Fabrice Richard, la belle expérience


Il a du métier et aime partager son savoir-faire. En près de vingt cinq ans de carrière, le chef opérateur et directeur de la photographie Fabrice Richard a multiplié les expériences dans la fiction, l’animation, le documentaire, la publicité et le vidéo-clip. Ce n’est pas à un Normand né à Rouen qu’on apprend à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier…

Tout commence par le Super 8

« Dès l’âge de 14 ans, je me suis emparé de la caméra Super 8 de mon père. Il fallait absolument que je filme. J’avais à la fois une passion pour l’image, l’envie de raconter des histoires et un attrait fétichiste pour l’objet. A cette époque, je réalisais, avec mon cousin, des films de science-fiction de série Z. Pour tout dire, plutôt ratés ! Ce qui explique que la plupart de ces ‘’essais cinématographiques’’ soient restés à l’état de bobines… Ma grosse énergie d’adolescent était compensée par une forme de lucidité qui me faisait comprendre que je n’étais pas le nouveau Jean-Luc Godard !

J’ai continué à faire mes gammes au sein du Club des amateurs cinéastes de Rennes, le CACR, où j’ai rencontré Philippe AllardJean-François Bigot (1) et François Leblay (2). Nous avons très vite formé un quatuor très productif qui tournait des courts métrages en 16 mm et en Super 8. C’est dans ce dernier format que Philippe a voulu réaliser son premier long métrage de fiction. Autant dire que cela relevait de l’exploit ! Je me suis trouvé embarqué dans l’aventure au poste glorieux de chef-opérateur.

Le film Villa Beausoleil a trouvé un producteur après le tournage, a été gonflé en 35 mm, est sorti en salles et a obtenu deux excellentes critiques dans des revues de cinéma et non des moindres : Les Inrockuptibles et Les Cahiers du cinéma qui ont fait l’éloge de l’image du film. De mémoire, ils la qualifiaient « d’estivale, lumineuse, solarisée ». Le comique de l’histoire, c’est qu’ils avaient pris des erreurs techniques pour un choix esthétique. L’image était, en fait, surexposée, mais cela n’avait été intentionnel. Il faut dire que le film Kodachrome ne supportait aucun écart… L’essentiel est qu’ils aient aimé. Moi, j’avais 20 ans et de l’enthousiasme à revendre.

Après cette première expérience au long cours, j’ai continué à réaliser des films et à prêter main forte aux copains. Autoproduits, soutenus par des bourses jeunes ou par l’Atelier Régional de Cinéma (ARC), ils ont été plus ou moins bien diffusés. Mais tout s’est arrêté quand nous nous sommes aperçus que nous risquions d’y laisser notre peau. Certains vivaient de petits boulots. Moi, j’étais alors objecteur de conscience et les 300 francs que je gagnais chaque mois passaient dans l’achat de pellicules et les frais de laboratoire ! Pendant cette objection effectuée au service de production audiovisuelle du Centre Régional de Documentation pédagogique à Rennes, j’ai connu la fin de ce qu’on appelait encore la télévision scolaire. Cette période de deux ans a été très formatrice. J’y ai appris la vidéo et le montage. J’ai complété par une formation  professionnelle à l’Ecole Louis Lumière et me voilà lancé dans le métier. Tout a été très vite. Depuis, je n’ai jamais cessé de travailler. »

Le top du top
« Depuis toujours, je collectionne toutes sortes de caméras 16 mm ou de très belles Super 8 Beaulieu. J’aime ces objets et quand je ne les aime pas, je le dis. Aujourd’hui, on nous met dans les mains des outils qui ne sont pas toujours ergonomiques. Je pense à toute cette génération de petites caméras qui ne sont pas agréables à utiliser. Rien n’est bien placé. Tourner devient une lutte. Ces objets invraisemblables sont mis au point par des ingénieurs et non par des gens du métier. La bonne nouvelle, c’est que c’est en train de changer. Ce n’est pas grâce aux billets d’humeur que je poste sur mon blog, mais parce que les opérateurs font remonter des informations. On est en bonne voie !

Je teste tout ce qui sort. Je fréquente tous les salons professionnels en France. Cela fait partie du métier. J’ai eu l’occasion dernièrement d’utiliser la Sony F 65 qui appartient à Technicolor à Rennes. C’est le top du top ! J’apprécie de collaborer avec des chercheurs qui travaillent sur les images de demain. Ils les triturent, les dégradent, les font passer par des formats de compression… Cela me permet d’avoir dans les mains des caméras et des objectifs de très haute qualité. »

Miroir et interprétation

« Les caméras Digital Cinéma produisent des images très douces, très plates, sans contraste ni couleurs. C’est ce que l’on appelle le négatif numérique… Et ce négatif doit être développé pour tirer le meilleur parti de ces caméras. C’est la phase de l’étalonnage. Dans l’idée de toujours continuer à avancer et de pouvoir aller au bout de mon travail d’opérateur, je démarre fin novembre une formation à l’étalonnage. Je considère l’étalonnage comme la continuité directe du travail du chef opérateur.

On le voit aujourd’hui, les gens cherchent, au travers d’applications comme Instagram ou Hipstamatic, à donner à leurs photos une esthétique différente, souvent inspirée des « défauts » de l’image argentique (grain, vignetage, virage des couleurs …). Ceci afin de s’éloigner de l’aspect souvent très clinique de l’image numérique. J’ai été formé à l’image argentique, je la connais donc bien. Pour moi, l’image numérique est un miroir de la réalité, alors que l’image argentique en est une interprétation. C’est ce qui fait sa force et sa sensualité. Je pense que l’on n’aime pas trop l’image que renvoie un miroir… »

Sortir du cadre

« J’ai toujours été très à l’aise avec la caméra. Mais j’ai mis à peu près 7 ans pour passer du cadre à la lumière. Il paraît que c’est le laps de temps nécessaire pour l’apprivoiser. C’est Loïc Lostanlen qui m’a mis le pied à l’étrier. Parmi la soixantaine de courts métrages que j’ai filmés, un certain nombre ont été éclairés par lui. Je le regardais placer ses projecteurs. Peu à peu, je me suis enhardi à les manier moi aussi.

La caméra, c’est quelque chose de très concret. Le personnage est plus ou moins bien cadré, le chef-opérateur plus ou moins réactif… Mais la lumière, c’est beaucoup plus abstrait. Cela m’a toujours fasciné. Pour comprendre d’où elle vient et ce qu’elle raconte, il faut beaucoup observer. Depuis plus de dix ans, la lumière est devenue mon credo, même si je tourne encore beaucoup de films – ce sont d’ailleurs souvent des documentaires – qui font appel à mes compétences de cadreur. »

La lumière n’est belle que si elle est dangereuse 

« J’aime quand la lumière prend des risques, quand elle flirte avec la surexposition, la sous-exposition, quand les directions sont claires et affirmées. Il y a de très bons directeurs de la photo en France, mais ma préférence va aux Américains. Par exemple, dans Attrape-moi si tu peux de Steven Spielberg, Janusz Kaminski a fait des choix très tranchés : il y a une incroyable intensité de lumière dans les ouvrants, dans tout ce qui entre par les fenêtres. C’est très fort. Et ce n’est pas grave, bien au contraire, que l’acteur qui traverse ces rais de lumière soit totalement surexposé ! Je crois qu’on ne progresse dans son métier que si l’on ose. En France, on a tendance à aplanir les contrastes. Même s’il y a des contre-exemples frappants. Le directeur de la photo Jean-Yves Escoffier a réussi une lumière très stylisée pour Mauvais sang de Léos Carax. Sa photo est tout bonnement sublime. J’adore ce film qui m’a beaucoup impressionné quand je l’ai découvert. Je puise mon inspiration dans toutes sortes d’images : le cinéma, bien sûr, mais aussi la photographie et la peinture dont je suis féru. Pour moi Georges de La Tour, Le Caravage et Vermeer sont les maîtres de la lumière. Parmi les contemporains, j’aime aussi beaucoup Edward Hopper qui peint des scènes de la vie quotidienne. J’observe continuellement la lumière dans le monde réel. Partout où je vais, dans un restaurant, à l’extérieur dans les villes, le jour, la nuit, je regarde, j’enregistre et je digère. Je prends parfois des photos pour fixer, par exemple, la façon dont le soleil entre dans une pièce, marque le sol, etc. Et sur les plateaux, je me sers de toutes ces réminiscences, de toutes ces traces, ces perceptions, accumulées dans la vie. »

« Ce sont les réalisateurs Bruno Collet et Laurent Gorgiard qui m’ont offert mes expériences professionnelles les plus marquantes. Le clip de la chanson La plume de Louise Attaque, réalisé par Laurent, comme Le Jour de gloire de Bruno, tous deux produit par Vivement Lundi !, m’ont permis de relever quelques défis techniques et esthétiques. Je suis très fier d’avoir tourné ces deux beaux films aux univers en clair-obscur. C’était difficile en raison de mouvements de caméra très compliqués. Il fallait se creuser les méninges pour réaliser chaque plan. Chez Vivement Lundi !, dans notre petit studio, on a –mine de rien – réalisé quelques exploits techniques !

J’ai signé l’image de beaucoup de films d’animation. J’en fais un peu moins maintenant. J’ai la particularité de travailler dans beaucoup de domaines différents. Ce qui constitue à la fois ma force et ma faiblesse. C’est assez rare de faire de la fiction, courte et longue, de l’animation, du documentaire, de la publicité, des films institutionnels et des clips. La plupart des directeurs de la photo sont spécialisés dans un domaine. Cela me permet de rebondir et d’avoir toujours du travail. Mais le revers de la médaille, c’est que je ne suis pas identifié comme appartenant à tel ou tel réseau. Je ne peux donc plus me permettre de « m’absenter » plusieurs mois sur un film. Si je fais une parenthèse trop longue, professionnellement, je suis mort. Par exemple, les productions qui m’emploient une fois par mois sur des publicités ne feront plus appel à moi. Ces considérations peuvent paraître anecdotiques, mais comme on court tous plus ou moins après les contrats, restons prudents… »

Coller aux intentions du réalisateur

« Cela dit, j’aimerais travailler à nouveau pour des fictions longues. Je me suis rendu compte que tout était une question de réseau. Pour faire carrière, il faut aller à Paris, se montrer dans le milieu très fermé du cinéma, se faire voir des producteurs, assister aux projections…  J’aime trop la tranquillité de la Bretagne pour me soumettre à la fureur parisienne que je ne côtoie qu’avec parcimonie ! Rester ici, travailler majoritairement ici, c’est aussi une façon de lutter contre ce centralisme vraiment dommageable.

J’ai vécu une très belle expérience sur Hasta Mañana (bande-annonce à découvrir ici) qui est sorti en juillet dernier. C’est le premier long métrage de deux gars très talentueux, Sébastien Maggiani et Olivier Vidal. C’est un road movie avec des gamins de la Ddass et une belle histoire d’amitié. Ce film indépendant, mais très bien soutenu, est sorti sur 60 copies et a été sélectionné par plusieurs festivals internationaux. Sébastien avait 16 ans au moment du tournage. Ca a été une rencontre fabuleuse. Il est d’une maturité et d’une culture cinématographique très impressionnantes. On a beaucoup échangé avec lui et Olivier qui est plus âgé. Sur le plateau, je suis l‘interlocuteur privilégié du réalisateur. C’est important de se parler, de regarder des films, de la peinture, des photos. Sinon, on reste dans l’abstraction. Je veux coller aux intentions du réalisateur. Et tant pis si ça me met en danger, s’il me demande des images bougées qui paraissent moins propres.

En ce moment, je croise les doigts pour qu’une chaîne achète la série télévisée Les psys, produite par Caméra Lucida, réalisée par le Rennais Eric Greffin et adaptée par un autre Rennais Pierre-Yves Pruvost. Elle est inspirée de la bande dessinée éponyme de Bédu et Cauvin. Nous avons mis en boite quatre pilotes, chaque épisode dure une minute. Il y a du beau monde. Le psy est incarné par François Morel. J’espère que ça va aboutir ! »

Propos recueillis par Nathalie Marcault

(1) Jean-François est professeur de cinéma, co-fondateur de L’Arrosoir à Emile. Il travaille actuellement chez JPL Films.

(2) François Leblay est aujourd’hui chargé de production au sein de l’association La Station Service (création et diffusion musicale)

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