Le 20 octobre 2012, Eric Pittard présentait »De l’usage du sextoy en temps de crise », en avant-première, au cinéma l’Arvor à Rennes, avant sa sortie nationale le 22 mai 2013. Tourné pour un tiers en Bretagne, dans le Morbihan, produit par ADR (Pascal Verroust) et Paris-Brest Production (Olivier Bourbeillon), soutenu par la Région Bretagne, ce long métrage sera projeté au festival de cinéma de Douarnenez le 26 août à 18 h au cinéma Le Club. Nous republions l’interview que le réalisateur nous avait accordée lors de son passage à Rennes. A suivre deux autres articles sur deux films également projetés à Douarnenez : Les lendemains de Bénédicte Pagnot et Lann Vraz de Soazig Daniellou.
Eric Pittard est un sale gosse de 60 balais qui n’aime ni les classements, ni les cases, ni les frontières. Dans son film, tout est vrai et rien n’est vrai. Le narrateur raconte sa propre histoire et l’interprète sans se prendre tout à fait pour un comédien. Il fait jouer des professionnels (Marie Raynal, Jacky Berroyer…) avec d’authentiques mamies en blouses du marché ou des chômeuses en reconversion. Il mélange la couleur et le noir et blanc, la vidéo et le film. Il enchaîne des scènes oniriques et stylisées à la manière d’un Pierre Etaix à des extraits de ses propres documentaires, bruts de décoffrage. Il en résulte un objet filmique inclassable, libre, foutraque et généreux.
« C’est un film bio, avec des mauvaises herbes dedans, mais j’espère aussi un vrai goût, une vraie saveur », explique l’auteur à l’issue de la projection. « On fait ce genre de film pour défendre une biodiversité dans un monde du cinéma menacé par le rouleau compresseur de l’industrie et le formatage des écritures TV ». Le pitch aurait pu annoncer un film terriblement plombant : c’est l’histoire d’un reporter face à son cancer, les aléas de son parcours hospitalier. On en ressort au contraire avec une impression fraîche et joyeuse. Le récit évite le pathos et le caractère judéo-chrétien de ce genre d’exercice, la rédemption par la souffrance, pour nous offrir autre chose : un regard décalé, parfois amusé sur ce face à face entre le malade et l’institution médicale. Où l’on comprend combien la place assignée au patient est justement celle d’être… patient !
Pendant cette période de vacuité, le héros converse avec l’Ankou en passant le balai dans la cuisine de sa maison bretonne. Essaie de faire l’amour clandestinement dans sa chambre d’hôpital. Gamberge sur ce crabe qui lui déglingue sexualité et mémoire. Se remémore des scènes vécues par le reporter qu’il fut. Pittard, qui a aussi été le chef opérateur de Nicolas Philibert, Robert Kramer et d’autres, en profite pour nous glisser des plans extraits de 30 années de pratique documentaire : manifestations aux chantiers navals de St Nazaire, conférence du commandant Marcos dans le Chiapas, mineurs au vestiaire et sous la douche, malade de la silicose, paysan maoïste… Et l’usage du sextoy dans le film, vous demandez-vous ? Il est finalement assez peu présent, reste à l’état métaphorique. L’amour est bien là mais sur le mode plus romantique d’une belle complicité avec Marie Raynal. Les membres du Conseil régional qui s’inquiétaient à l’idée de subventionner un film porno peuvent être rassurés !
Le récit est largement autobiographique, et l’enjeu à l’écran se prolonge dans la réalité : le vrai Pittard qu’on rencontre après le film est toujours en rémission. Bonhomme, chaleureux et visiblement heureux d’être en vie.
– Comment est venu le désir d’écrire ce film?
– Eric Pittard : Ce qui m’a frappé lorsque je suis tombé malade, c’est de me retrouver sur la touche socialement, après avoir travaillé pendant 30 ans. Ça a été le point de départ de mon écriture : ce lien entre maladie et chômage, cette même exclusion. Et j’ai beaucoup repensé à ces ouvrières de Lévis que j’avais filmées et qui tombaient malades après leur licenciement.
– Au début du film, le narrateur brandit un sextoy et une bobine de pellicule. Quel point commun entre les deux ?
– Les deux se complètent autour du plaisir. Le sextoy incarne la revendication du plaisir individuel. C’est une manière de dire « je », « j’aime », « je désire ». C’est une métaphore ironique entre l’intimité et un contexte plus général de crise qu’on nous rabâche à longueur de temps. La pellicule, c’est le travail et la mémoire.
– Comment avez-vous choisi les extraits de vos documentaires qui jalonnent le film ?
– J’ai choisi ces plans pour leur exemplarité en matière d’engagement et de moralité. J’ai beaucoup filmé l’engagement politique et le travail. Je me sens proche de ce monde-là, j’en suis issu. Je ne suis pas un artiste, j’aime me revendiquer comme un « oeuvrier. »
– Dans votre film, la première personne est très affirmée…
– Ca représente une évolution pour moi. À l’époque où j’étais militant mao, c‘était absolument impossible de dire « je ». On disait « nous sommes l’avant-garde de la classe ouvrière! ». Il n’y avait pas de place pour l’individu. Il faut réconcilier l’intime et le collectif
– Certaines scènes sont moqueuses à l’égard de l’institution médicale, vous aviez un compte à régler ?
– Non. J’ai fréquenté ce monde pendant de longs mois et je l’ai presque aimé. J’y ai croisé des gens formidables, qui travaillent parfois avec des bouts de ficelle et se donnent sans compter pour des malades qui peuvent être odieux. Mais j’y ai aussi observé les jeux de pouvoir, la technicité qui exclut mécaniquement le malade. J’ai aussi compris qu’être patient c’est apprendre à ne jamais demander si l’on va guérir.
– Vous faites l’acteur pour la première fois, ça a été facile ?
– Ca s’est fait assez naturellement. Après 30 ans derrière la caméra, j’ai pris mon pied à être devant, à jouer à l’acteur, comme un môme. Et après de long mois d’hosto, c’était très jouissif de se remettre au boulot, de sentir à nouveau une ambiance de travail.
– Est ce un choix par défaut ?
– On a d’abord cherché un comédien. On a fait lire le scénario à quelques acteurs connus. Certains étaient intéressés mais il aurait fallu changer trop de choses pour faire entrer le film dans les clous d’une chaîne de TV. Certaines chaînes aimaient le projet mais ne savaient pas ou le mettre. Fiction ? Documentaire ? Finalement, le film s’est fait sans télé avec un budget inférieur à 1 million d’euros : l’avance sur recette,+ la région Bretagne,+ une Sofica.
Philippe Baron
Photo : Eric Pittard lors de l’avant-première à Rennes de »De l’usage du sextoy en temps de crise ».