Le metteur en scène Massimo Furlan décide de rejouer avec des comédiens le match mythique France / RFA à Séville en 1982… Une tragédie française que cette performance filmée par Serge Steyer au stade rennais, une aventure collective qui se joue devant nos yeux et dans nos arcanes mémorielles.
Pour ce retour d’écran, une lettre au réalisateur de Les aventuriers du match perdu : il est question autant du film que de ce qu’on y retrouve, il est question autant des tragédies de l’histoire que de sa comédie, il est question autant d’une histoire en train de se faire, que d’une histoire toujours en train de se faire…
Je n’ai pas pu m’empêcher ce jeu de mot idiot… j’y reviendrai… . En effet, j’étais là devant mon poste, j’avais huit ans, pris dans la fièvre de tout un quartier qui hurlait dans la chaleur de l’été… Ce souvenir entre en collision avec bien d’autres, qui font ce que Serge Steyer nomme habilement nos arcanes mémorielles. Revenir dessus ne peut être qu’un exercice profitable (pour reprendre les mots d’un autre Serge !).
A PROPOS DU FILM (par Franck Vialle)
à venir
LE FILM
Ils sont quatorze, autant de femmes que d’hommes, jeunes et moins jeunes, à avoir répondu à l’appel de Massimo Furlan, un metteur en scène helvético-italien venu les entraîner dans une étrange aventure : rejouer la demi-finale de la coupe du monde de football 1982, un match mythique entre la France et l’Allemagne de l’Ouest. Les Aventuriers du match perdu raconte le cheminement de ce groupe hétéroclite au fil d’une expérience mi-théâtrale mi-sportive, dont le point d’aboutissement est un spectacle donné au Stade Rennais qui fera office de stade Pizjuán de Séville, foulé par Platini, Rocheteau, Giresse, Trésor, Battiston… devant une foule de supporters transportés quarante ans en arrière pour revivre la défaite héroïque de la France commentée par Thierry Roland et Jean-Michel Larqué.
2022 • documentaire • 52 minutes
Réalisation : Serge Steyer • Écriture : Serge Steyer, Stéphane Manchematin • Image : Serge Steyer, Fabrice Richard, Hervé-Jacques Passard, Guillaume Kozakiewiez • Son : Patrick Rocher, Mathieu Lefort, Pierre-Albert Vivet • Montage : Cédric Jouan • Musique originale : Catherine Fender • Montage son / Mixage : Lionel Thiriet • Étalonnage : Gautier Gumpper • Production : Ana Films (Milana Christitch) / Les Films de la Pluie (Sylvie Plunian) avec la participation de TébéO/TébéSud, TVR, France 3 Bretagne (l’Heure D) et les soutien du CNC, de Strasbourg Eurométropole, des Régions Bretagne et Grand Est, de la Procirep et de l’Angoa
LE RÉALISATEUR
Le parcours de Serge Steyer en tant qu’auteur et réalisateur commence dans les années 1980.
Sa filmographie comporte aujourd’hui plus d’une trentaine de films documentaires : portraits d’artistes, démocratie locale, politique, écologie… Les sujets sont divers, mais toujours engagés. Ses films sont une recherche de solution, une dénonciation de ce qui ne fonctionne pas, mais aussi une dénonciation de la façon dont les intérêts privés s’opposent à l’intérêt général et comment les blocages culturels empêchent de changer la donne.
Depuis 2004, Serge Steyer a également consacré une part grandissante de son temps à Films en Bretagne, puis à KuB dont il était le directeur général jusqu’en septembre 2022. Fondateur d’un ciné-club au Bono dans le Morbihan, il a aussi été engagé dans diverses formes de l’écologie pratique.
INTENTIONS (sources KUB)
Le football est un jeu d’enfant, un rêve de petit garçon qui se voit devenir un géant du stade, irrésistible dribbleur, buteur sans pitié, sauveur de la nation, héros devant l’éternel. Il arrive que le rêve persiste à l’âge adulte ; c’est le cas de Massimo Furlan. Fils de paysan suisse italien, fan du Calcio, il voit les matches en écoutant les radiocronisti, l’oreille collée à son poste. Comme d’autres gosses, il rejoue les actions dans sa chambre, plongeant sur son lit pour détourner un tir adverse, aussitôt consacré héros du jour, porté aux nues. J’ai fait sa connaissance lors de la représentation de sa pièce Nocturne, lors du festival des Tombées de la Nuit 2017. On me l’avait présenté comme un gars sympathique, d’un abord facile, doté d’un sens de l’humour et de la dérision, à l’image de ses créations.
Nous sommes de la même génération et du même coin : Massimo est de Lausanne, moi de Strasbourg. Enfant, nous partagions cette manie de nous projeter par l’imagination dans des phases de match entendues à la radio ou vues à la télé. J’affectionne aujourd’hui, comme lui, l’idée que l’art surgisse là où on ne l’attend pas, dans notre quotidien, et qu’il régénère notre capacité à nous émerveiller et à nous questionner.
À l’automne 2018, Claude Guinard, le directeur artistique des Tombées de la Nuit me parle du Cauchemar de Séville qu’il compte produire au printemps 2020. Il m’a d’emblée intrigué par sa manière de raconter la pièce. J’ai compris qu’il y avait là matière à récit et à réflexion sur cette question du réel et de sa représentation.
Moi aussi, j’ai été de ceux qui, gamins, ont fait du foot. J’ai été un piètre joueur et un supporter mitigé. Mais le suspense et la dimension métaphorique du foot m’ont toujours fait rêver. Je ressens, aujourd’hui encore, la jouissance que représente l’idée de traverser comme par magie la défense adverse pour pousser le ballon dans les filets. Ne pas tomber, embrouiller l’adversaire par des feintes de corps, conjuguer puissance et souplesse pour perforer la défense adverse. La satisfaction absolue, une forme d’accomplissement, souvent contredite par les faits : la balle s’échappe de vos pieds, un adversaire vous tacle, l’arbitre n’a rien vu… les revers du destin.
Identification au héros, vertige du temps qui s’écoule et s’inscrit dans les corps, l’injustice comme une blessure qui peine à cicatriser… Les Aventuriers du match perdu est ainsi un film émouvant, par l’implication physique et psychologique des participants. Mais aussi un film mythologique par la dimension tragique du match, et de ce qui peut ressembler à une fatalité. Car l’expérience performative du Cauchemar de Séville nous invite à fouiller un souvenir traumatique et enthousiasmant, tragique et drôle, violent et poignant. Tous autant que nous sommes, nous nous surprenons à croire que la victoire est malgré tout possible, ne serait-ce que pour que l’issue de la bataille soit conforme à nos désirs.
Ainsi, bien au-delà de la restitution d’une création, Les Aventuriers du match perdu est pour moi un voyage dans les arcanes mémoriels, au plus près des personnages engagés dans un processus de reproduction/réincarnation.
Le match de Séville s’est joué à une époque où la suprématie du football allemand supportait peu de contestation, et où le foot français, sortant de deux décennies de léthargie, commençait à peine à croire en ses chances. En juillet 1982, les Allemands dominent d’emblée et prennent l’avantage. Mais, au fil du match, les Français inversent la tendance. À vingt minutes de la fin des prolongations, ils mènent 3 à 1 ! Pour le public, pour les médias, le moment est historique. Mais les joueurs allemands, stoïques, reprennent le jeu en main. Marquent, puis égalisent, et finissent par éliminer la France aux tirs au but. L’échec sublime ! Malgré la défaite, cette rencontre a marqué l’entrée des Bleus dans le cercle des grandes équipes nationales. Et, au-delà de l’immense déception, l’issue du match a fait émerger des ressentiments aiguillonnés par un traumatisme encore vivace.
Mais il se trouve qu’il y a aussi matière à rire dans le Cauchemar de Séville. Indispensable drôlerie, pour mieux nous replonger ensuite dans le drame ; si Furlan laisse entrer le burlesque dans sa pièce au risque de fissurer le rêve, c’est qu’il est viscéralement attaché à son âme d’enfant. Ce parti pris explique pourquoi il choisit de ne pas faire jouer cette pièce par des danseurs ou des sportifs professionnels. Il veut des êtres plus incertains, pour modifier l’image d’un sport viril, réservé aux superchampions. Ce qu’il revendique, c’est un football ludique, social, comme il l’était encore en 1982. Il ne veut pas de footballeurs qui soient des icônes publicitaires inatteignables. Pour lui, le foot, c’est aussi une fête populaire, un cirque…
Le Cauchemar de Séville est la consécration de sa vie de supporter. C’est aussi le point d’aboutissement de 20 ans de perfo-foot, lors desquels il a joué sur les plus grands stades européens, en solo, puis en duo, avant de confier le jeu à des habitants. Les quatorze habitants de Rennes qui ont été recrutés début 2019 sont à l’image de la collectivité dont ils sont issus, une métropole française d’un demi-million d’habitants qui compte ses enracinés, d’anciens Bretons des campagnes, ou d’autres, qui viennent de loin, parfois d’un autre continent. La constitution de l’équipe s’est faite par cooptation, dans les cercles des Tombées de la Nuit, artistes et interprètes amateurs ou professionnels, du Stade rennais aussi, supporters, staff… et des acteurs de la vie sociale de la ville. Pour la représentation du Cauchemar de Séville, Claude Guinard et Massimo Furlan ont quant à eux décidé d’endosser le rôle des brancardiers qui viennent exfiltrer Battiston, gisant inconscient sur la pelouse de Séville.
Par ailleurs, le public, réuni dans les tribunes du stade, est un acteur à part entière du Cauchemar de Séville. Il est invité à jouer le rôle des supporters. Un fanclub et une buvette sont créés pour l’y préparer. Et puis, il est soumis à une double sollicitation : celle du réel dans le stade, sur la pelouse et dans les tribunes, l’autre par le poste de radio collé à l’oreille, d’où sortent les commentaires des journalistes également installés dans les gradins. À la fin de la représentation, les spectateurs s’attardent dans la tribune pour atterrir, évoquer, un verre de bière à la main, l’expérience qu’ils viennent de vivre : un voyage dans une machine à remonter le temps, qui les a ramenés, pour la plupart, à leur jeunesse. Ils en sont d’autant plus troublés qu’ils ont revécu l’immense espoir et le sentiment d’injustice, qu’ils ont oscillé entre excitation et chagrin, mentalement mais physiquement aussi. Pris entre réel et fiction, ils ont cheminé dans leurs émotions, hantés par la peur de perdre. Ils sont rincés, et émus aux larmes.