut faire quelque chose on prend le car » explique Agnès Jacquesson qui enseigne le cinéma, les lettres, le latin mais aussi le théâtre et prend donc souvent le car pour accompagner ses élèves. Agnès coordonne également la section CAV depuis le départ à la retraite en 2010 d’Alain Vorimore, créateur de la section.

Pour Hervé Gaillard, professeur de lettres et de cinéma, la distance avec le cinéma n’est pas un problème, c’est même un avantage « c’est radiographie directe du film dans le bus ! » dit-il tout sourire. Récemment les élèves ont vu, et beaucoup aimé, Les Veuves de Steve Mc Queen. Un mois plus tôt, ils ont découvert Premières solitudes en présence de sa réalisatrice Claire Simon qui accompagnait son film dans le cadre d’une tournée organisée par Cinéphare. Premières solitudes a été tourné avec des élèves d’une section cinéma à Ivry, en banlieue parisienne, mais ce point commun ne rend pas les élèves de Tréguier tendres avec le film, c’est le moins que l’on puisse dire. Ce n’est apparemment pas l’effet miroir qui leur a posé problème mais la place de la réalisatrice comme l’explique Quentin « elle mettait en scène sans trop dire qu’elle mettait en scène et ça crée un décalage dérangeant » et Olivier de surenchérir « j’ai déjà vu des documentaires mais là il y avait quelque chose qui nous mettait mal à l’aise ». Dommage que les élèves de Tréguier n’aient pas pu profiter comme ceux du lycée Saint Joseph de Loudéac de 3 heures de masterclass avec Claire Simon. Peut-être auraient-ils mieux compris la démarche de la cinéaste ? Agnès Jacquesson va en tous cas retravailler sur le film dans le cadre de son cours d’analyse filmique.

Agnès Jacquesson2
Agnès Jacquesson © Bénédicte Pagnot
Hervé Gaillard
Hervé Gaillard © Bénédicte Pagnot


Les élèves n’ont pas non plus leur langue dans leur poche quand ils parlent de
Charulata (réalisé par Satyajit Ray en 1964) un des trois films qu’ils doivent étudier pour le bac : « Je reconnais les qualités du film mais, pour l’avoir vu plusieurs fois, à chaque fois c’est une épreuve » confie Anne-Lilas. Mais leurs critiques acerbes ne leur font nullement regretter d’avoir choisi l’option cinéma, au contraire. Phoebe ne veut pas continuer dans cette voie mais elle dit  : « Je sais que maintenant quand je ferai des photos ou des vidéos, mes cadres seront beaucoup mieux et j’ai appris à aimer des films qu’avant je pensais inintéressants. » Phoebe regrette même de ne pas avoir choisi l’option cinéma dès la seconde. D’autres élèves de Terminale veulent continuer dans l’audiovisuel : Mathis veut se diriger vers le cinéma d’animation, Ilyana aimerait aller en Belgique faire l’INSAS ou l’IAD mais « les concours ont l’air compliqués » avoue-t-elle. Oui les concours d’école de cinéma sont difficiles mais les élèves savent aussi que Noémie Parreaux, une ancienne élève de la section de Tréguier, vient d’intégrer le département scénario de la FEMIS à Paris après 2 ans en BTS montage au lycée Corneille de Rouen.

Les professeurs de cinéma ont souvent des nouvelles de leurs anciens élèves (ce qui leur arrive rarement avec leurs élèves de français !). « On ne sait pas si les élèves en feront leur métier. Ce n’est pas la question. Ils avancent, c’est ça qui nous satisfait » explique Johann Bourgès, enseignant de lettres et de cinéma. Ce qui réjouit son collègue, Hervé Gaillard, ce sont « les relations fortes avec les élèves » qu’il explique par la rareté des cours magistraux et l’accompagnement des élèves sur les trois ans.

Chaque année, les élèves de seconde vont au Festival du film court de Brest. Non seulement ces deux jours cimentent le groupe mais aussi permettent une plongée dans un format auquel les élèves ne sont pas habitués.  « Quand ils arrivent au lycée, ils n’ont vu que des  longs-métrages américains ou français, et des vidéos YouTube. Là ils voient des films islandais, polonais, portuguais… Ils sortent de leur carcan. » dit Johann Bourgès. Son collègue Hervé complète  : « les courts-métrages vus à Brest  nous servent de référence commune jusqu’en Terminale puisque les élèves doivent réaliser un court-métrage pour le bac ».

Johann Bourgès et des élèves
Johan Bourgès et des élèves © Bénédicte Pagnot


Quand les élèves sont en terminale, en plus d’aller au festival Premiers Plans d’Angers, ils font un workshop documentaire d’une semaine avec le cinéaste costarmoricain Raphaël Mathié. La semaine est banalisée pour que les élèves puissent s’y consacrer intégralement. Au lancement de cette initiative il y a quatre ans, un système avait même été trouvé pour que tous les élèves soient logés à l’internat ce qui permettait une immersion encore plus complète mais, pour des raisons d’agenda, ce n’était pas le cas cette année.

Avec ce workshop « les élèves apprennent à donner de la densité à leur film » explique Hervé Gaillard. Cette année, les élèves avaient pour consigne de faire des portraits sur le territoire. Johann Bourgès raconte  : « Un groupe a choisi de filmer un coiffeur, pensant que ce serait simple. Ils n’ont pas réfléchi que le lieu était tout petit. Ils n’ont pas pensé à demander d’arrêter la radio. Ils ne se sont pas rendu compte que le son du sèche-cheveu couvrait les paroles. Bref, leurs rushes étaient catastrophiques  ! Ils étaient très déçus. Et impossible de refaire car le coiffeur partait en vacances. Ils ont dû imaginer rapidement un tout autre film mais ils ont appris, compris beaucoup de choses ».

Là aussi, les élèves perçoivent en même temps la difficulté et l’intérêt de l’expérience, comme en témoigne Katell  : «  Les jours de montage on était dans cette salle de 8h à 22h, c’était fatigant ! Mais aussi très intéressant de pouvoir travailler avec un professionnel pendant une semaine et pas juste une après-midi  ».  Et le mot «  épreuve  » revient dans la bouche de Mathis  : «  c’était bien mais c’était un peu éprouvant ». Les cinq courts-métrages documentaires réalisés dans le cadre de ce workshop seront présentés au théâtre de l’Arche qui jouxte le lycée au printemps prochain, ainsi qu’une sélection de films qu’ils ont vus en festival.

Mathis et Simon, élèves de Terminale
Mathis et Simon © Bénédicte Pagnot


Pour l’heure ce qui se prépare à l’Arche c’est le traditionnel Mégashow : plus de deux heures de musique, danse, cirque, théâtre, cinéma, défilé de costumes, entièrement imaginées et orchestrées par les élèves. Ce spectacle, ouvert au public, est parfois
considéré comme trop potache par certains enseignants mais Agnès Jacquesson préfère souligner le positif  : « c’est l’occasion d’une vraie et belle circulation entre les élèves des différentes sections ». En effet, il n’y a pas que la spécialisation cinéma audiovisuel au lycée Savina, mais aussi cirque et théâtre (auxquelles s’ajouteront danse et arts-plastiques à la rentrée prochaine). On peut aussi y préparer un bac Arts Appliqués, un bac professionnel de tapissier ou encore un diplôme national des métiers d’arts et du design.

La réforme du bac qui sera mise en place dès la rentrée 2019 aura probablement des effets sur la section cinéma-audiovisuel et les autres filières artistiques du lycée, puisque chaque élève aura trois spécialités en Première mais seulement deux en Terminale. Agnès Jacquesson espère que les élèves qui auront choisi la spécialité cinéma-audiovisuel en Première la garderont pour la Terminale. Car, on l’aura compris, cet enseignement développe (incontestablement!) leur esprit critique, rend les élèves plus curieux, propose une ouverture d’esprit, et pour reprendre les mots d’Agnès Jacquesson : « permet d’acquérir des outils pour grandir ».

Bénédicte Pagnot