Pour la 5ème année, le festival rennais Travelling propose un concours d’adaptation de nouvelle littéraire au cinéma. Seul de ce genre en France, il est soutenu par la Fondation Beaumarchais et la Maison du Film Court. Les auteurs inspirés ont jusqu’au 1er décembre 2012 pour déposer leur copie à Clair Obscur, l’association organisatrice. Et cette fois, thématique écossaise du prochain festival oblige, c’est « Le jeune homme aux tartes à la crème », de Robert Louis Stevenson, qui devra être transposé dans une forme cinématographique contemporaine. Traduire ou trahir, comment faire ? Explications de Mirabelle Fréville, en charge du concours.
– Pourquoi créer un concours d’adaptation de nouvelle littéraire en court-métrage ?
– Mirabelle Fréville : Nous avons inauguré ce concours pendant Travelling Jérusalem en 2008, avec l’auteur contemporain Etgart Keret, également cinéaste. Avec l’envie non seulement d’être des diffuseurs de cinéma, mais aussi de stimuler la création. Et de faire découvrir des auteurs ! On a un grand plaisir à voir les projets grandir à nos côtés. L’adaptation d’une nouvelle, qui plus est de littérature étrangère, c’est aussi ouvrir de nouvelles fenêtres. On a envie de voir se renouveler les univers, les sujets de courts-métrages, qui tournent souvent autour des mêmes thèmes : les premiers amours, les amis, la famille…
– Vous avez la réputation de proposer des textes pas faciles à transposer ! Est-ce vrai ?
– Peut-être, mais en 2010, quand on a choisi un texte plus « simple », on a reçu presque 80 fois le même scénario ! Difficile dans ces cas-là de choisir le meilleur ! Si le texte est déjà un film évident en lui-même, je ne vois pas l’intérêt. Il faut pouvoir trier, sacrifier des éléments ou des personnages, transposer d’une époque à une autre, réécrire des dialogues, transformer même parfois l’histoire. On doit se sentir libres, y mettre son grain de folie, oser, du moment que l’on s’inspire d’un univers. Par exemple, j’ai été frappée par l’adaptation que le film De rouille et d’os a faite du travail littéraire de Craig Davidson. Le scénario du film mélange deux de ses nouvelles, le héros amputé est devenu une héroïne, ce n’est plus le neveu mais le fils qui tombe dans la glace, l’histoire ne se passe plus aux USA mais à Nice, etc…pourtant, on retrouve vraiment son univers romanesque dans le film ! Et lors de notre concours de nouvelles, il est arrivé que le lauréat change la fin de l’histoire. Pourquoi pas, si cela améliore le récit ?
– Pourquoi R.L. Stevenson, un classique de la littérature d’aventure ? Et pas un auteur contemporain comme les années précédentes ?
– Peu d’éditeurs se lancent dans la nouvelle. J’ai cherché de jeunes auteurs contemporains écossais, traduits en français ; j’en ai trouvé très peu, et leurs textes ne m’ont pas convaincue. Stevenson est un géant du XIXème, un type à part, en rupture avec son milieu bourgeois, athée et bohème, qui a commencé à écrire à 6 ans ! Et dans la programmation du festival, il y aura des films tirés de ses romans, dans Travelling Edimbourg/Glasgow que dans Travelling Junior. Cela donne donc encore plus de cohérence à l’événement. La nouvelle que nous proposons d’adapter est la première partie d’un recueil intitulé Le club du suicide. Elle s ‘appelle Le jeune homme aux tartes à la crème. C’est un univers très particulier, qui foisonne d’idées, il va falloir trier !
– Comment choisissez-vous vos lauréats ?
– Nous avons un groupe de lecteurs, des professionnels du cinéma, qui se partagent les dossiers. La lecture se fait de manière anonyme, comme au bac, les noms sont masqués et nous découvrons qu’à la fin de cette présélection qui a écrit quoi. C’est parfois très surprenant, on a l’impression de sentir la patte d’un ancien de la Fémis, puis on tombe sur un étudiant en première année d’histoire, sans expérience de cinéma ! Nous faisons d’abord une présélection de ce que nous jugeons des 12 meilleurs scénarios, que nous lisons en commun, et enfin nous sélectionnons les 4 meilleurs. Nous leur offrons la possibilité durant le mois de janvier d’être retravaillés, avec l’aide d’un scriptdoctor. C’est important, car les histoires peuvent beaucoup évoluer durant cette réécriture. Puis nous transmettons au jury final, composé d’un réalisateur, d’un producteur, un écrivain, un représentant de la Fondation Beaumarchais et un de la Maison du Court. Les 4 auteurs présélectionnés sont invités à Travelling. Le jury délibère pendant le festival, en février. L’auteur de la nouvelle, s’il est vivant, est présent. C’est drôle, car c’est celui ou celle en général qui a le plus de mal à se décider pour telle ou telle version…
– Que gagne le lauréat ?
– 1500 euros pour développer son projet, et l’aide active de la Maison du Film Court. L’auteur de la nouvelle reçoit lui une aide de 3000 euros pour les droits d’adaptation, versés par l’association Clair Obscur. Nous aimerions progresser dans ce que nous avons à offrir, et nous développons dans ce but de nouveaux contacts. C’est le seul concours de ce genre en France, qui incite à passer de la forme littéraire courte à la forme cinématographique courte.
– Quel est le bilan de ces 4 premières années, où en sont les lauréats ?
– Celui de 2008, Gaël Naizet, a fini son film intitulé Quidam, il a été diffusé l’année dernière à Travelling. Celui de 2009, réalisé par Gwendal Quistrebert, est en cours de tournage. Nous espérons bien découvrir le film achevé au cours du prochain Travelling. Les deux autres sont en production ou en passe d’être signés. Donc c’est très positif !
– Deux Brestois, une Nantaise parmi les 4 premiers lauréats, c’est un hasard ou vous ciblez l’Ouest de la France ?
– Nous communiquons sur toute la France, et les propositions arrivent de partout aussi. Même si c’est normal que nous soyons plus connus dans l’Ouest…et que nous nous réjouissons si nous pouvons contribuer au cinéma en Bretagne. Cette année, nous avons communiqué sur le concours plus tôt, avant l’été, pour donner plus de temps à l’écriture. Mais il n’est pas trop tard pour lire la nouvelle et se lancer…
Propos recueillis par Brigitte Chevet
Photo: la remise du prix à Liza Diaz, lauréate 2012 du concours.