Après une licence en Arts du Spectacle et quelques stages en mise en scène, Sophie MARC s’est dirigée vers la régie en 2016. Elle multiplie les expériences, sur des téléfilms, séries, émissions télés, films de cinéma et est aujourd’hui régisseuse adjointe.
Elle a par ailleurs réalisé deux films au sein de l’association Equinok Films, devenue le collectif Faire meute aujourd’hui dont elle a intégré le Conseil d’administration.
Sophie s’est formée à l’éco-production en 2022. Elle a récemment travaillé sur la série DETER, le long-métrage L’attachement et vient de terminer le court-métrage Fait d’amour. Au détour des 3 éco-questions, elle nous livre sa vision…
Films en Bretagne : Comment es-tu arrivée à t’intéresser à l’écoproduction ? Quelles ont été tes premières priorités dans sa mise en place ?
Sophie Marc : Assez vite, au poste de régisseur on se rend compte des déchets engendrés par un tournage. Si on n’y pense pas enamont, on peut vite se retrouver avec des montagnes de déchets, à remplir au moins 400L de poubelles d’ordures ménagères. J’ai commencé la régie à un moment où on ne faisait même pas le tri sélectif. Il y a aussi beaucoup de gâchis, pendant et en fin de tournage, beaucoup de restes entamés que l’on jette, des fins de bouteilles de lait, de jus, de coca qu’on vide car ouvertes depuis quelques jours ou sans bulles…
Au bout d’un an à la régie, j’ai commencé à rechercher ce qui se faisait écologiquement sur les tournages, c’était le début de l’écoprod. Quand Films en Bretagne a mis en place des formations sur l’éco-production, je m’y suis aussi inscrite, pour me rendre compte que l’on était quand même beaucoup à se poser ces questions et à vouloir changer nos habitudes, même si cela demandait un effort supplémentaire. C’est sur le tournage de Deter que j’ai vu le plus de choses se mettre en place. Et j’ai compris que c’était en équipe que l’on pouvait changer les choses, en incluant toutes les équipes dans les démarches.
Films en Bretagne : Qu’est-ce qui te paraît (ou t’a paru) plus facile à mettre en place sur un tournage ? A contrario, qu’est-ce qui te paraît plus difficile, quels freins, quelles contraintes ?
Sophie Marc : La mise en place du tri sélectif est quand même la première chose, parfois la seule chose qu’on arrive à mettre en place, car tout le monde le fait chez lui, le plus gros du travail consistant à trouver la bonne signalétique pour que ce soit clair pour toute l’équipe et que l’on ne passe pas du temps à retrier les poubelles.
L’arrêt des petites bouteilles d’eau, incitant chacun à ramener sa gourde, fonctionne bien car aujourd’hui nous avons pratiquement tous une gourde, voire un mug. Aussi, le fait de ramener ses affaires permet de moins oublier de choses sur les décors. On gagne du temps en fin de journée, moins de gobelets et de petites bouteilles à peine entamées à jeter en fin de journée.
Nous sommes tout de même contraints par les avancées écologiques de nos prestataires : par exemple pour les véhicules de location, selon où l’on tourne, il est difficile d’arriver à du 100% électrique, et aussi d’avoir assez de bornes à proximité des décors ou des logements des équipes pour recharger les véhicules. Pour les groupes électrogènes, il est toujours plus économique, et facile de trouver des groupes alimentés à l’essence que des groupes électriques plus onéreux et à Paris. Plus facile et économique de trouver des toilettes chimiques que des toilettes sèches, etc…
Il y a des contraintes de temps énormes, penser un tournage en écoproduction demande du temps de préparation supplémentaire pour le moment car il faut trouver les bons prestataires qui ne sont pas encore dans nos annuaires, il faut imaginer des choses nouvelles. Si l’on veut aller plus loin dans le tri, il faut trouver des poubelles de tri proches des décors (composteurs, entreprises recyclant les mégots, déchetterie, etc…).
Une fois que le tournage est lancé, il est trop tard pour penser ces choses-là. Il faut qu’elles soient pensées dès la mise en production, peut-être même dès le scénario, les repérages… ce qui pour le moment est très rare.
Films en Bretagne : Qu’est-ce qui manquerait pour avancer plus rapidement dans ton métier ? Ou, dit autrement, y a-t-il des éléments que tu souhaiterais mettre en place ou voir mis en place pour aller plus loin dans ta démarche ?
Sophie Marc : Il y a une certaine frustration parfois, quand on passe d’un tournage à un autre, de voir ce qui est pensé écologiquement sur l’un et pas du tout sur l’autre.
Souvent plus un tournage a de budget plus il pollue. La production n’hésite pas à louer des véhicules pour chaque technicien, avoir plus de matériel qui ne servira peut-être pas. Sur un court-métrage, l’équipe accepte de covoiturer, d’avoir moins de confort, d’attendre, ou d’aider d’autres postes afin que chacun puisse rentrer plus tôt chez soi, une sorte d’entraide qui manque parfois aux plus gros projets et qui permettrait de faire des économies, surtout en dépenses carbones.
Ce qui manque c’est un peu de pouvoir de chacun pour dire : à un comédien que s’il attend 15 minutes, un régisseur pourra ramener deux personnes à l’hôtel en même temps plutôt que de faire deux trajets ; que s’il n’y a pas telle ou telle chose sur la table régie c’est que c’est un fruit qui vient du bout du monde et qui n’est pas de saison ; qu’un chef déco puisse dire à un réalisateur que l’accessoire qu’il veut n’est trouvable que sur Amazon ou en neuf et qu’on n’en aura plus besoin après le film ; que le comédien qu’il veut habite à 1500 km et que l’on veut éviter les aller-retour en avion tous les week-ends…
Ce qui manque, c’est aussi la mutualisation des ressources, on a souvent tendance à garder les bons plans pour soi de peur de les perdre si trop de monde en use, alors qu’en partageant on pourrait gagner un temps énorme qui pourrait nous servir à aller encore plus loin écologiquement !
Propos recueillis par Mado Le Fur, membre du Groupe de Travail Eco-production de Films en Bretagne • décembre 2023.