Florian Passelergue nous a quittés en mars dernier. Films en Bretagne a souhaité lui rendre hommage. Carte blanche est donnée à l’un de ses amis et collègues Léo Dazin.
Flo. Flo, Flo, Flo… Flot de diminutifs de ton prénom, Florian. Flot sur les plateaux et en dehors, on t’appelait, on te demandait, on parlait de toi. « Hey Flo, t’en penses quoi si on fait ça ? » « Flo, tu pourrais nous faire ça ? » « Il est où Flo ? » « Faudrait en parler à Flo, il aura un avis » « Merci Flo ». Toi et ton diminutif vous étiez des évidences, vous rassuriez, vous étiez doux à côtoyer et à prononcer. Si bien que pour beaucoup, on n’imaginait pas partir en tournage sans Flo. Parfois même sans te prévenir. Bien sur que Flo sera parmi nous… La dureté de la nouvelle a juré avec ce que tu représentais pour nous. Oh le bon copain qu’on aimait. On n’a pas du se le dire, mais est ce que ceux qui s’aiment en ont toujours besoin ? On ne sait pas, on ne sait plus, Flo…
Les associations Equinok Films, Halluciné, Manual Focus, Scénaroptik, Zéro de Conduite, Off Courts (Normandie), les compagnies Autres Directions et Ocus, le Musée de Bretagne, la biennale d’art contemporain de Rennes, le cinéma Paradisio, l’IUFM de Rennes, Place Cliché, Abordage Films… sont autant de structures avec lesquelles Florian Passelergue a travaillé.
« En Bretagne il n’y a pas de bon machiniste ». Cette ritournelle souvent prononcée par des vieux de la vieille rappelle combien la perte personnelle comme professionnelle de Florian Passelergue dit « Flo » est douloureuse et combien le fossé entre sociétés de production et productions alternatives est large. Flo était un excellent machiniste et du fait de ses activités principalement associatives ou hors circuit il pouvait être aussi méconnu de la profession qu’une truite peut l’être d’un merle…
Flo fut un technicien remarquable car il était d’une grande culture pour les métiers manuels, d’une avide curiosité, et d’une générosité peu commune. Au cinéma et avant d’occuper principalement les postes de machiniste et de chef électro, il fut tour à tour projectionniste, cuisinier, magasinier, électro, cadreur, chef opérateur, ou même encore maçon dans de la restauration de patrimoine. Flo fit ses armes par la pratique, la débrouille, et par l’apprentissage sur le tas.
Flo le filou avait beaucoup de solutions. C’est ainsi qu’en 2009 il fit la rencontre de Damien Stein à la mairie de Rennes dans cette « grande salle fastueuse qui pique les yeux » à l’occasion d’un concours du CRIJ. S’en suivit un échange fructueux entre les deux hommes et Florian travailla sur la plupart des films et clips du réalisateur. C’étaient les spécialistes du clip souvent fauché : DJ Netik, Micronologie, Rezinski… « On était heureux de notre extrême pauvreté, tant qu’on nous laissait filmer nos conneries sans la moindre concession », raconte Damien. « Je me souviens cette nuit où, à la suite du tournage d’un clip pour une quinzaine de rappeurs ivres et heureux de vivre, il m’a annoncé que lui et Yasmine attendaient un enfant. Je me souviens parfaitement avoir gloussé comme le jour où j’ai finalement eu mon bac, puis il a brandit un enregistreur et m’a dit qu’il allait compiler les dizaines de réactions en une bande audio. Je n’ai jamais pensé à lui demander le résultat ».
Car ce qui pouvait aussi caractériser Flo au travail c’était son épicurisme. Il aurait été comme un coq en pâte parmi les équipes d’un Jean-François Stévenin ou d’un Jacques Rozier, eux capables de sacrifier un plan de travail pour un coup de fourchette ou une belle atmosphère. Où qu’il travaille, que ce soit en campagne sarthoise, en zone industrielle, avec des enfants, avec des animaux, en extérieur hivernal, sous la pluie au bord de mer, Flo était capable de s’aménager et d’aménager pour les autres un confort et un plaisir de travail.
Cette disposition à allier un pragmatisme libertaire au plaisir de vivre et travailler en équipe amena l’association Equinok Films et Florian à collaborer sur de nombreux films. Avec les chefs opérateurs Gaultier Durhin et surtout Antoine Bon avec qui ils firent une équipe de choc, Flo fut le chef machino et chef électro d’une douzaine de films. Préparer des lumières auxquelles un comédien se suspend, assurer des enfants montés sur une usine, manier un Panther sur travelling sur-élevé d’un mètre en sous bois, créer un effet « torche cul » en plaçant une comédienne allongée sur travelling et un comédien fixe les jambes écartées au dessus, créer des portes coulissantes avec de la végétation pour permettre à la caméra d’avancer sans entrave, conduire une Dolly en plan séquence entre des pilonnes, monter un pont de scène sur travelling pour réaliser un plan zénithal au ras du sol, manipuler de petits explosifs, inventer un système laser pour replacer la caméra à un même endroit, rétrécir un lit, construire une crosse créant un effet subjectif… tels furent quelques chantiers dont il s’acquitta avec plaisir et gourmandise (plus une idée pouvait être saugrenue plus cela l’amusait).
Parmi les travaux auxquels Flo participa il n’est pas étonnant de le retrouver sur le teaser de la dernière édition du Court Roulette orchestré par Manual Focus. Ce concours, contrairement à beaucoup d’autres, est non seulement gratuit mais il n’est pas non plus un prétexte publicitaire. De plus et du fait de ses modalités, les films produits y sont bien moins stéréotypés qu’ailleurs.
Florian Passelergue, Flo, était un pilier pour le cinéma issu d’associations rennaises et de productions indépendantes. Dernièrement je me moquais gentiment de lui qui râlait. Nous préparions un plan alors que la moitié de nos comédiens étaient saouls, que nous n’avions plus de lumières de rechange, que nous ne savions pas quoi tourner pour le lendemain. « Ça fait des années que tu travailles avec des loosers, tu devrais être habitué ! ». Sourires. Oui, sans doute à la fois par choix tout comme par un concours de circonstance, Flo s’était engagé avec la marge. Quelles que soient les origines de cette constance, elle donne du courage. Grâce à l’enthousiasme et à l’application qu’il a su propager sur les plateaux, la fiction en tant que possibilité d’imagination et de liberté, qu’elle soit associative ou non, a de beaux jours devant elle.
Léo Dazin
Quelques derniers travaux :
Gargantua / Equinok Films / Léo Dazin – Voir
Teaser Court Roulette 8e édition / Manual Focus / Simon Amand – Voir
Désir / Equinok Films / Owen Morandeau et Thibault le Goff – Voir
Papillon / Damien Stein – Voir