La réalisatrice bretonne Lucie Rivoalen aiguise son regard au cours de quinze années de recherche et de collaboration avec différents collectifs artistiques et d’éducation populaire.
Elle trouve dans l’écriture documentaire une liberté de forme et une possibilité d’explorer le réel de manière sensible et frontale. Elle réalise son premier moyen métrage Le bleu te va bien en 2022, programmé dans le cadre du Mois Du Doc la même année.
Lucie termine en 2023 un film tourné en argentique 16mm, La ville en nous. C’est à l’occasion d’une nouvelle sélection Mois Du Doc que nous l’avons rencontrée pour parler de son lien particulier avec le public.
Films en Bretagne : Être sélectionné au Mois Du Doc signifie que tu accompagnes ton film lors de plusieurs séances pour aller à la rencontre des spectateur·ices, dans des lieux très différents (médiathèques, salle des fêtes, cafés associatifs). Comment as-tu vécu la tournée MDD 2022 du Bleu te va bien, ce premier film très intime qui évoque le chamboulement de ta famille confrontée à la maladie et la perte d’autonomie de ta mère ?
Lucie Rivoalen : Effectivement, lors du Mois du Doc l’année dernière j’ai accompagné mon film pour sept projections essentiellement dans le Finistère et les Côtes d’Armor. J’ai été reçue dans des bibliothèques, des salles des fêtes, des cinémas et même dans une brasserie. Le rapport au public est souvent très direct et je me suis rendue compte que le sujet pouvait effrayer de manière viscérale soit parce qu’on a peur pour un·e de nos proches soit que l’on appréhende sa propre finitude, sa propre décrépitude ou sa solitude à venir face à la vie en institution. Cet effet miroir m’a demandé une certaine prise de recul au moment des échanges avec le public qui pouvaient glisser sur un terrain encore plus personnel que ne l’est déjà le film.
Films en Bretagne : Ton film programmé cette année dans le cadre du Mois du doc, La ville en nous, est le fruit d’une résidence de trois ans que tu as partagée avec 2 autres réalisatrices, Candice Hazouard et Laëtitia Foligné. Était-ce nécessaire d’orienter ton travail vers un projet collectif après une expérience qui touche autant à l’intime que celle du Bleu te va bien ?
Lucie Rivoalen : En réalité, malgré la dimension collective de la résidence des Trois P’tites Tours, mon dernier film installe un rapport assez intime avec les trois personnages principaux : Mireille, Daniel et Mohammad. Cela dit, il y avait effectivement un certain équilibre dans le fait de s’engager conjointement sur ces réalisations. Il y a d’un côté un film très proche de moi par son sujet et ses personnages et de l’autre un cadre de commande, même si la liberté de fond et de forme était totale. Tout au long de l’écriture et du montage du Bleu te va bien la juste distance a été questionnée. A contrario, pour La ville en nous, l’environnement urbain et la dynamique de chantier auguraient une certaine froideur puisqu’il s’agissait de poser un regard sur la transformation d’un quartier entier de la ville de Rennes. Et j’ai cherché à en questionner l’impact sur les intimités, à faire émerger la question du vivant des considérations techniques qui rythment les étapes de ces transformations.
Films en Bretagne : Tu as réalisé ce film La ville en nous dans le cadre du projet de renouvellement urbain du quartier de Maurepas à Rennes. Raconte-nous l’histoire de ce projet « les Trois P’tites Tours » et du travail mené avec les habitant·es. Comme pour le MDD, ce public n’est pas coutumier du documentaire de création, parle-nous de vos échanges et de la manière dont ils nourrissent ton travail ?
Lucie Rivoalen : Cela fait maintenant dix ans que je travaille sur le quartier de Maurepas à travers la mise en place de créations collectives. Et il faut savoir que, malgré le manque d’équipements culturels, il y a sur ce quartier une émulation autour du travail de l’image. D’ailleurs, il existe aujourd’hui un lieu, le cabinet photographique* entièrement porté par des habitant·es.
Le collectif des Trois P’tites Tours est arrivé sur ce projet après avoir été sollicité par la ville, notamment par des agents de terrain qui connaissent notre démarche et notre travail au sein de l’association Zéro de conduite. Donc lorsque je démarre la réalisation du film, je connais certain·es habitant·es, une partie des structures, le terrain et c’est cette connaissance que j’ai cherché à mobiliser à travers la réalisation du film La ville en nous. Cela passe par plusieurs dimensions : le choix du support argentique 16mm qui n’est pas étranger à la culture de l’image du quartier et aussi l’envie de travailler avec certain·es habitant·es, c’est en particulier le cas de Mireille dans mon film. Et puis j’ai également proposé à des groupes de jeunes gens d’intervenir directement sur le support de la pellicule pour le peindre, le coloriser. Vous pouvez découvrir une partie de ces expérimentations dans le film.
Propos recueillis par Caroline Le Maux pour Films en Bretagne, novembre 2023
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*Le cabinet photographique film de Neven Denis est visible sur Kub