Deux réalisateurs, Lukasz Borowski et Janusz Mrozowski, bousculent le milieu carcéral polonais avec leur caméra. Ils étaient invités à présenter leurs films lors la 10ème édition du festival rennais Images de justice où ils ont fait souffler un vent de liberté qui pourra peut-être inspirer l’administration pénitentiaire française…
3 jours de liberté de Lukasz Borowski (Pologne, 2011, 27 mn)
Après quinze années passées derrière les barreaux, Piotr se voit accorder trois jours de liberté. Dans ce film de fin d’études, Lukasz Borowski (1) accompagne son personnage au cours de ces quelques heures passées de l’autre côté. Un voyage tourné au présent immédiat pour Piotr qui goûte chaque minute de son existence, tout en tentant d’échapper au vertige du temps irrémédiablement perdu.
Bad Boy cellule haute sécurité de Janusz Mrozowski (Pologne, 2009, 2 mn)
Enfermé dans une prison de haute sécurité, sans fenêtre, sans visite, sans intimité aucune, un jeune braqueur polonais tente d’échapper à la folie qui le guette. Témoignage unique sur l’un des lieux les plus secrets des prisons, Bad Boy nous fait découvrir Damian, 28 ans, condamné à 10 ans de réclusion criminelle. Un personnage attachant que son enfermement a conduit à réfléchir, avec lucidité et courage, à sa vie passée et à son avenir. C’est ce long dialogue avec lui-même, impudique et vrai, que nous fait partager le réalisateur, Janusz Mrozowski (2).
– Comment l’un et l’autre avez-vous réussi à obtenir l’autorisation de filmer en prison, y compris dans une prison de haute sécurité ? Ce sont des images plutôt rares en France.
– Lukasz Borowski : l’autorisation de suivre Piotr, le personnage principal, en prison et à l’extérieur pendant ces trois jours de liberté m’a été donnée facilement. La procédure administrative est si simple qu’il n’y a rien à en dire de plus !
– Janusz Mrozowski : en Pologne, il est possible de tourner des films en prison sans aucun problème, sans être obligé de flouter les images et sans devoir soumettre le film à l’administration pénitentiaire pour validation. Les prisons polonaises sont ouvertes. Pour l’anecdote, j’ai tourné dans les prisons polonaises avec une caméra numérique financée par l’administration pénitentiaire française… Elle ne m’a jamais autorisé à l’introduire dans une prison française. Ce n’est pas du Kafka, c’est carrément ubuesque, et je me demande si le père Ubu n’a pas quitté ma Pologne natale pour s’installer définitivement en France… Ma confrontation avec les prisons françaises m’a fait revenir quarante ans en arrière dans la Pologne communiste. C’était très dur, ce choc carcéral. Dur de voir qu’en France, la République s’arrête à la porte des prisons…
Lukasz Borowski Janusz Mrozowski
– Comment, en tant que réalisateur, vit-on la prison, même si l’on sait que l’on peut ressortir à tout moment ?
– L.B. : au début, quand nous sommes rentrés dans cette prison avec mon cameraman, nous nous sommes vraiment sentis en insécurité. Il a fallu apprendre rapidement les règles de vie de la prison. Néanmoins, à chaque fois que je repartais, quelque chose de très particulier se produisait. Pendant une très courte période, tout semblait légèrement différent. Chaque petite chose devenait beaucoup plus intense que les autres jours. Montrer ce sentiment était l’un des objectifs du film 3 jours de liberté.
– J.M. : après avoir visité cette prison de haute sécurité pour la première fois, j’ai renoncé à faire le film. J’en suis ressorti au bout de vingt minutes avec les jambes tremblantes, et je me suis dit que je n’allais pas supporter psychiquement d’être enfermé là-dedans. Un an plus tard, j’avais oublié cette première impression, et j’ai décidé d’y retourner, avec ma caméra, pour témoigner. J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer Damian, le héros du film. Rapidement, nous avons établi une relation très proche et il a appris peut être davantage de choses sur ma vie que j’en ai su de la sienne. On a passé beaucoup plus de temps à parler qu’à filmer. Quand je suis revenu quelques mois plus tard pour montrer à Damian la copie de travail, je me suis posé la même question qu’à la suite de ma toute première visite dans cette prison : comment ai-je pu supporter cet endroit ? Je pense que j’ai pu le faire parce que je savais que j’allais là bas pour travailler. Quand tu travailles, tu n’as pas le temps de penser aux conditions dans lesquels tu es enfermé toi aussi.
– Comment peut-on s’impliquer autant dans l’intimité d’une personne puis la laisser seule face à ses murs ? Après le film, que se passe-t-il ?
– L.B. : Piotr, le personnage, a vu le film un an après le tournage. Il est heureux de l’existence du film qui a peut-être permis d’accélérer sa sortie conditionnelle. Il a l’opportunité de voir tout ce chemin derrière lui avec lequel il a pris beaucoup de recul aujourd’hui.
– J.M. : après le film, je me suis battu pour faire sortir Damian du Quartier de Haute Sécurité. Peut-être que, sans le documentaire, il aurait pu être libéré comme il l’a été. Mais je pense que le film l’a considérablement aidé à sortir de cette cellule pour aller dans une prison normale. C’est absolument extraordinaire, pour un cinéaste, de pouvoir influer sur la réalité ! Quand je fais des films, j’ai besoin au moins d’avoir illusion que ce que je fais peut être utile. En l’occurrence, j’en ai la certitude. On m’a dit, à l’administration pénitentiaire polonaise, que mon film a contribué à changer le fonctionnement de ces QHS : il y a aujourd’hui moins de détenus qui y sont enfermés et ils y passent moins de temps.
Propos recueillis par Jennifer Aujame
Photo de Une : Bad Boy de Janusz Mrozowski
(1) Lukasz Borowski avec son film »3 jours de liberté » est le lauréat du festival Images de justice 2014.
(2) »La trilogie carcérale » de Janusz Mrozowski sort le 21 février en Pologne et à l’automne en France à l’occasion des Journées Nationales Prison.