Responsable, au sein de la Scam, de l’aide à la création, via les bourses Brouillon d’un rêve, Jean-Pierre Mast sera présent à Doc’Ouest pour rencontrer des auteurs et se plonger avec eux dans l’intimité de leurs projets de documentaires de création. Entretien avec un honnête homme, passionné par l’écrit autant que par l’image

Cela fait 21 ans que Jean-Pierre Mast accompagne des auteurs dans le cadre de Brouillon d’un Rêve (1), dispositif qui fut initié en 1992 par Charles Brabant et Gérard Follin, ainsi que par les auteurs membres du conseil d’administration de la Scam à cette époque. Autant d’occasions de partager avec eux, toutes générations confondues, du plus aguerri au plus jeune. Autant de confrontations dans l’intimité d’une écriture.

A l’été 1974, sur le conseil d’un écrivain-libraire, Jean-Pierre Mast entre à la Société des Gens de Lettres, pour un travail d’étudiant. Il y restera, se passionnant très vite pour la gestion collective aux côtés des auteurs. Grâce au poète Jean Rousselot, il s’intéresse, en 1977, au droit d’auteur des écrivains. En 1978, grâce à Charles Brabant, auteur-réalisateur pour la télévision et fondateur de la Scam, laquelle naîtra deux ans plus tard, il commence ce travail d’accompagnement des auteurs réalisateurs de télévision et de cinéma documentaire, notamment via les travaux de la commission audiovisuelle. Puis les bourses Brouillon d’un rêve se sont étendues aux domaines de la radio, de l’écrit, du journalisme, de l’image fixe et du multimedia.

– Quelle est l’origine de l’appellation Brouillon d’un rêve?

– Jean-Pierre Mast :  »la genèse de cette expression rimbaldienne s’est forgée autour de la difficulté à parler d’un film qui n’existe pas encore, à écrire ce que l’on n’a pas vécu, c’est-à-dire filmé. Faire le « brouillon d’un rêve en devenir » relève de l’impossible à moins de passer par une parole singulière de cinéaste. Dès l’origine, – et comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on parle d’un film -, l’image fut hautement présente dans ce dispositif, puisque notre ambition était de permettre aux auteurs d’acquérir, grâce à cette bourse, cette petite caméra numérique qui venait tout juste de sortir sur le marché, et ainsi de (re)trouver un peu de liberté. Pour près d’un projet sur deux, des images, épreuves de tournage pré-montées ou film préexistant, accompagnent le texte, sans que ceci soit obligatoire.

– Brouillon d’un rêve serait un espace de liberté?

– JPM : cette aide intervient à un moment souvent opportun du projet et encourage l’auteur à avancer à l’air libre, enrichi de cette petite bouffée d’indépendance et de reconnaissance. Au travers de ce modeste mécénat, lisible dans le désarroi d’un métier durci, Brouillon d’un Rêve « reconnaît » des auteurs qui peuvent ainsi continuer à l’être et fait ressortir, parfois ressurgir, des propositions filmiques au bord de la crise télévisuelle, d’autant plus urgentes qu’elles n’existent plus à l’horizon des lignes éditoriales. Plus prosaïquement, ce dispositif d’aide directe aux auteurs permet de constater que lorsque l’on aide directement des auteurs, les résultats sont là.

– Comment cela se traduit-il justement en termes de chiffres?

– JPM : sur les 836 projets de films aidés à ce jour et les 67% de films réalisés, 54% sont télédiffusés, 24% en circuits indépendants, 10% en salles, 12% internet, sorties dvd, supports divers. Est-ce une coïncidence si, dans la dernière programmation des Etats Généraux du documentaire de Lussas en août 2013, figuraient 16 films aidés par Brouillon d’un rêve. En 21 ans, le patrimoine généré par cette aide s’est amplifié. Aujourd’hui, pour le seul documentaire de création, entre 70 et 80 projets sont aidés chaque année, alors qu’ils n’étaient que 10 en 1993. Brouillon d’un rêve s’imposa très vite dans le paysage audiovisuel, et dans les années qui suivirent, avec la consolidation des ressources de la copie privée, il apparut indispensable à la Scam de l’étendre progressivement à tous. Ce qui fut fait. Aujourd’hui, la bourse Brouillon d’un rêve reste, parmi d’autres, un label de qualité incontestable, une gratification du travail d’auteur. 1000 projets par an sont reçus, lus, analysés, débattus. Cet immense travail est effectué par des auteurs, les uns lecteurs, les autres siégeant au jury.

– Qu’apporte la présence des auteurs au sein du jury ?

– JPM : cette présence indispensable d’auteurs, ce regard d’auteur sur des projets d’auteur, continue à faire évoluer Brouillon d’un rêve, sans cesse à la recherche de la beauté, celle de René Char :  »Il n’y a pas de place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté. » Car le documentaire a sa demeure partout, même dans le nécessaire désordre de la rue, et contre vent mauvais voire marée noire audiovisuelle, éternel résistant, respiration de l’air, il ouvre sans cesse les fenêtres, les portes, les salles, les cellules et pénètre sans vergogne sur la toile, au désarroi de la douce censure en place qui s’en inquiète. Peut-être que dans la pénombre d’un paysage audiovisuel quelque peu sinistré, le documentaire, en nous élevant au-dessus de nous-mêmes, comme une littérature non consentante, est lui aussi un imprimeur de liberté. »

Quel plus bel éloge peut-on faire de notre métier, de notre passion ? Si vous souhaitez prolonger l’échange, c’est à Pléneuf-Val-André, le 20 septembre, lors de Doc’Ouest (2).
Jenny Kéguiner
(1) Chaque bourse Brouillon d’un rêve est d’un montant maximum de 6000€, intégralement versés à l’auteur du projet. Ces soutiens sont accordés par des lectorats et des jurys, renouvelés chaque année et exclusivement composés d’auteurs. Le jury filmique se réunit 6 fois par an. Il n’y a pas de date préétablie pour le dépôt des projets. Du fait de l’importance de la participation, il est indispensable de préinscrire un projet par courriel, en soumettant une courte note d’intention et un résumé du projet (1 à 2 pages) pour validation auprès de jean-pierre.mast@scam.fr. Pour plus de renseignements www.scam.fr Espace culturel.
(2) Le Media Desk, le CNC, la SCAM (Brouillon d’un rêve), la SACEM, la région Bretagne (FACCA & accueil des tournages), Ina atlantique, l’AFDAS et Pôle Emploi consultent à Doc’ouest. Nouveauté cette année : en dehors de temps d’information collectifs toujours au programme, les rencontres poursuivent leur élan décentralisateur et ouvrent leurs guichets en bord de mer. Les porteurs de projet qui le souhaitent peuvent ainsi s’entretenir de leurs dossiers (sur rendez-vous) avec les institutions représentées.