Gilles Coirier et Souad Wedell font partie du collectif rennais des techniciens de l’animation en volume animé, “Happy Hands”. Un an après sa création, premier bilan, alors que s’ouvre le festival de l’animation à Bruz, où ils seront très présents. Et l’occasion également d’ évoquer les perspectives d’une animation bretonne en plein bouillonnement créatif.
Ils sont arrivés à l’animation par le même biais: une formation de 9 mois au volume animé, au sein d’ A.F.R.I.C.A. (Atelier de Formation, Réalisation et d’Initiation au Cinéma d’Animation), à Rennes, au mitan des années 90, alors animé par le CREA de l’Université de Rennes 2, et Yvon Guillon. A l’époque, ils n’auraient même pas osé en rêver… mais depuis, jouer avec des marionnettes articulées ou des personnages en pâte à modeler leur a ouvert les portes du cinéma, et est devenu un véritable métier. Puis, ils ont multiplié les expériences sur les films les plus divers: Souad a collaboré au Cyclope de la Mer, au Cid, à Ponpon ou encore Ruzz et Ben. Gilles a animé les Yaourts Mystiques, la Méthode Bourchnikov ou Les Escargots de Joseph…ils ont aussi chacun roulé leur bosse au-delà de la rocade rennaise: Souad, californienne d’origine, est partie au Portugal, Gilles le poitevin d’origine a essayé la Grande-Bretagne, Valence dans la Drôme, ou encore les Pays-Bas. Riches de leurs parcours, ils ont choisi de se poser définitivement à Rennes dans les années 2000. “ On est très fiers que le volume animé soit une spécificité rennaise, et on a envie de la défendre, même si bien sûr les autres techniques se développent ici aussi, ce qui est tout à fait souhaitable”, explique Souad. “Le volume animé, c’est un peu un truc de niche, une technique un peu plus chère, mais plus poétique « , complète Gilles. « A l’heure des images de synthèse tout azimuts, on a besoin de créer avec des choses plus concrètes, plus matérielles. Regardez, Wes Anderson l’a utilisé dans Fantastic Mister Fox, et Tim Burton y revient dans son dernier film !”
Voici un an qu’une dizaine de techniciens rennais se sont regroupés, et ont créé Happy Hands pour mettre en valeur leur savoir-faire bien particulier, héritage des montreurs de marionnettes d’autrefois. “Le déclencheur, cela a été une réunion organisée par Films en Bretagne. Toute l’animation était là. Cela nous a donné une énergie nouvelle pour fabriquer du collectif ”, raconte Souad. Jusque là, le milieu de l’animation rennaise était polarisé entre deux sociétés concurrentes, Vivement Lundi ! et JPL Films. Un clivage que ces techniciens, qui travaillent alternativement chez les deux producteurs, ont eu envie de dépasser. “Nous nous connaissons tous, nous travaillons en équipe, et avons senti un fort besoin de synergie. Cela est en train de se concrétiser ! Films en Bretagne nous aide à mettre sur pied des formations adaptées, par exemple celle sur l’acting corporel en septembre dernier, sur l’art de mettre en mouvement la marionnette. Tout le monde était enthousiaste. Une autre a depuis eue lieu sur la post-production. A venir, il y a une formation sur l’écriture d’une bible de série. L’association des professionnels nous aide aussi à faire vivre le nouveau site Anim’ en Bretagne. Les choses avancent.”
A leur actif propre, il y a l’opération Caravanim’: sur les festivals, une caravane accueille les personnages, décors et costumes des films déjà produits en Bretagne. Les animateurs sont là pour expliquer inlassablement leur travail. Le public apprécie, curieux et fasciné, les institutionnels sont ravis de la visibilité donnée ainsi à la production régionale. “Pour l’instant, cela ne nous a pas encore permis de trouver du travail supplémentaire”, concède Gilles, “mais c’est une vitrine pour l’animation rennaise en général. Nous sommes sur les réseaux sociaux. Après Bruz l’année dernière, et Annecy cet été, nous retournons au festival de Bruz ce mois de décembre avec notre caravane toute neuve. Pour mettre un peu d’âme bohème dans le festival ! Et nous ne désespérons pas d’attirer ainsi à Rennes de nouveaux projets ”. Souad renchérit: “ Notre savoir-faire a été par exemple apprécié par Emma de Swaef, l’auteur belge de Oh Willy, Cartoon d’or de cette année. Les décors ont été réalisés ici, grâce à une coproduction avec Vivement Lundi !, et Emma aimerait revenir à Rennes ! ”
Faire valoir ce savoir-faire est un enjeu important pour ces travailleurs de l’ombre, car pour eux, il n’est jamais acquis par avance d’assurer un revenu régulier, tout en restant implanté à Rennes. Gilles continue à faire des contrats en dehors de la Bretagne, une fois tous les deux ans en moyenne. Souad elle ne peut plus le faire, contrainte par ses enfants en bas âge. “ Ce qui est important, c’est que nous nous responsabilisions plus dans nos métiers, en étant plus moteur, sans esprit fataliste ”, résume la jeune mère de famille. “Il faut travailler, se professionnaliser encore plus. Pourquoi pas aller à la rencontre d’autres marchés que le film d’auteur pur et dur, voire d’autres partenaires « , évoquent pêle-mêle les deux animateurs en volume animé. Ils se réjouissent de la belle croissance des sociétés rennaises d’animation, qui ont augmenté notablement leur volume de production ces dernières années, grâce surtout à des séries télévisées.
Le projet Dimitri, écrit par Agnès Lecreux, une ancienne technicienne d’animation elle aussi, et porté par Vivement Lundi !, va ainsi amener beaucoup de travail sur Rennes: après un pilote accepté par France Télévision, un 26 mn en volume animé est prévu cette année, ainsi qu’une série 26 fois 3 mn. Et si une baguette magique pouvait réaliser quelques rêves dans le futur ? “ Ah…peut-être, un jour, un long-métrage rennais d’animation en volume animé ? Ça serait formidable ! ” s’enthousiasme Souad. Quand à Gilles, il écrit un projet personnel, dont on ne saura rien, motus ! Mais qu’il espère faire aboutir bientôt. Car les techniciens peuvent aussi cacher… des auteurs en devenir.
Brigitte Chevet