La société Stank, un étang à écosystème fertile


Pour transporter le matériel il y a des tournages avec camion(s), et des tournages sans camion. Stanley Kubrick était un réalisateur dont le travail pouvait nécessiter de nombreux camions. En revanche celui de Stan Brakhage n’en nécessitait aucun. Les producteurs et réalisateurs de la société brestoise Stank ont voulu témoigner de leur amour égal entre ces deux pratiques en réunissant le « Stan » de Brakhage et le « K » de Kubrick. En langue bretonne, Stank peut aussi signifier une petite retenue d’eau, un étang. À l’aune de la sortie prochaine de leurs deux premiers longs métrages de fiction, rencontre avec l’un des quatre tritons évoluant dans cet écosystème singulier…

 

Films en Bretagne : Quelle est l’histoire de la création de Stank ?

Pierre-Emmanuel Urcun : Avec Roy Arida, Vincent le Port et Louis Tardivier, nous voulions nous dire que nous étions des auteurs mais aussi des fabricants. Stank est une société de production classique, nous ne réinventons pas la poudre, mais nous avons la particularité de porter une double casquette de réalisateurs et de producteurs. On avait un peu tous vocation à porter et à écrire nos propres projets. Lorsque l’un écrit, l’autre va l’accompagner dans la production ou en tant que technicien. Nous sommes des réalisateurs très proches de nos productions et ça, c’était le point de départ de notre réunion. On s’est donné cette liberté sur le format court qui est un très beau laboratoire, on y a fait nos gammes ! Par ailleurs nous accompagnons aussi des amis ou des réalisateurs dont nous aimons le cinéma…

Tous les quatre vous pratiquez des cinémas extrêmement différents…

Oui ! Nous sommes très différents même si nous partageons un peu le même profil scolaire. Vincent, Roy et moi avons fait la Fémis, et Louis vient des Gobelins. Et même là il y a des nuances entre nous, Louis travaille dans l’animation, Roy et Vincent étaient tout de suite plus réalisateurs et moi j’étais dans le département production de la Fémis.

Aujourd’hui vous êtes tous les quatre producteurs, comment avez-vous fait pour apprendre ce métier ?

La définition du mot « producteur » est très vaste, je pense qu’il y a autant de producteurs que de profils de producteurs. Pour les profanes, le producteur c’est celui qui a l’argent. Nous, nous n’en avons pas. Mais nous sommes chanceux parce que nous venons de France et qu’il y a un écosystème vertueux pour le financement du cinéma qui associe subventions publiques et partenaires privés qui permet à des gens sans moyens d’être producteurs de leurs œuvres. Alors, on a appris sur le tas à accompagner un auteur de la genèse de l’œuvre à sa diffusion… C’est la meilleure définition que je puisse donner du mot producteur. Trouver de l’argent ça fait partie du jeu mais il s’agit aussi d’accompagner quelqu’un et de le mettre dans les meilleures dispositions possibles pour qu’il puisse se réaliser et réaliser un film. Cela passe par constituer des équipes humaines, créer une collectivité et une collectivisation de moyens.

Sur le tournage de Bruno Reidal de Vincent le Port
Sur le tournage de Bruno Reidal de Vincent le Port © Stank

 

D’où vient l’implantation de votre société à Brest ?

Tous les quatre venons de divers horizons. Moi je suis de Brest et il était plus simple pour plein de raisons et notamment symboliques de s’y implanter. Vincent qui vient de Saint-Grégoire est l’autre breton de l’équipe. Et après Roy est libanais et Louis est toulousain. Et tous nos premiers films on les a fait en Bretagne… Notre implantation à Brest nous paraissait  logique, évidente.

Développez-vous vos films avec le Groupe Ouest ?

À titre individuel, Vincent avait participé à la sélection annuelle du Groupe Ouest en 2011 pour le projet de long métrage Le continent noir. De mon côté j’avais participé à la sélection annuelle du Groupe Ouest en tant que jury en 2012. Ce sont de bons amis et connaissances, des voisins. Nous avons d’autres amis cinéastes qui y sont allés et on connait très bien ce qu’ils font. Nous organisons de notre côté des résidences et nous n’avons pas la même méthodologie. Le Groupe Ouest a un savoir-faire en matière d’accompagnement à l’écriture ou même parfois dans l’accompagnement à la production. Lorsque nous faisons des résidences nous sommes avant tout dans l’écoute. Nous travaillons de façon plus informelle.

J’imagine que l’association de quatre auteurs/producteurs au sein de Stank est déjà une forme de résidence non ? Les écoutes et retours paraissent disponibles rapidement…

C’est vrai et c’est probablement notre force, notre petite sauce à nous, le développement. C’est une étape qu’on aime bien, à quatre on fait tourner beaucoup d’idées, beaucoup de retours. Les auteurs ne sont pas seuls. On sollicite aussi des avis extérieurs.

 

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Vous allez sur vos huit ans d’existence, cela fait donc un moment que vous travaillez ensemble. Arriverais-tu à formuler ce qui fait lien entre vous ? Une connivence intellectuelle ou esthétique par exemple ?

C’est paradoxal dans la mesure où nos cinémas sont très différents. Il n’y a aucune logique ! Pas de dogme ni de côté Nouvelle Vague… En revanche on se nourrit les uns des autres… Les exigences, le regard et les attentions que chacun porte sont autant de chose qui nourrissent nos cinémas respectifs à territoires personnels.

C’est ce qui est très agréable dans vos productions, cette variété de cinémas…

Oui, des amateurs du travail de Vincent ou même de celui de Roy peuvent ne pas du tout apprécier le mien… Notre association peut paraître improbable. Moi je travaille plutôt la comédie et je suis un peu le seul à le faire. Cela n’empêche pas que les autres pourraient se plonger dans cette pratique si l’envie leur prend.

Vous êtes sur le point de sortir vos deux premiers longs métrages de fiction, Sous le béton de Roy Arida et Bruno Reidal de Vincent le Port. Le ressentez-vous comme un cap de franchi pour votre structure ?

Cela témoigne d’une étape, oui. Roy avait déjà produit un long métrage documentaire sorti en 2017, Je vois rouge de Bojina Panayotova. Film d’une franco-bulgare qui se frotte à son passé familial, soutenu par la Région Bretagne. Je souligne cela car c’est ce que la région nous permet de faire, d’aller accompagner des cinémas d’ailleurs. Pour moi cette curiosité existe en Bretagne et des cinémas n’existeraient pas s’ils n’obtenaient pas ce type de soutien. Cette première expérience de long métrage a été fondatrice, elle a permis une distribution en cinéma. Certains de nos courts métrages ont très bien vécu mais ça reste une économie particulière et les films ne sont pas toujours accessibles au plus grand public. Je vois rouge est aussi allé au Festival international du film de Berlin ce qui était pour nous une forme de reconnaissance.

À propos de Je vois rouge, sa réalisatrice ne fait donc pas partie de votre giron d’auteurs/producteurs. Comment en êtes-vous arrivés à travailler avec elle ?

Au départ nous pensions que nous n’aurions le temps que de nous produire nous-mêmes. Quatre personnes et quatre univers à faire exister c’est déjà conséquent ! Mais très vite on a été attiré par d’autres cinéastes qui nous ressemblent ou qui ressemblent à ce que nous aimerions représenter en termes de cinéma. Très vite par exemple on a produit quelqu’un comme Jean-Baptiste Alazard qui est un ami et qui était monteur de beaucoup de nos films. Bojina, nous l’avons rencontrée de façon classique via des connexions de l’école la Fémis, elle était dans la promotion au-dessus de la nôtre. En dehors de nos propres œuvres nous produisons pour l’heure essentiellement des documentaires ou des courts-métrages de fiction.

Je vois rouge de Bojina Panayotova
Je vois rouge de Bojina Panayotova © Stank

 

La Fémis justement, quel regard portes-tu sur cette école avec le recul ?

On avait questionné son fonctionnement via une sorte de grève qui s’appelait « Les états généreux » durant laquelle on avait occupé les lieux et demandé une mise à plat… C’était une formation très hiérarchisée, et parfois très mécaniste question organisation de la scolarité. Beaucoup de très belles questions s’étaient alors posées comme « Comment être libre dans sa création ?» … Pour moi cela a débouché sur des choses un peu moins intéressantes, mais est-ce que ce ne serait pas un processus obligé ? Pour ensuite pouvoir donner des clés à de futurs élèves et futurs administratifs qui questionneront à leur tour le fonctionnement de l’école… La Fémis c’était aussi une grande chance, nous avions à dispositions de très beaux moyens. Cette structure est très puissante. Le matériel à disposition, les espaces de travail, les personnes ressources et passionnées, tout cela crée une vraie émulation. Au final, je l’ai très bien vécu, c’est juste que lorsque nous sommes à l’intérieur d’une matrice, on a toujours envie qu’elle soit la plus belle possible, d’où des remises en question sur des choses qui nous plaisaient moins afin de toujours être au service de faire des films, tout simplement. Et puis comme j’étais en production, on apprenait vraiment à être au service des autres, à accompagner un auteur et à l’aider à fabriquer ses films.

Vos films ne ressemblent pas au stéréotype « films Fémis » ou plus généralement au stéréotype de films d’auteurs français. Toi par la comédie, Vincent pour son attrait à la spiritualité…

Je ne sais pas s’il existe des « films Fémis », chaque promotion a sa couleur, dans la nôtre on venait vraiment d’horizons très différents… On est avant tout le fruit de nos rencontres. Par exemple en ce qui me concerne je n’ai pas du tout de culture cinéphile ou intellectuelle du cinéma. Mon background, il n’est pas là.

Pour revenir à l’actualité de vos deux longs ou même à votre production globale, se dégage une impression de facilité pour votre structure, une impression que vos films vont au bout. Vous produisez de nombreux films de tous genres et tous formats, et ces films proposent une réelle diversité de formes et de tons. Cette impression est-elle justifiée ?

C’est une belle impression ! On avance c’est vrai mais il ne faut jamais oublier que le Bruno Reidal de Vincent le Port par exemple, c’est une aventure de cinq années, et techniquement il n’est pas tout à fait fini puisqu’on en est encore au montage son. Et pour Sous le Béton de Roy Arida, qui lui est terminé, c’est quatre à cinq années d’abnégation pour que le film existe. Son film est tourné au Liban, il traite de plongée sous-marine ce qui induit des moyens techniques importants, il y a des moyens financiers insignifiants… S’ajoute à cela un contexte politique difficile, Roy se bat pour que son film existe ! Et puis il est aussi son propre producteur car de notre côté on était impuissant à l’aider au Liban, lui seul était capable de se dépatouiller là-bas… Maintenant on doit continuer à se mobiliser pour que le film soit vu. C’est un combat mais pour le moment on y arrive, le mouvement de notre structure tient.

Il y a quelques semaines nous cherchions une date pour t’inviter dans l’émission de radio sur le court métrage en Bretagne « Un court en dit long », tu m’avais alors dit être en résidence. Sur quoi travaillais-tu ?

Sur un long. Un film qui s’appelle Opération Choukran, qui s’inscrit dans le prolongement de mon court-métrage de 2015  Le Dernier des céfrans. Un mois de résidence qui s’annonçait sympa… Un mois à Clermont-Ferrand, beaucoup de rencontres, beaucoup d’échanges très actifs notamment avec des collégiens. Et puis le confinement est arrivé…

Idéalement ce long métrage, tu l’imagines avec la même équipe et les mêmes comédiens que sur Le Dernier des céfrans ?

J’aimerais oui. J’aimerais préserver cette fidélité. Même si on sait que c’est compliqué vis-à-vis des financeurs ou des décideurs qui peuvent imposer des castings. On essaiera de se battre pour la continuité ! Je l’ai écrit de cette façon mais je sais que je ne peux rien garantir.

On a peu parlé du quatrième associé, Louis Tardivier. Où en est-il ?

Il vient de terminer un court métrage de marionnettes, L’Oeil et la terre, sur l’île de la Réunion. Il devait commencer sa diffusion pendant La Fête du Court sur l’île de la Réunion mais c’est bien sûr tombé à l’eau. Ce n’est que partie remise ! Ensuite il développe aussi un long métrage d’animation avec un ami, Emmanuel Briand.

Mise à part vos deux longs métrages à venir, aviez-vous autre chose sur le feu ?

Oui ! Avant le confinement on bossait avec Zoom Bretagne et Fannie Campagna à la préparation d’une tournée dans la région pour lancer un documentaire que j’ai produit, Homo Botanicus de Guillermo Quintero. J’ai vraiment envie d’avoir sur nos films ce premier contact avec la région. C’est une évidence pour moi et c’est un effort que nous devrions mener encore davantage. Lorsqu’on est acteur du tissu local, il faut nous fédérer pour donner nos chances à nos films sur le territoire. Certains arrivent très bien à le faire !

Par exemple ?

Tita Productions avec Fin ar bed. Même si la thématique est bretonne ça fait vivre quelque chose. Et puis, il y a d’autres exemples de personnes qui ont porté à bout de bras leur film pour le faire vivre sur le territoire breton. Ces gens nous inspirent pour continuer ce mouvement. Au mois de mai, il y a donc la tournée de Homo Botanicus de prévue (je touche du bois pour que cela se fasse) … Et puis j’ajoute que ce film a été monté par la brestoise Julie Borvon et que le prochain film de Guillermo, Rio rojo, est soutenu en développement par la Région Bretagne. Il y a une sorte d’aller-retour qui se crée…

Léo Dazin

 

Pour en savoir plus :

Stank

Entretien FeB 2015 par Elodie Sonnefraud