Mémorable, le bien nommé court métrage réalisé par Bruno Collet et produit par la société rennaise Vivement Lundi ! n’en finit pas, depuis sa sortie en juin, d’être distingué. Après son prestigieux Cristal au Festival international d’Annecy, éloges et récompenses saluent sans relâche le savoir-faire du réalisateur breton et de sa fidèle équipe, à mesure que le film parcoure les festivals du monde entier. Retour sur une collaboration gagnante, avec Jean-François Le Corre et Bruno Collet.
Mémorable ! Le titre est à la hauteur du palmarès affiché par le film de Bruno Collet quatre mois seulement après sa sortie. Tout avait commencé très fort quand, au Festival international d’Annecy, le court a décroché 3 prix dont le Cristal, Graal de la discipline, et l’un des Prix spéciaux. « Historique ! », Bruno Collet et Jean-François Le Corre réfléchissent ensemble : la performance d’une telle triplette a-t-elle des précédents dans l’histoire du festival ? « Michael Dudok de Wit peut-être », concède-t-on. Mais quand-même, quel coup ! Et ce n’est qu’un début. A Rio, le film est présenté à Anima mundi, le plus gros festival d’Amérique latine : nouveau jackpot – « on refait une triplette ! » – avec un Prix de la direction artistique et deux Prix du public. Ensuite, logiquement, les festivals se suivent et l’accueil est le même : excellent. Italie, Ukraine, Russie (où le film remporte le Grand Prix du Festival international de Krok), Espagne, Royaume-Uni, Corée, la Suède et son festival d’Uppsala « qu’on n’avait pas fait depuis des années car leur sélection se limite à 4 films français ». 40 sélections sont enregistrées d’ici fin novembre et Mémorable totalise à ce jour pas moins de 20 prix à l’international. Le film se réserve en parallèle une belle exposition sur les écrans des festivals de court métrage en France avec, d’ici la fin d’année : Villeurbanne, Sarlat, Aix ou Les Arcs. En Bretagne, on verra notamment le film au Festival européen du film court de Brest, où il est programmé en Panorama. « L’animation ne rentre pas dans les compétitions », regrette le producteur quand il regarde du côté de Clermont, où « cela fait deux fois que le Grand Prix national est remporté par un film d’animation ».
Pour autant, Mémorable n’est pas en reste et « les festivals n’ont pas oublié Bruno », confie Jean-François Le Corre. Ce qui s’annonce, « c’est une carrière à la Petit Dragon », un précédent court signé Bruno Collet qui avait déjà cassé la baraque. Véritable «blockbuster», ce film hommage à Bruce Lee « a fait 200 festivals ». Cette fois, néanmoins, « c’est différent, encore plus fort, et plus grand ». Normal, « avec le Cristal tu commences en héros », s’amuse Bruno Collet. Et en effet, le prix savoyard ouvre une voie royale. Grâce à lui, « le film est automatiquement éligible aux oscars. L’Académie a réceptionné notre candidature et nous attendions avec curiosité les premiers retours des festivals U.S. et canadiens ». Et les augures sont bons, là aussi, avec une Première nord-américaine au Festival StopMotion de Montréal gratifiée du Prix du public et, à la suite – toujours décerné par le public – le Prix du court métrage d’animation au COLCA de Los Angeles et le Prix (du public, encore) au Festival du Film de Calgary.
« Ce film voyage très bien », se réjouit son producteur. Et c’est somme toute « assez logique. Mémorable, c’est sérieux, plus poussé d’un point de vue technique que ce qu’on a fait jusque-là. En dix ans, on a progressé sur la stop motion ». Ce succès c’est la récompense d’un savoir-faire patiemment mûri au creux des studios rennais. C’est aussi une pierre (blanche) dans le jardin du producteur, pas très enclin, au départ, à suivre son complice de vingt ans. « Le court pour toi c’est fini ! », lançait-il alors au réalisateur qui – ayant largement fait ses preuves – était attendu sur un format plus ambitieux. C’était d’ailleurs un chantier en cours puisque le binôme développait « un long métrage en même temps qu’un spécial tv ». Mais sans aboutir auprès des diffuseurs. Résultat, « 4 ou 5 ans de creux » pour le réalisateur qui se languissait de remettre la main à la pâte. Et qui finira par attendrir son producteur.
« Je voulais faire un film sur Alzheimer. Je suis tombé sur le tableau d’un artiste qui a continué à peindre quand il est tombé malade. J’ai trouvé intéressant de se mettre dans sa tête, celle de l’artiste et du malade » raconte Bruno Collet. A ce moment là, Jean-François – qui avait baissé sa garde – tend une perche : « France 2 cherche un truc un peu fantastique. Ce n’est pas vraiment le registre ici mais on n’est pas si éloigné ». Sollicitée, la chaîne est partante quoique réservée. « Ils avaient un peu peur, voulaient de l’humour. Moi, je ne voulais pas me moquer du malade, donc le moyen que j’ai trouvé pour injecter de la drôlerie c’est que ce soit le malade lui-même qui utilise l’humour pour se cacher de la maladie », reprend Bruno. Et si chacun peut retrouver dans Mémorable l’histoire d’un proche, une figure a particulièrement inspiré le cinéaste : celle de Peter Falk (qui incarna l’inspecteur Colombo). « Le comédien souffrait sur la fin de sa vie d’Alzheimer. Il peignait, enfermé. Un jour il a réussi à sortir et s’est perdu. Je suis tombé sur des photos de cet épisode, ou on le voit, en colère, hors de son décor. Dans Mémorable, j’ai fait la même chose, reproduit pour le personnage, un univers à lui, sa chambre, protectrice, hors de laquelle il perdrait pied. »
Le puissant désir de film du réalisateur et l’intérêt du diffuseur ayant vaincu les réticences de la production, on s’est donc mis au travail chez Vivement Lundi !. Mathieu Courtois, producteur associé, est une nouvelle fois de la partie. Dans la collaboration, le film passe de 16 à 13 minutes, «avec des trucs que je lâche, d’autres pas», se souvient Bruno Collet. « Sur ce film, les partis pris sont très forts, avec des ellipses assez complexes. On s’est beaucoup interrogé pour savoir si cette architecture allait fonctionner. En animation, on écrit le film, on le découpe au story-board puis on boulonne le tout à l’animatique. C’est à ce stade que Christophe Taudière (France Télévisions) a pointé quelque chose qui ne marchait pas et qu’on a corrigé. » Pourtant, relativise, taquin, le réalisateur : « en stop motion, on a quand même une latitude plus grande par rapport au dessin animé où tout est calé à l’avance. Donc, même si on a validé le ‘story’ et l’animatique, il peut y avoir des changements. Je peux me lever un matin en me disant que la lumière à laquelle je pense serait bien mieux que celle que j’avais prévue pour éclairer la scène à tourner ». Car, sur le plateau, règne le réalisateur et ses options techniques. Ici, on est formellement proche de la matière couramment mise en scène par Bruno Collet. Il restait tout de même à inventer. Il a notamment fallu recourir à un masque « qu’on clipse pour changer l’expression des personnages ». « On a un tel détail sur les peintures qu’on n’aurait pas pu raccorder sans avoir une vibration » explique le réalisateur, « il fallait un visage souple ». Les doigts d’or et l’ingéniosité de l’équipe ont opéré, produisant rotules et clapets sur mesure pour équiper les personnages en mousse de latex créés par Bruno. « Au final, notre système est limité et donne un rendu un peu hypnotique par contraste entre la bouche des personnages et les regards, travaillés de façon réalistes et qui, contrairement au reste, ne varient pas du début à la fin. »
Cette esthétique très particulière, au service d’un sujet difficile, universel, et la sensibilité avec laquelle le réalisateur peint l’effacement de l’être conscient, touchent tout particulièrement et invariablement les spectateurs. « Le public applaudit, on a vu des gens pleurer. Des cliniciens nous ont dit combien c’était exactement ce qu’ils observaient chez les patients », rapporte Jean-François Le Corre. Ce film est donc à large spectre. « Il touchera aussi bien les scolaires qu’il servira aux associations. Il a la faculté de déclencher la parole sur la question du vieillissement et des maladies neurodégénératives ». Un tel engouement du public a de quoi rasséréner la production en proie au doute, parfois, sur la création stop motion. Jean-François Le Corre confirme : « Pour du court métrage, c’est la technique la plus chère et ça fait 20 ans qu’on se pose la question d’arrêter. Mais quand tu vois les critiques, sur Mémorable bien sûr, sur Dimitri également, il y a, avec l’animation volume, quelque chose de presque tactile qui est irremplaçable ! »
Marie Esnault