Lors du dernier festival international du film d’animation d’Annecy, s’est tenue une table ronde autour de la coproduction internationale du court-métrage d’animation. Sabine Zipci, déléguée générale de l’AFCA (Association Française du Cinéma d’Animation), modérait cet évènement auquel participaient Nicolas Burlet, producteur suisse de Nadasdy, Orsolya Sipos, coordinatrice hongroise des projets d’animation à Mome (Moholy-Nagy university of art and design) et productrice, Jean-François Le Corre, producteur de Vivement Lundi ! à Rennes, et Guadalupe Arensburg, responsable des acquisitions de courts-métrages chez Movistar+ (anciennement Canal+), plus gros acheteur de courts-métrages français à l’étranger.
Sabine Zipci : Depuis une dizaine d’années, nous observons un véritable développement de la coproduction internationale. Et le volume de films d’animation est significativement plus élevé parmi ces projets de collaborations. Cela s’explique en outre pour deux raisons : d’une part, les courts-métrages d’animation présentent des coûts de production plus élevés qui nécessitent de trouver des financements à l’étranger. D’autre part, l’animation offre davantage de possibilités de fragmenter et dispatcher certaines étapes de la fabrication d’un film entre plusieurs pays, ce qui favorise la mise en place de collaborations entre différentes structures de production.
Avec ses nombreuses écoles, ses soutiens publics et privés et le nombre important de professionnels dans tous les métiers de l’animation, la France apparaît dans ce contexte global comme un « Eldorado » pour la production du court-métrage d’animation, ce qui peut impliquer un véritable rapport de force avec d’autres pays.
L’enjeu de cette table est d’observer cette tendance à la coproduction en plein développement et d’en saisir les enjeux, du point de vue financier, bien évidemment, mais également culturel, dans une optique de partenariat à long terme et de réseau de collaboration.
Comment la production se passe-t-elle en collaboration avec un autre pays ? Nicolas Burlet, quelles sont par exemple les réalités de la filière animation en Suisse ?
Nicolas Burlet : La Suisse est un pays où il y a peu de soutiens pour l’audiovisuel mais où l’activité principale est le court-métrage. Nadasdy a d’abord été créée pour produire ses propres films, puis de fil en aiguille, la société s’est tournée vers la coproduction. J’envisage celle-ci comme un mariage à durée déterminée qui permet de s’apprivoiser car il s’agit tout de même d’une prise de risque. Outre des moyens supplémentaires, la coproduction offre aussi l’occasion d’échanger des idées, des visions. La confrontation des regards enrichit les projets. Les films deviennent meilleurs, ils s’exportent mieux. Ils sont aussi plus universels. Comme il y a peu d’écoles, les projets en coproduction permettent de former des gens grâce au contact de techniciens français aguerris. Les techniciens suisses n’auraient peut-être pas les compétences pour obtenir ce travail en France. Le niveau global s’améliore.
Notre collaboration avec Vivement Lundi ! a démarré avec un court-métrage pour lequel nous avions besoin de la mer : Dans la peau, de Zoltan Horvâth, produit en 2007. Depuis nous avons coproduit plus d’une dizaine de projets ensemble. Nous connaissons bien nos fonctionnements mutuels. C’est un partenariat durable et c’est devenu une vraie amitié.
Aujourd’hui Nadasdy a environ 70 films à son actif dont quarante-cinq courts-métrages. Nous développons actuellement une douzaine de projets. Nadasdy est devenue la principale société de production en Suisse.
SZ: Nadasdy et Folimage ont créée une résidence avec un focus sur la production jeune public ?
NB: Folimage a impulsé cette résidence, soutenue par Canal+Family. Suite à un appel d’offre, ce dispositif sélectionne un projet et recherche une troisième société de production dans le pays d’origine de ce projet. Cette année, la Géorgie a emporté l’appel d’offre avec Le renard minuscule des réalisatrices Aline Quertain et Sylwia Szkiladz. Chaque année, une quinzaine de projets répondent à l’appel d’offre de cette résidence jeune public.
SZ : Justement, le court-métrage jeune public connaît un véritable rayonnement mais comment envisager ses perspectives en terme de distribution ?
NB : Le retour sur investissement pour le court-métrage est faible. Mais au sein de programmes jeune public, il peut devenir rentable car il ouvre un nouveau canal de diffusion. Ces programmes font environ deux-cent-mille à deux-cent-cinquante-mille entrées en salle et touchent un public qui ne va pas en festival. Et le jeune public est un vrai bonheur pour un producteur car il est très démonstratif.
SZ : Je me tourne vers Orsolya Sipos, enseignante à Mome en Hongrie et productrice. Pouvez vous évoquer les partenariats durables, la réciprocité, la structuration de la filière animation en Hongrie ?
Orsolya Sipos : Mome fait partie du réseau « Animation sans frontières » qui a mis en place un programme international destiné aux jeunes professionnels de l’animation. Ce programme permet aux participants de comprendre le fonctionnement de l’industrie européenne du cinéma d’animation et leur offre des espaces de travail, du temps et des moyens pour développer leurs films.
Ce réseau rassemble quatre établissements : Les Gobelins (France), Filmakademie (Allemagne), The animation workshop (Danemark) et Mome (Hongrie).
Ce projet, soutenu financièrement par ces pays, est né du constat qu’il est important pour les étudiants de connaître les fonctionnements des coproductions internationales et de savoir pitcher leur projet. Les participants développent leurs films au sein de ce réseau d’écoles qui les accueillent en résidence. À l’issue de ce programme, chaque étudiant pitche son projet devant des producteurs à l’école des Gobelins. Dix films en coproduction sont nés au court des dix dernières années grâce à ce programme dont Limbo Ombo travel co-produit en 2015 par Mome, Lardux films et Pictavono, et Love de Réka Bucsi, coproduit en 2016 par Passion Paris et Boddah.
C’est un excellent appel d’air pour des projets de coproduction.
En tant que productrice je travaille actuellement sur un projet de long-métrage avec une société de production parisienne et slovaque. À propos de réciprocité, en Hongrie, il n’y a pas beaucoup d’aides mais les productions peuvent récupérer les taxes.
SZ : Les financements français favorisent-ils cette réciprocité ?
Jean-François Le Corre : Rendre la réciprocité n’est pas si simple car les aides du CNC sont très sélectives et quand le producteur français est partenaire minoritaire, nous constatons que le CNC minore le chiffrage de sa subvention quand il soutient un projet. Nous avons la chance d’avoir un diffuseur comme Arte, chaîne européenne qui a dans son ADN de s’ouvrir à la coproduction.
Les aides régionales sont un peu plus faciles à obtenir et ne sont pas fermées aux créateurs étrangers. Mais, elles demandent des dossiers de qualité élevée, notamment pour les films d’animation qui doivent présenter une création graphique parallèlement au dossier littéraire.
SZ : Il semble que pour la coproduction, l’essentiel des échanges se passent en anglais. Cela représente-t-il un frein ?
JFLC : C’est vrai que pendant longtemps les français ne recherchaient pas la coproduction internationale avec des pays non francophones car ils peinaient à parler anglais.
NB : C’est sûr que c’est plus facile pour nous d’échanger en français mais ça peut limiter la recherche de fonds. En Suisse il faut parfois traduire des dossiers en trois langues : allemand, italien et français. C’est pourquoi j’aime la proximité avec la France, c’est plus simple.
JFLC : Chez Vivement Lundi ! Nous avons commencé à coproduire en 2004. C’était avec Nadasdy Film. Au sein du collectif des producteurs français de courts métrages d’animation, nous constatons que nous sommes nombreux à coproduire. On peut citer Arnaud Demuynck qui a la particularité de travailler entre la France et la Belgique.
En France, nous avons beaucoup d’aides, certes, mais aussi beaucoup de concurrence. Il y a dix ans, les projets en stop-motion étaient difficiles à monter financièrement car il y avait une grosse compétition pour obtenir les aides au court métrage. En Bretagne, l’aide régionale ainsi que les talents locaux permettaient de contrebalancer ces difficultés. Mais l’augmentation mécanique des budgets liée notamment aux exigences plus grandes des techniciens qui aspiraient légitimement à de meilleures rémunérations, nous a contraint à trouver plus de financements et à rechercher de nouveaux partenaires.
La coproduction internationale est devenue nécessaire pour des projets ambitieux et pour lesquels une coproduction interrégionale ne suffit pas. Comme la première saison de la série Dimitri de Agnès Lecreux, qui réunit trois coproducteurs, Vivement lundi ! pour la France, Beast animation pour la Belgique, Nadasdy pour la Suisse.
À Vivement Lundi ! Nous vivons la coproduction comme une interdépendance volontaire et vitale. Le principe de réciprocité s’est imposé dès le début de notre relation avec Nicolas de Nadasdy. Au début on partageait la musique, le son, puis les compétences se sont affirmées. En 2015, pour le court-métrage d’Ombre et d’ailes de Elice Meng et de Éléonora Marinoni, Vivement Lundi ! ne serait pas parvenue à rassembler le budget sans Nadasdy. Nous avons partagé la coproduction à 50/50 ce qui a conféré au film la double nationalité française et suisse et nous a permis d’optimiser le financement.
Nous devons savoir travailler malgré les différences culturelles. Je suis admiratif quand je vois d’autres pays comme le Danemark ou la Slovaquie qui par la coproduction ont développé une agilité qu’en France nous n’avons pas encore acquise.
SZ : Et en Espagne, comment observe t-on les conditions de co-production ?
Guadalupe Arensburg : Movistar est une référence importante en Espagne pour la programmation de courts-métrages. Elle était la seule chaîne qui en achetait et en diffusait. Depuis, sept chaînes de télévision ont suivi. Malheureusement la crise est passée par là.
Le développement de l’animation est récent chez nous, ce n’est que depuis 1990 que des courts-métrages sont entrés dans la grille des programmes. En Espagne, nous n’avons pas la tradition de regarder des films courts. En diffusant des court-métrages de tous pays, Movistar participe à un travail d’éducation à l’image.
En 1997, le premier court-métrage espagnol est nominé aux oscars. Cette même année Movistar a commencé à coproduire des talents espagnols. Chaque année, six projets en coproductions, de fiction ou d’animation, sont ainsi dotés de neuf-mille euros chacun. Depuis trente ans, la chaîne à coproduit cent-cinquante-trois courts-métrages. Et depuis 2014, sur ces six aides, trois sont pour l’animation et trois pour la prise de vue réelle.
Nous avons pour la première fois fait une coproduction internationale en 2014 avec Nicolas Shmerkin producteur à Autour de minuit puis une seconde en 2015, à nouveau avec Autour de Minuit. En 2016, trois courts-métrages ont été coproduits avec l’étranger dont deux avec la France. L’Espagne a besoin de coproduire avec d’autres pays pour leurs projets car ses aides à la création audiovisuelle sont faibles. Nous avons trois guichets qui, cumulés, ne représentent que trente-cinq-mille euros. Faire des courts-métrages dans ces conditions signifie donc beaucoup de bénévolat et d’efforts. Depuis dix ans, on voit davantage de court-métrages espagnols mais si on a besoin des autres pays, ces pays comme la France n’ont pas besoin de l’Espagne.
JFLC : Aller vers un autre pays reste un effort, notamment à cause de la langue. À Vivement Lundi ! nous réfléchissons au long-métrage qui ne peut pas exister sans coproduction internationale. Arte aide un long métrage par an quand FranceTV aide trois longs-métrages jeune public. Donc pour produire un long-métrage qui ne soit pas jeune public il faut l’envisager d’emblée pour le cinéma et imaginer une économie européenne. Mais il faut bâtir cette relation en l’éprouvant d’abord sur du court-métrage.
SZ : Justement, quelles sont les possibilités d’aides européennes pour le court-métrage ?
JFLC : Sur le papier, je n’en vois pas. Il est très difficile d’obtenir une aide de Creative Europe MEDIA car le film doit durer au moins vingt-quatre minutes et associer trois diffuseurs de trois pays en trois langues différentes, et cumuler environ six ou sept pré-achats. Le montage d’un tel dossier est du sport de très haut niveau. Mais il y a des fonds liés à des accords bilatéraux, par exemple entre la France et le Portugal. Il est parfois possible d’obtenir un soutien pour un court métrage dans un tel cadre. Quelque chose de similaire serait à mettre en place entre régions européennes pour stimuler la coproduction.
Propos recueillis par Anna Deschamps et Emmanuelle Gorgiard