Le Groupe Ouest a dix ans, et cette fabrique d’histoires nichée tout au nord du Finistère, entre Plounéour Trez et Brignogan-Plage, enfile les succès comme des perles, qu’elle a découvertes et qu’elle continue de faire scintiller de mille et un feux. Depuis 2008, huit auteurs rejoignent tous les ans la très convoitée sélection annuelle du Groupe Ouest pour explorer les tréfonds de leur création en belle compagnie et avec méthode. Un véritable conte de Noël pour les auteurs et leurs scénarios, qu’on ne raconte jamais assez ni trop tôt – l’appel à projets est lancé, la deadline pour leur envoi est le 7 décembre ! Une sélection en cadeau que deux auteurs vivant et créant en Bretagne ont trouvé au pied du sapin en janvier 2016 : Gaëlle Douël et Raphaël Mathié.

 

Le Groupe Ouest n’en finit pas de faire parler de lui : cette année encore, nombreux sont les scénarios passés par leur sélection annuelle à avoir été couverts de lauriers – Divines de Houda Benyamina, Les Innocentes d’Anne Fontaine, Godless de Ralitza Petrova – tandis que d’autres projets sont passés par ce dispositif ou d’autres (Groupe Ouest Développement, Workshops) pour s’affiner, ou se concrétiser. Les candidatures affluent qui portent l’imaginaire et le désir des auteurs de suivre une voie qu’on jugera royale, et dont Gaelle Douël dit qu’elle « change la vie ». Quelques chiffres : 2016, 120 candidats, 8 projets retenus, 10 élus. Et dans la bande cette année, deux « Bretons ».

 

Ces guillemets figurent la marque d’une élection pour ces deux auteurs, celle d’un territoire géographique qui se trouve innervé par les méandres de l’écriture et du cinéma. Elle est bordelaise d’origine, c’est un homme de l’Est, et tous deux sont passés par d’autres voies, dont celle du journalisme à un moment de leur parcours ; et pour Gaëlle seule, par la désillusion, aussi, qui mène à l’ennui. Et puis il y a eu bifurcation et l’attrait des détours les a conduits au cinéma documentaire, à une collision en chemin avec cet art de la rencontre. Gaëlle Douël réalise, écrit, accompagne et forme dans ce domaine depuis 10 ans et la création de Ty Films à Mellionnec, avec son compagnon de l’époque, Jean-Jacques Rault.

Raphaël Mathié suit, lui, les conseils d’un ami, intègre les Ateliers Varan à Paris : « je ne sais pas pourquoi, le cinéma à l’époque ne me posait pas question, j’étais en construction. Mais j’ai suivi ce fil et j’ai trouvé ça magnifique. (…) L’image m’interpelle, me questionne. Sa puissance me fascine. Mes résistances sont plus du côté du narratif », confie-t-il. Gaëlle se situe à l’opposé de son acolyte, car c’est pour elle d’abord et surtout l’écriture qui l’a intéressée : « J’ai toujours écrit, depuis toute petite, j’adore ça. Et c’est vraiment cette étape du travail qui m’intéresse, y compris en documentaire : une fois que j’ai fini d’écrire un projet, c’est-à-dire d’explorer le sujet, de me poser des questions, de rencontrer des tas de gens passionnants, je suis beaucoup moins excitée à l’idée de traduire cette matière en images. C’est comme si tout s’étrécissait. C’est pourquoi j’aimerais être scénariste de fiction et pourquoi je n’ai aucun désir de réalisation. Rien ne m’excite plus que d’être à mon bureau avec des heures devant moi pour écrire. » Et voici Gaëlle embarquée sur un terrain qu’elle était bien décidée à ne jamais arpenter, celui de la fiction. Et concomitamment, déjà, celui du Groupe Ouest. Elle participe en effet une première fois à la sélection annuelle dès 2010, avec un projet intitulé « Au creux des femmes », qui n’a finalement pas abouti, parce qu’elle n’était « pas prête » et qu’elle ne se lançait pas dans cette aventure pour les « bonnes raisons », ce sont ses mots. « Il s’agissait d’une écriture que je qualifierais aujourd’hui de thérapeuthique, un projet pourtant tout aussi viscéral que celui que je porte cette fois, mais sans cette distance indispensable pour faire récit et partager son expérience. Cette distance que j’ai désormais. » Ce premier pas a provoqué un désir prégnant de fiction qui ne l’a plus quittée depuis. Six ans plus tard, elle se réengage pour 9 mois d’un accompagnement qu’elle qualifie de « 5 étoiles ». Elle loue « l’incroyable générosité de la part de l’équipe et de l’encadrement » et la finesse d’une réflexion de fond sur la meilleure façon de faire accoucher des auteurs de leurs projets : « tout est au service des projets et des auteurs et fait pour que des gens arrivent à faire quelque chose de leur imaginaire ! Quel luxe d’avoir toute une équipe dédiée à la mise en forme et en histoire de ce qui vous travaille. Cette dimension me touche beaucoup. Et ça marche, des films se font ! ».

 

La fiction suit aussi le documentaire pour Raphaël, bien que pour lui tout cela fasse cinéma. C’est l’image sa force, le son, son inspiration, inventer des dispositifs, donner une forme à son imaginaire et à celui de ses personnages, au bord du fantastique ou de la folie humaine, un tout poétique. Ses casquettes d’artiste peintre et de photographe, l’esprit du philosophe qu’il est aussi, et ce qu’il appelle « la radicalité » de sa vie, servent tous ses films. Celui en devenir pour lequel il participe à la sélection annuelle du Groupe Ouest, L’île, aussi. « On a une grande responsabilité en tant que cinéaste, qui est celle de la question posée. Car c’est la question qui importe, pas la réponse ; c’est elle qui doit guider notre point de vue, façonner notre relation au monde. » Alors qu’il travaille à un projet documentaire dont la scène est une forme d’île (un éperon rocheux et les âmes qui l’habitent), la résidence lui permet d’explorer la matière d’une fiction insulaire où quelque chose de très intime se joue qu’il n’identifie pas encore complètement. Là, il dit « apprendre à écrire », humblement, « apprendre à maîtriser les outils, la structure, à raconter une histoire qui tienne la route et à interroger son désir », autant de jalons passionnants sur une voie qui n’est cependant pas sans tensions ni retournements. « Heureusement ici, il y a des garde-fous, de l’intelligence et de la bienveillance. On entre dans une machine à déstructurer, on perd des choses pour les retrouver plus tard, ailleurs. Le seul danger, c’est l’assèchement, il faut être costaud pour ne pas perdre le nord. »
Gaëlle aussi souligne combien ce cadre est important, de même que le collectif, qui est au cœur du dispositif. « Cette pensée du collectif au Groupe Ouest est très stimulante. J’ai aussi une confiance absolue dans les consultants qui sont là pour nous bousculer. Je ne me dis jamais qu’ils peuvent avoir tort ou que je suis incomprise. Je m’en remets à eux dans l’optique de rendre toujours plus fort le projet. »

La dernière session de cette sélection 2016 avait lieu en octobre dernier et les projets de nos Bretons ont pu friser le chaos ; ils n’ont en tout cas pas échappé aux retournements évoqués. N’en citons qu’un qui concerne les deux projets : lors de ce rendez-vous ultime avec l’estran, Fatum (devenu Taureau, titre encore provisoire) et L’île, ont vu leur personnage principal changer – ce qui induit une révision assez radicale de chaque copie, structure, quête et issue comprises – puis revenir en force en réhabilitant l’ancienne distribution. « Il fallait simplement que j’en passe par là pour renforcer les personnages principaux », constate Raphaël.

 

Ces nouvelles clés portées par l’océan, permettront sans doute aux projets de mieux prendre le vent, à l’heure où il est bientôt temps de quitter Brignogan (1) et de laisser la place à huit autres projets, huit nouveaux talents.

Gaell B. Lerays

(1)  Après 3 sessions d’une semaine en immersion à Brignogan-Plage, un suivi tout au long de l’année et des rendez-vous phares avec les partenaires du Groupe Ouest et des professionnels, les auteurs ne sont pas lâchés dans la nature. Gaëlle Douël compte d’ailleurs s’appuyer sur le réseau du Groupe Ouest pour trouver un réalisateur qui soit intéressé par son scénario. Grâce à cette résidence, elle a par ailleurs déjà entamé des collaborations en tant que scénariste avec des réalisateurs bretons : Avel Corre et Guillaume Kozakiewiez.

Gaëlle et Raphaël nous ont fait le cadeau de nouveaux résumés et de textes libres, faisant état de là où ils en sont après 9 mois d’exploration accompagnée au Groupe Ouest.

L’île, de Raphaël Mathié

Synopsis :

« Lucas, la quarantaine sonnée, habite sur une petite île dans l’embouchure d’un fleuve côtier ; il bricole, braconne, vit reclus avec ses livres et ses fantômes, oubliant presque pourquoi il s’y est réfugié. Mais sa rencontre avec Angela, une jeune femme du pays, trouble et affriolante, patronne d’une casse des environs, va réveiller ses démons et tout précipiter. »

Note de l’auteur « où j’en suis » :

« J’ai l’impression de parcourir un cercle, de revenir plus structuré, plus affiné, à mon désir premier : raconter une histoire d’amour et de rédemption entre deux personnages que tout oppose, deux écorchés vifs qui portent une blessure originelle, qui vont vivre un rocambolesque voyage initiatique et se confronter au miracle. »

Taureau, de Gaëlle Douël

Synopsis :

« Noémie, 45 ans, est éleveuse de vaches à viande en Centre Bretagne. Elle travaille avec Pierrick, son mari, aussi absorbé par son boulot qu’incapable d’exprimer ses émotions. Alors que Franck, leur fils cadet (16 ans) rêve de s’installer sur la ferme familiale, Tim, l’aîné (18 ans) vient d’être sélectionné en sport-études rugby, à l’autre bout de la France. Pour Noémie, ce départ est douloureux. D’autant plus, qu’ils vont devoir se serrer la ceinture pour payer ces études. Délaissée par son mari, écartelée entre les besoins de ses fils et de ses bêtes, Noémie maintient le cap, tant bien que mal. Mais un matin, en arrivant dans la stabulation, elle découvre Pierrick à terre, sans vie, piétiné par Rouge Lim, le meilleur taureau de l’élevage. Noémie est bouleversée, elle se retrouve seule avec deux ados et 60 vaches. Pour venger son père, Franck veut abattre le taureau, c’est la règle et Noémie la connaît : l’animal peut recommencer, il faut le tuer. Mais elle doute. Ce taureau, c’est son meilleur reproducteur, son gagne-pain. Sans lui, l’avenir de sa ferme est compromis. Pour que Tim puisse réaliser son rêve de rugby, il faut qu’elle arrive à payer ses études et pour que Franck puisse s’installer, elle doit sauver la ferme. Par amour pour ses fils, Noémie décide  de garder le taureau funeste. Mais cette décision va bousculer la trajectoire de vie de chacun d’eux. »

Note de l’auteur « où j’en suis » :

« Même si j’avais le désir que la figure du taureau soit centrale dans la première version de mon projet, elle n’était finalement qu’un élément périphérique, utilisé par et pour mes personnages. Au fil des sessions de travail, les consultants m’ont amenée à exploiter cette idée forte du taureau du point de vue de la narration, à en faire un véritable enjeu en le remettant au cœur de mon récit. Le taureau est aujourd’hui le révélateur de mes personnages ; ils peuvent maintenant habiter leurs tiraillements et prendre une nouvelle ampleur. »

Pour répondre à l’appel à projets pour la sélection annuelle, rendez-vous sur cette page !

Attention, date limite le mercredi 7 décembre 2016.