La relation auteur-producteur : rencontre avec Franco Lolli et Sylvie Pialat


Le festival Travelling, organisé par Clair Obscur, a interrogé à plusieurs reprises la notion d’auteur. Lundi 16 février, à la Maison des Associations de Rennes, le réalisateur Franco Lolli et la productrice Sylvie Pialat – Les films du Worso – se prêtaient au jeu de la réflexion sur la relation auteur-producteur. Cette rencontre, animée et organisée en partenariat avec la revue Répliques, précédait la projection, en avant-première au cinéma du TNB, du dernier film de Franco Lolli Une mère incroyable.

Sylvie Pialat commence dans le cinéma en occupant différents postes. À nos amours, de Maurice Pialat, lui donne l’opportunité d’assurer la régie sur le tournage du film. C’est le début d’une histoire d’amour pour un homme, Maurice Pialat, et la confirmation d’un engagement pour le cinéma. Au début des années 2000, elle tourne une nouvelle page en créant sa société de production, Les Films du Worso. Une aventure nourrie de curiosité, d’envies et de confiances, débute auprès de réalisateurs comme Guillaume Nicloux, Abderrahmane Sissako ou encore dernièrement Benoît Delépine et Gustave Kervern.

Franco Lolli, né en Colombie au début des années 80, fait une école de cinéma française en Colombie, avant de passer par la Fémis, où il réalise son premier court-métrage en 2006, Comme tout le monde. « La Fémis, c’est une façon d’entrer dans le milieu, si on l’utilise bien. » Pour faire des films, selon lui, l’essentiel est d’avoir faim de cinéma : « On est prêt à mourir pour ça ! ». 

Sylvie Pialat et Franco Lolli se rencontrent pour la première fois lors du montage du deuxième court-métrage du réalisateur, Rodri (2012), produit par Les Films du Worso. Au bout de six semaines de montage, les producteurs inquiets de voir le temps passer et le projet peu avancer, font venir Sylvie Pialat. Le réalisateur s’en amuse : « Ils ont dû se dire que ça allait me faire stresser ! ». La productrice trouve le film en devenir superbe et permet au réalisateur, par sa présence, de confronter son travail à un regard extérieur. Pour Franco Lolli, « la peur du regard est stimulante. La relation avec un producteur est une histoire d’amour. Il faut ressentir quelque chose pour continuer ensemble ».

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Sylvie Pialat et Franco Lolli © Marion Geerebaert

 

En matière de rencontre, Sylvie Pialat sait se faire rapidement une idée : « Quand je lis un scripte, je vois les défauts… mais le plus con des cons les verra aussi ! » Les projets qui traînent, elle ne les produit pas. D’ailleurs, elle en profite pour glisser ici un conseil aux auteurs : il ne sert à rien d’envoyer plusieurs versions d’un scénario au même producteur. « La première impression restera toujours ! » Cela dit, un scénario est souvent amené à être remanié plusieurs fois, notamment pour des questions budgétaires. Franco Lolli se dit réaliste : « Je parle argent, coproduction. Il faut être conscient qu’on fait un film avec du réel : des comédiens, des techniciens…» Le réalisateur est prêt à s’adapter sur des aspects du film qui ne changent rien au cœur du projet. 

Franco Lolli avertit les apprentis auteurs avec humour et lucidité : « Je ne sais pas si dans la salle certains veulent devenir scénaristes, mais ce n’est pas drôle ! ». De nombreux auteurs peinent à écrire leurs projets de film, étape essentielle pour solliciter des financements auprès des commissions d’aide. Les critères d’attribution agacent souvent Sylvie Pialat : « On n’est pas une maison d’édition, on s’en fout du scripte ! J’ai vécu 20 ans avec un mec qui n’écrivait pas bien mais ses meilleurs films ont un scripte en béton. Le scénario laisse une grande liberté. Il s’agit d’écrire une magnifique colonne vertébrale dans laquelle le film pourra exister. » 

Franco Lolli compare la relation qu’il entretient avec sa productrice, faite de bienveillance et d’encouragements, à une relation parent-enfant : « Ça, c’est bien de le faire…Va plutôt par là… Attention au mur ! » Sylvie Pialat reconnaît se consacrer pleinement au réalisateur, notamment pendant l’écriture, période la plus longue dans la conception d’un film : « Le temps qu’on donne n’est que pour lui. Il faut libérer du cerveau ! » Cette phase d’écriture nécessite des ajustements ou des modifications plus radicales. « Quand on change, on déconstruit. On n’a plus rien. C’est très violent », reconnaît Franco Lolli. À l’inverse, on voit peu la productrice sur les tournages où, dit-elle, elle ne sert à rien, à part rassurer le réalisateur par sa présence. Ce qui est déjà pas mal.

Une mère incroyable a bénéficié d’une coproduction internationale. En Colombie, où se déroule le film, c’est Evidencia Films, société créée par Franco Lolli, qui porte le projet. Le réalisateur et sa productrice ont également apprécié de travailler à nouveau avec Toufik Ayadi et Christophe Barral, issus des Films du Worso et désormais à SRAB Films, qu’ils fondèrent en 2015. Franco Lolli rejoignait leur vision d’un film à venir : il est primordial d’avoir une « idée » mais il n’est pas nécessaire d’avoir un scénario dès le début d’une collaboration. « Si tu n’arrives pas à raconter ton histoire en une phrase, tu n’as pas de film. » Avis que partage pleinement Sylvie Pialat. 

Franco Lolli assure les post-productions de ses films en France. Sa démarche entre la Colombie, son pays d’origine, et la France a du sens pour lui et pour et sa productrice, mais cela entre difficilement dans les cases du système de financement français. Sylvie Pialat : « Produire des cinéastes étrangers me procure beaucoup de joie, mais en France, un film qui n’est pas en langue française a peu de moyens de financements. » La productrice est également portée par la production de premiers films. Elle-même encourage vivement les jeunes auteurs et producteurs à naître ensemble : « C’est bien de vivre les choses avec quelqu’un qui est dans la même énergie. » L’équilibre de l’ensemble repose sur une question de confiance. « J’ai besoin d’être aimé ! », exprime avec force Franco Lolli. Sylvie Pialat semble avoir parfaitement répondu à ses attentes.

Marion Geerebaert

À noter : la captation de cette rencontre sera disponible fin mars sur la chaîne Youtube du Festival Travelling.

Voir la bande-annonce de Une mère incroyable , de Franco Lolli.

 

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