ETIENNE GÉRAULT et l’écoproduction : une question de choix !


C’est par la grande porte qu’Etienne Gerault est arrivé sur un tournage alors qu’il travaillait depuis plus de 10 ans dans la construction : son frère Mathieu tourne son premier long métrage (« Sentinelle Sud ») et lui propose le poste de chef constructeur. 

Habitué à travailler de manière responsable, il applique avec son équipe ses méthodes sur la déco du film. Néanmoins, la quantité de matériaux et de ressources utilisés ainsi que les déchets induits lui font brutalement prendre conscience de l’impact de nos métiers sur l’environnement. 

Pour essayer de mieux comprendre et surtout d’agir, il décide de se former à l’écoproduction en 2023. 

Installé dans le Morbihan, il souhaite notamment travailler plus en Bretagne.


Films en Bretagne : Comment êtes-vous arrivé à vous intéresser à l’écoproduction ? Quelles ont été vos premières priorités dans sa mise en place ?

Etienne Gérault : Tout naturellement ! J’ai grandi dans un environnement écolo des années 80’s : Les 1ères amaps rennaises, la 1ère biocoop, les livres et les conférences de Pierre Rabhi… tout ça ne m’a jamais quitté !

Avant d’entrer dans le monde du cinéma et des tournages, j’ai été une dizaine d’années artisan en éco-construction. J’y ai développé des connaissances et des compétences diverses sur l’écologie: éco-matériaux, prise en compte de l’énergie grise, recyclage, bilan carbone, circuit court, optimisation des solutions…

C’est mon frère qui m’a fait découvrir les tournages avec « Sentinelle Sud », son 1er long.
Ça a été une super expérience pour moi. J’ai adoré ! 

Mais quand dans notre vie de tous les jours, on met des choses en place pour limiter nos impacts et que l’écologie n’est plus un sujet de discussion, on déchante un peu en tournage ! On est aspiré dans une tornade, où les décisions sont lointaines, où les préoccupations environnementales ne sont pas une priorité, on suit les directives, on s’adapte… et on fait surtout au mieux pour satisfaire le-la chef-fe déco, la mise en scène et l’image…!

Après quelques tournages, j’ai vite voulu mettre du sens dans tout ça, chercher quelles solutions je pouvais mettre en place à mon échelle, en tant que 1er déco. J’ai la chance de travailler en grande partie avec des chef-fe déco sensibles à ces questions, avec des équipes sympas, mais sans réussir pour l’instant à instaurer de grands changements dans nos pratiques. 

Je me suis formé à Écoprod avec Films en Bretagne l’année dernière, j’ai fait des rencontres et découvert des initiatives qui existaient déjà : MAD, Ecodéco, Ecoprod, CUT… Des gens se bougent sur ce sujet depuis longtemps déjà, et ça donne envie d’aller plus loin. Aujourd’hui, j’en suis là…
À me demander comme beaucoup comment faire pour continuer tout en étant en accord avec ses convictions, comment apporter du sens dans ce métier passionnant. Et surtout Comment faire bouger le 7ème art, l’emmener vers la transition !

Films en Bretagne : Qu’est-ce qui vous paraît plus facile à mettre en place sur un tournage ?

Etienne Gérault : Le plus simple, ce sont toujours les petits gestes individuels ou de petits groupes.
On a la chance en déco d’être un peu « indépendants » sur les tournages par rapport aux autres. On gère notre budget, les embauches, on peut même parfois choisir notre propre hébergement (pour être plus proche de nos décors). Donc on a un peu de liberté pour avancer dans notre coin.

Concrètement, on est souvent tous d’accord pour exclure Amazon et autres plateformes de notre travail, on a une « table régie » simple, de saison, et on fait attention aux fournitures de bureau (papier recyclé…). 

Dans la construction, je cherche systématiquement du bois européen, ou minimum FSC, on optimise nos interventions et surtout, si possible, en collaboration avec la Mes, on essaie d’adapter le PDT pour réutiliser au maximum nos matériaux sur les décors suivants. Par exemple, si on doit construire une chambre, puis un bureau puis une salle de bain, on peut récupérer les feuilles de décor dans cet ordre. Dans l’autre non. On aura collé du carrelage, de la faïence…
On essaie de recycler au maximum nos décors mais en région il y a peu de ressourcerie cinéma encore. Donc on contacte en amont les compagnies de spectacle vivant et au pire on trie au maximum.
On utilise autant que possible des matériaux et des fournitures issus du ré-emploi, donc leboncoin – emmaüs – ressourceries – trocs – vides greniers… 

Le transport, c’est un point très important en déco. On optimise les déplacements, surtout les enlèvements des Rippeurs en 22m3. Il faut éviter au maximum les aller-retours et anticiper au mieux. Un outil simple en région, où on a aucun repère géographique encore : on imprime au mur une carte géante de la région et on note les fournisseurs, les ressourceries, les enlèvements Leboncoin etc…. Ça permet de limiter au maximum les km.

Comme ça, ça paraît assez simple mais c’est déjà un grand bazar et en fonction des lieux de tournages, c’est plus ou moins compliqué… 

Pour les peintres, on essaie de recycler l’eau de nettoyage des pinceaux, avec si possible une station de recyclage. Mais peu de chef·fes peintres en sont équipé·es, et lorsqu’on a peu de peinture à faire, la location d’une station n’est pas une solution pertinente.

D’autres choix sont plus compliqués car ils affectent directement le budget et l’artistique.
Par exemple, utiliser de la peinture bio-sourcée. C’est plus cher et ça modifie également les habitudes de travail des peintres : temps de séchage, réajustement des couleurs qui ne sont pas fidèles aux nuanciers utilisés traditionnellement (farow&bolw, unikalo…), les procédés de patines qui réagissent différemment. C’est tout un protocole de travail qu’il faut recréer. Les peintres en cinéma ont un gros travail à faire en ce moment pour adapter leurs pratiques. Mais c’est un enjeu essentiel. On peut également préférer des linoleums plutôt que des linos pvc issus du pétrole. Encore une fois c’est plus cher mais surtout le choix est plus limité et l’approvisionnement plus long. Ça s’inscrit donc dans un choix artistique global, et ça demande une grande anticipation.

On essaie au maximum de limiter les produits fabriqués à l’autre bout de la planète, et en plastique. Mais c’est difficile pour un·e régie d’extérieur, par exemple, de ne pas trouver des merveilles chez Gi-fi, la foir’fouille, Action ou autre… on remplit son camion de toutes sortes d’objets merveilleux pour 200€ ! C’est fait avec toutes les bonnes intentions, c’est la peur de manquer, de se tromper, le besoin de présenter un maximum de propositions aux réalisateurs-trices… 

Il faut déconstruire nos habitudes de profusion et de consommation.
Il ne faut pas oublier alors que le meilleur achat c’est l’achat juste! Que la vraie compétence, c’est justement de trouver LE bon accessoire qui colle au personnage. Et il faut soutenir, défendre cette idée lors de la présentation accessoires, et durant tout le tournage. 

Films en BretagneQu’est-ce qui vous paraît plus difficile, quels freins, quelles contraintes ?

Etienne GéraultDes freins, il y en a tellement… Des régions qui sont plus ou moins sensibles à l’écologie, des techniciens et des productions qui ne sont pas encore sensibilisés et formés sur ce sujet.
Par exemple si je reviens sur les achats d’occasion, les sociétés de productions, pour des raisons de crédits d’impôts, de montages financiers, sont de plus en plus récalcitrantes ! 

On doit suivre un protocole quasi impossible : capture d’écran de l’annonce Leboncoin, attestation signée du vendeur avec photocopie de sa carte d’identité, photo de l’objet dans le décor…pour une lampe à 10€ par exemple, réceptionnée sur le parking du Super U…
Au début je pensais que c’était pour éviter les éventuels achats perso des équipes déco et garder un oeil sur les achats. Mais en fait c’est pour rentrer dans les lignes comptables ! Les achats leboncoin, vide grenier…, sans TVA et sans Siret, ne rentrent pas dans les lignes de dépenses des crédits d’impôts.
Donc dans le système actuel on dirait qu’il est préférable d’acheter un meuble neuf, de payer un-e peintre un ou deux jours pour le patiner, plutôt que de l’acheter dans un troc et puces… 

Bref on favorise un achat 2 à 3 fois plus cher et ayant un bilan carbone très largement supérieur !

Films en BretagneQu’est-ce qui manquerait pour avancer plus rapidement dans votre métier ? Y a-t-il des éléments que vous souhaiteriez mettre en place ou voir mis en place pour aller plus loin ?

Etienne GéraultOn rentre dans le vif du sujet, et c’est passionnant.
Face à un problème, on cherche toujours un moyen de le contourner, de le solutionner. Le nucléaire « propre » en remplacement des voitures thermiques, les réseaux et l’informatique pour réduire l’utilisation de papier, les avions à l’hydrogène pour continuer de voyager…

Outre le fait que toutes ces solutions technologiques ont des impacts bien plus grands que ce qu’on veut bien nous faire croire, ça nous permet surtout de continuer en avant !
Pour moi, commencer à parler d’éco-production c’est donc avant tout prendre véritablement conscience du problème, et arrêter de faire comme si tout allait se régler tout seul.  C’est parler sobriété, humanité…

Au vu des connaissances dont nous disposons maintenant, nous ne pouvons plus faire l’impasse sur ces questions fondamentales :

  • Peut-on continuer de produire autant d’offres audiovisuelles ? Est-ce que cela a encore du sens en 2024 ?
  • Comment encadrer cette production, en quantité et en qualité environnementale ?
  • Quelles instances mettre en place pour régir ce changement ?
  • Faut-il contraindre la création, dont la création cinématographique ?
  • Comment limiter les transports en régionalisant vraiment les équipes techniques ?

C’est un chantier colossal, mais avec le Covid on a la preuve maintenant qu’on peut tout faire si on se donne les moyens !

Alors évidemment, les solutions individuelles et techniques sont indispensables, elles impulsent une direction, mais elles seront malheureusement très insuffisantes. S’il fallait donner quelques pistes de réflexions concrètes pour avancer tout de suite, je dirais: 

Régionaliser au maximum les technicien·nes. C’est plus contraignant de travailler avec une équipe nouvelle à chaque fois mais c’est le meilleur moyen pour limiter les transports, les hébergements. Cette année j’ai travaillé sur Cannes, Lens et on m’a proposé Strasbourg, la Camargue… Avec une vie de famille, pour rentrer un peu j’ai quand même dû faire un aller-retour en avion Cannes-Nantes sur 3 mois de tournage…

Ensuite je dirais : « les déchets qui polluent le moins sont ceux qu’on ne produit pas ».
Puisque le sujet de réduire le nombre de productions par an n’est pas encore « entendable », on peut peut-être commencer par discuter de la durée des tournages, de leur préparation et de la répartition des moyens financiers pour optimiser la création d’un film.
Récemment, j’étais sur un long en Bretagne, un film d’époque. On devait, entre autres, refaire une rue 1930’s dans un village : fenêtres-portes-volets…Donc on fabrique en atelier l’ensemble des menuiseries, les peintres les patinent, et une dizaine de couches de peintures plus tard on installe le tout dans le décor naturel.

Mais lorsque l’équipe plateau pose la caméra in situ, ils changent tout le découpage, les axes caméras, les déplacements…On finit par filmer le contre-champs : un mur en pierre…

C’est le travail de toute l’équipe déco (dont 3 constructeurs, 4 peintres, 2 Rippeurs) pendant 2 semaines qui saute. C’est beaucoup d’argent mais aussi de matériaux : du bois, de la peinture, du gazoil etc…

On ne peut plus se permettre ce genre de gaspillages. Pourtant c’est un problème très fréquent sur les tournages. Peut-être qu’il faudrait donner plus de temps de préparation à la MES, aux chef·fes opérateur·ice et chef·fes déco pour affiner le projet avant toute intervention ?
Peut-être même que cela pourrait réduire le temps de tournage. Ça voudrait dire avoir le scénario définitif, le plan de travail et les décors avant de commencer le tournage…

Une autre piste qui n’a rien à voir : Je suis un fan du mouvement Dogma95 : des films comme « Festen » de Thomas Vinterberg 1,3 M€, « Les idiots » de Lars Von Trier 2,5M€ ou « Lovers » de Jean Marc Barr -1M€… ce sont des films à petits budgets et donc à faible empreinte carbone, qui ont pourtant marqué beaucoup d’adolescents comme moi.
J’entends que ce n’est qu’un style de cinéma, qu’il est critiquable et il a ses limites. Ce n’est pas transposable à tous les styles mais c’est la preuve qu’on peut faire des films de grande qualité, qui marquent, tout en diminuant drastiquement l’empreinte carbone.

Il y a plein d’autres exemples. Plus récemment j’ai adoré « Perfect days » de Wim Wenders, tourné en 16 jours seulement (au lieu de 30 en moyenne pour un long).  Il y a déjà des solutions, il faut juste les voir et retrouver le bon sens…

Bien sûr, le cinéma spectaculaire fait tout autant partie de l’offre culturelle. Il serait cependant intéressant de questionner de manière drastique le rapport coût financier / écologique de chaque élément et ce que ça apporte réellement au film. Peut-être aussi en limitant leur nombre. Des films comme « Oppenheimer » ou « Babylone », c’est tout aussi important et utile !

Si on parle de solutions rapides qui pourraient faciliter notre éco-démarche, la première c’est bien sûr de former un maximum de personnes sur ces sujets.
Ensuite, on pourrait peut-être commencer chaque tournage par une discussion : prendre un temps collégial, tout technicien·nes confondus : la MES, la déco, l’image, le son, le hmc la régie et la production, pour mettre à plat les objectifs, les attentes des productions. Une grande réunion pour cadrer les engagements du tournage, donner des outils à chacun si besoin, être à l’écoute des difficultés probables. Quand tout le monde regarde dans le même sens, c’est plus simple ensuite de comprendre les initiatives, les engagements et les difficultés de chaque département. Ça veut dire qu’il faudrait prévoir un jour complet de travail pour toute l’équipe autour du sujet de l’éco-production (comme une journée de lecture du scénario), au moins pour tous les chef·fes de poste.
Je crois que quelques productions le font, mais peut-être pas sur une journée complète.

Pour la déco, et plus particulièrement la construction, il faut peut-être réfléchir à limiter l’utilisation de matériaux neufs à chaque tournage. Je crois que la feuille décor en CP est apparue avec l’abondance du bois. C’était plus rapide, donc plus économique. Aujourd’hui au vu des prix et de la raréfaction des matériaux il faut repenser ce système constructif et peut-être revenir aux feuilles enduites sur voilette ou toile de jute. Ça permet de conserver toutes les structures et de ne jeter que le parement.

Films en BretagneEt pour 2024 alors ? 

Etienne GéraultJ’ai rejoint le collectif CUT (Cinéma Uni dans la Transition) et leurs groupes de réflexions. Je continue le travail autant que possible avec FeB ! Et je m’informe sur toutes ces questions : la chaine youtube Thinkerview est une mine d’infos, le site d’écoprod, les conférences en lignes, les ami·es…etc

Voilà, quelques réflexions en cours… Merci beaucoup à Films en Bretagne

Propos recueillis par Mado Le Fur, pour Films en Bretagne – juin 2024