Fabrice Dugast : l’art d’expérimenter


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Longtemps à la manoeuvre de la société parisienne Trois Fois Plus co-productrice de Court-circuit, le magazine du court-métrage d’Arte, Fabrice Dugast crée à Rennes une nouvelle structure de production, Kinolabo. Rencontre avec un créateur prolifique au parcours surprenant, passionné d’expérimentations techniques et de nouveaux formats.

– Films en Bretagne : Certains se souviennent certainement du groupe rennais de la scène punk-rock des années 80, Complot Bronswick. Le jeune homme aux commandes du violoncelle, c’était vous !

Oui, je jouais dans quelques groupes de cette scène et j’accompagnais notamment Complot Bronswick en tournée. C’était l’époque du « rock culturel ». Et c’est ce que je trouvais intéressant : les allers-retours entre la scène rock et le théâtre… L’âme du groupe, l’expérience, la volonté du geste artistique.
Aujourd’hui, je replonge dans cette époque, comme réalisateur cette fois, pour un film documentaire. Cette année, l’Ubu, salle mythique de Rennes, fête ses trente ans et c’est amusant de naviguer dans cette mémoire et ce lieu où j’ai joué.

– Comment en êtes-vous venus aux métiers de l’image ?

Je suivais des études à Rennes et Brest, à la fois en information et communication et en technique audiovisuelle. C’était l’époque où la vidéo électronique démarrait. À Brest, il y avait un laboratoire de géo-architecture suréquipé ! C’était bien avant la 3D. On y faisait des simulations avec des maquettes et des robots. J’y ai pris goût à l’usage des nouvelles technologies. J’ai poursuivi avec un stage au Centre Commun d’Études de Télévision et Télécommunications dans lequel beaucoup de gens, étudiants en arts ou en audiovisuel, artistes, réalisateurs pouvaient expérimenter. On était accompagné par des psychologues et des sociologues pour analyser les conséquences des nouvelles technologies sur le geste artistique. Et si dans la musique, j’étais et suis resté classique, à l’image, les nouvelles technologies associées me fascinaient et me fascinent encore aujourd’hui.

– On vous retrouve ensuite en Allemagne, qu’est-ce qui vous y a amené ?

La coopération ! Avec ce profil audiovisuel, j’ai pu faire mon service militaire au sein d’un Institut français, à Sarrebruck. On y produisait des contenus pédagogiques et de promotion de la culture française, j’y ai réalisé des programmes pendant seize mois. C’est d’ailleurs là-bas que j’ai rencontré Jean-François Le Corre, de Vivement Lundi !, quand il m’a succédé à l’Institut. J’avais déjà commencé à me construire un réseau, je suis donc resté en Allemagne. J’ai assez vite travaillé avec La Sept et dès 1991, je me suis rapproché de Strasbourg, au moment de la création du grand laboratoire Arte. Le fait de parler allemand et d’avoir ces expériences de production de films culturels m’ont amené à travailler rapidement avec eux. Je me suis donc retrouvé en 1992, à l’ouverture de la chaîne, au cœur d’une collaboration franco-allemande pas toujours évidente.
À l’époque, Arte n’avait pas de présentateurs pour incarner ses cases de programmes et l’habillage graphique tenait ce rôle. C’était un véritable espace de création. J’ai notamment participé aux habillages graphiques des soirées thématiques, fleuron de la grille de l’époque. Je n’étais pas issu du graphisme et de l’animation mais j’ai appris et ça m’a passionné.

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– C’est à ce moment que vous créez la société de production Trois Fois Plus ?

Oui, dans les années 95-96, je me suis installé à Paris et ai créé, avec des collègues Laurent Besançon et Jean-Marc Huys, une société pour produire des habillages graphiques et des programmes courts. La puissance des outils informatiques permettait enfin de rivaliser avec des outils de production beaucoup plus couteux et nous avions aussi la volonté d’accompagner, pour Arte toujours, des projets multimédia, de créer des choses pour le web. C’était un grand foutoir mais aussi un super labo ! On a créé beaucoup de choses pendant une dizaine d’années. Notamment des jeux ou des polars sous forme de BD interactives. Arte nous demandait également des programmes pédagogiques. En 2005, Court-circuit cherchait un producteur capable de faire le magazine et de le développer sur le web. Ça a été dans la continuité de l’aventure.

– Quelle place pour la musique dans ces projets ?

L’ambition de la scène a disparu depuis longtemps. Mais j’ai toujours continué à composer et notamment pour certains programmes de Trois Fois Plus (Trucssystème D, etc.). Entre musique et bruitage, ces créations sonores sont une vraie source de plaisir.

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– Et aujourd’hui, qu’est-ce qui motive ce retour à Rennes et la création d’une nouvelle structure ?

À Paris, je n’avais plus le temps d’écrire. J’étais cantonné à un rôle de producteur qui ne me satisfaisait plus à 100%. J’aime accompagner des projets et j’ai ce besoin de réaliser aussi. Et puis, ce n’est pas facile de jongler avec les aspects multi-céphale et de multi-géolocalisation d’Arte, ni avec ceux d’une société de production entre Strasbourg et Paris.
J’ai eu envie de revenir à quelque chose de plus simple. Je n’ai plus la volonté de maîtriser une œuvre intégralement, de A à Z, j’ai envie de m’entourer. Les œuvres mises en chantier, ces espaces de création doivent devenir des lieux de rencontres.
Je suis donc rentré à Rennes et j’ai créé une nouvelle société : KinoLabo ! Pour l’heure, elle est encore toute jeune et prendra bientôt la forme d’une coopérative de production.

–  Le nom que vous avez choisi induit des expérimentations côté formes et récits, quels types de projet Kinolabo va développer ?

Des projets traditionnels (animation, documentaire, fiction, etc.), du court métrage et des formats hybrides de l’ordre de la réalité virtuelle et de la narration interactive. En fiction, je cherche l’imaginaire, loin du réalisme de la grande tradition classique du cinéma français. J’aime le cinéma qui se décolle de la réalité. J’aime quand la trame narrative bascule de temps en temps dans le rêve, le cauchemar, quand il y a ce quelque chose qui nous sort de la fiction naturaliste. La technique de l’animation s’y prête plus facilement. On va dire que l’une de mes grandes références est lynchienne. À la frontière du fantastique, ce cinéma qui donne l’apparence du réel, en le travestissant dans des ressorts plutôt psychotiques. C’est ce qui m’émeut au cinéma.
Actuellement je prépare en tant qu’auteur un court métrage en VR interactive adapté d’un roman d’Alain Robbe-Grillet, et je développe avec une équipe une série documentaire, également interactive, qui s’appuie sur les Archives de la planète d’Albert Kahn.

Propos recueillis par Jennifer Aujame