Du 25 au 31 mars derniers avait lieu la Fête du court-métrage… en ligne. Un rendez-vous annuel initialement pensé pour célébrer un format et toutes ses formes, et pour rendre accessible au plus grand nombre, et sur grand écran, une sélection de ces films peu visibles par ailleurs¹. L’occasion d’une rencontre avec les œuvres mais aussi avec leurs auteurs, parmi lesquels on compte les compositeurs. À Brest, c’est l’association Côte Ouest, organisatrice du Festival européen du film court de Brest (10-15 novembre 2020), qui portait l’événement et avait invité un certain nombre de talents lors d’une soirée dédiée, le 27 mars dernier. Parmi eux, Julie Roué, chanteuse et compositrice française, et des plus talentueuse, qu’on avait prévu de rencontrer. Ce qu’on a fait, finalement…
Alors que ce printemps semble un temps suspendu et contrairement aux apparences, pour un certain nombre de gens, la vie continue presque comme avant. C’est le cas d’auteurs de tout poil, et qui vivent toute l’année, régulièrement, en confinement. Volontaire, évidemment… De l’aveu de Julie Roué, compositrice de son état, cette mise entre parenthèses ressemble à s’y méprendre à tous ces moments de la création où il lui arrive de s’enfermer des jours et des nuits durant : « Ce confinement ne change pas grand-chose à ma vie de tous les jours. J’ai eu beaucoup de travail depuis le début et je me suis confinée dans le studio que j’ai investi depuis peu pour dissocier ma vie professionnelle de ma vie personnelle. Comme avant, je travaille jusqu’à des heures avancées sans voir le temps passer et je dors au milieu de mes instruments ! Comme avant, je peux passer plusieurs jours sans côtoyer âme qui vive. Mais j’ai hâte de retrouver une vie équilibrée, de travailler le jour et de sortir le soir ! De pouvoir marcher, voir défiler l’horizon, ces choses simples qui alimentent l’imaginaire. » Un imaginaire haut en couleurs et des horizons pluriels et éclectiques si l’on en croit les diverses expériences répertoriées sur son site. Courts-métrages, films documentaires, d’animation, fictions longues, films en réalité virtuelle, séries et chansons – sans compter la publicité et un ciné-concert sur le film Malombra, de Carmine Gallone (1917), qu’elle devait étrenner au Festival du Film de la Rochelle cette année. C’est semble-t-il tous azimuts et avec une insatiable gourmandise que Julie pratique son métier depuis une petite dizaine d’années, et deux ans maintenant qu’elle s’adonne à la composition à plein temps (elle a d’abord été monteuse son, longtemps). Pourtant, rien ne pouvait laisser prévoir que cette jeune femme qui se définit comme le « profil type de la bonne élève » quitterait d’elle-même les sentiers qu’elle avait commencé à battre.
« Enfance d’intérieur »
Julie Roué naît et grandit dans le Finistère où elle reste jusqu’à ses 20 ans et son départ pour Paris, où elle vit toujours aujourd’hui. Elle parle d’une « enfance d’intérieur » pour qualifier ces années-là. Elle passe de classe en classe avec application, suit sans faire de vagues, mais sans plaisir non plus, les cours de piano et de solfège auxquels elle est inscrite et qu’elle interrompt à 14 ans. Ses premiers choix en matière de musique, ce seront l’inscription en tant qu’alto dans une chorale en breton (sans maîtriser la langue), où elle comprend pour la première fois, concrètement, ce que c’est qu’un arrangement ; et le choix d’un nouvel instrument, pour le moins singulier, la cornemuse irlandaise ! « C’est une façon d’aborder la musique très différente, un apprentissage oral et détaché de la partition. Il faut retenir les morceaux et chanter les notes dans sa tête avant de les jouer. L’interprétation est bien plus libre puisque rien n’est écrit, ni figé. Ça a été une vraie découverte pour moi. Ensuite, j’ai participé à un stage de musique improvisée qui m’a profondément marquée. L’enfant sage que j’étais a compris que l’on pouvait faire ce que l’on voulait en musique, comme ouvrir un piano et jouer avec les cordes. On avait le droit ! Ça a été une ouverture exceptionnelle pour moi ! »
C’est enfin Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, avec la musique de Yann Tiersen et sa ligne simple et claire qui achèvent de poser les sédiments d’une vocation dans l’esprit et le cœur de la jeune femme de 18 ans : « J’admire beaucoup la simplicité de la musique de Yann Tiersen, que j’ai beaucoup écoutée. Ne trouvant pas d’édition de la BO, j’ai retranscrit moi-même les morceaux, à l’oreille. Je me souviens m’être alors dit pour la première fois que moi aussi je pouvais faire ça! Ensuite, je me suis mise à la guitare et j’enregistrais dans ma chambre les chansons que je composais ! », se souvient-elle.
Dès son entrée en prépa scientifique, Julie sait qu’elle ne sera pas ingénieure. Elle y reste toutefois pour préparer l’ENS Louis Lumière, « une école généraliste pour ce qui est du département son, où l’on fait autant de cinéma que de radio ou de studio. C’était un bon compromis entre mes aptitudes scientifiques et un désir d’aller vers la musique ». C’est là qu’elle compose pour la première fois la musique d’un court-métrage. La réalisatrice, Céline Tricart, s’est aujourd’hui spécialisée dans la réalité virtuelle et elles poursuivent leur collaboration. Julie s’inscrit ensuite à des cours d’écriture musicale et d ‘orchestration au Conservatoire du IXe arrondissement de Paris, où elle restera quatre ans : « J’y ai acquis les bases et des idées, une culture indispensable pour tout oser. Cela m’a aussi permis d’asseoir une légitimité », précise la jeune femme. Une légitimité qu’elle avoue avoir mis dix ans à conquérir tout à fait.
Femme d’extérieur…
Julie travaille de nombreuses années en tant que monteuse son : « C’est un métier très créatif, que j’ai adoré grâce aux deux mentors qui m’ont mis le pied à l’étrier : François Fayard, le premier, et Gwennolé Le Borgne. On y façonne des univers, on joue avec des textures… ». C’est aussi un temps où elle commence à participer à des dispositifs sélectifs et prisés² et rencontre les réalisatrices avec lesquelles elle continue de travailler aujourd’hui encore : Emma Benestan, Marion Desseigne-Ravel, Émilie Noblet, Claire Juge, Angèle Chiodo ou Léonor Serraille. Elle compose la musique de nombreux courts-métrages et accompagne certaines de ces jeunes cinéastes dans leur passage au long métrage.
« J’ai l’impression d’accompagner une génération de réalisatrices qui ont le même âge que moi, et qu’on va grandir ensemble. L’impression de faire partie d’une vague de femmes qui débarque là, maintenant ; je me reconnais vraiment dans leur cinéma, qui entremêle la comédie et le drame avec beaucoup de finesse. J’aime aussi la tendresse et la curiosité qu’elles ont pour tous leurs personnages, y compris les seconds rôles », confie Julie. Notons tout de même la présence remarquable d’Erwan Le Duc avec son film Perdrix, ou de Damien Manivel, des cinéastes masculins qui ont aussi confié à Julie la musique de leurs œuvres ô combien singulières.
Ces collaborations qui ont lieu aux débuts des parcours et qui se poursuivront, on l’espère, au long cours, sont l’occasion d’expérimentations où la musique doit trouver sa place de façon plus ou moins empirique. Des allers-retours pour chercher, pousser plus loin, rebrousser chemin. « J’aime travailler comme ça ! », s’écrie Julie. En fonction de l’état d’avancement des projets et de la personnalité de l’auteur, elle doit s’adapter et penser la place de la musique très en amont, dès le scénario comme sur les films de Marion Desseigne-Ravel, ou livrer un morceau dans l’urgence pour L’Amour du risque d’Emma Benestan. « Ce que je préfère quand c’est possible, c’est a minima d’être invitée à composer dès le début du montage, quand le tempo du film se construit », ajoute-t-elle.
Et à chaque fois, ce sont des sonorités différentes, de tonalités baroques aux bulles pop chères à la compositrice, en passant par la musique minimaliste de ses idoles, Philip Glass et Steve Reich : toutes ses influences s’interpénètrent et se transforment au contact des images et de l’univers d’un réalisateur pour créer la musique du film.
… En chanson !
Après des années passées derrière ses écrans ou seule en studio, et de son propre aveu « pétrifiée à l’idée de monter sur scène », Julie Roué se produit désormais en concert et accepte de composer en temps réel devant un réalisateur au risque, je cite, de « merdouiller ». « Mon métier, c’est 5% de composition et de musique ; le reste, c’est de la psychologie. Je dois comprendre comment les gens fonctionnent et comment leur faire adopter ce que j’ai fait. »
Dorénavant, Julie a envie d’extérieurs ! De compositions à plusieurs comme avec François Clos pour la série Parlement, d’Émilie Noblet et Jérémie Sein, quand on ne sait plus qui a composé quoi. De séances d’enregistrement en studio pour entendre les musiciens s’approprier ses compositions, comme elle a eu l’occasion de le faire avec le percussionniste Stan Delannoy pour la BO de Perdrix. De concerts, notamment avec son alter ego de Carte Contact, Angèle Chiodo (également réalisatrice), un groupe né pour et avec Jeune Femme de Léonor Seraille (voir extrait plus haut) : « Léonor avait besoin d’une musique diégétique, de fête, qui collerait à la peau du personnage de Laetitia Dosch, à son excentricité, et sur lequel elle se mettrait à danser seule. J’ai fait appel à Angèle pour qu’elle chante et que le morceau profite de sa spontanéité, de sa nonchalance… enfin disons carrément de son côté punk ! Le morceau, c’est Like a Dog et nous avons choisi le nom Carte Contact sans trop y penser, parce qu’il fallait bien signer la musique au générique. L’expérience nous a plus, alors on a continué. Trois ans plus tard, on vient de sortir notre deuxième EP », résume Julie.
Aujourd’hui, elle laisse de côté les courts-métrages – au moins provisoirement – pour développer ses projets personnels. Après un premier album électropop sous le nom About Luke, c’est sous son propre nom Julie Roué qu’elle veut continuer à chanter. Elle souhaite donner au projet une identité plus techno et des textes plus intimes et plus forts. Du côté de Carte Contact, Angèle et Julie creusent leur sillon électrotrash débridé sur scène et en studio. Et bien sûr, Julie continue plus que jamais à composer pour le cinéma et à offrir à de futurs longs métrages les mille et une facettes de sa personnalité.
Voici un morceau pour finir, et pour en attester : un clip non officiel réalisé par une des fidèles dont nous avons parlé, Émilie Noblet, réalisatrice de la série HP, dont la musique est extraite. Signée Julie Roué.
Générique de la série HP, Only Silence Is Crazy
Gaell B. Lerays
¹ Si l’actualité du court-métrage vous intéresse, il en est notamment question ici ; ici ; ou là (en svod) :
² Comme les Ateliers de musique du Festival du Film Étudiant de Poitiers, plusieurs années, un dispositif mettant en relation quatre compositeurs avec huit jeunes réalisateurs tout juste sortis d’école, ou Émergence, où des réalisateurs qui préparent leur premier long-métrage rencontrent des compositeurs