Lors du dernier festival de Douarnenez, l’Arbre (Association des Auteurs Réalisateurs de Bretagne) a invité deux juristes pour explorer la question complexe, délicate, des relations entre auteurs et producteurs. En effet, il n’existe guère d’école qui prépare les auteurs à bien négocier leurs contrats, que ce soit en fiction ou en documentaire. En résumé, voici quelques conseils simples pour de jeunes… ou moins jeunes auteurs. Mais aussi de nouvelles perspectives juridiques qui ne manqueront pas d’intéresser les producteurs eux-mêmes !
« Entre un auteur et un producteur ? Cela doit être avant tout une relation de confiance », démarrent unanimement nos deux juristes, représentant des sociétés d’auteurs. Mais la confiance n’étant pas juridiquement mesurable, quels conseils pour ne pas se tromper ? « Aller voir plusieurs producteurs, se renseigner sur leurs capacités financières, leurs accès au compte automatique… ». Salarié de la Scam (société des auteurs de documentaires), Nicolas Mazars n’est pas un inconnu pour les auteurs bretons, puisqu’il intervenait pour la troisième fois dans notre région. C’était la première fois pour Marie-Armelle Imbault, son homologue de la Scad (fiction). Tous les deux tombent d’accord sur un point important : « Au stade de l’écriture ou du développement d’un projet, tant que les diffuseurs et le budget global ne sont pas connus, il vaut bien mieux signer un contrat d’option rémunéré, limité dans le temps, plutôt qu’une cession de droits. » Le contrat d’option pouvant tout à fait suffire pour accompagner les dossiers d’aide.
« Un contrat ne doit jamais être signé les yeux fermés. Il faut le faire relire par d’autres ! Nous, un collègue, un agent… Et se poser les bonne questions. Par exemple : est-ce que le producteur peut vous adjoindre un autre auteur ? » Marie-Armelle Imbault rappelle que le service des contrats de la Sacd peut être co-signataire d’un contrat, et ainsi aider les auteurs très concrètement dans cette négociation. Son homologue de la Scam précise, quant à lui, que s’il n’offre pas cette possibilité, c’est qu’en documentaire, les règles fluctuent beaucoup plus d’un film à l’autre. « La règle générale, c’est qu’il vaut mieux discuter du rôle de chacun à l’avance, pour éviter ensuite les problèmes. Comme notamment les disputes autour de la répartition des droits d’auteurs. » Certains intervenants, comme les conseillers historiques ou scientifiques, pouvant mal comprendre leur place, ou entretenir des fantasmes sur les moyens financiers alloués à l’audiovisuel. Tous deux sont d’accord pour dire que la durée légale réclamée par les producteurs est en général trop longue, et que 30 ans serait plus raisonnable.
L’épineuse question de l’argent…
Le film une fois écrit et signé par un diffuseur, arrive alors l’épineuse question de la rémunération… et les conseils divergent entre fiction et documentaire. « La Sacd met en ligne des moyennes types de rémunération. Chacun peut alors comparer selon son rôle, les différentes étapes d’écriture auxquelles il a participé, si c’est de la TV ou du cinéma. » Côté documentaire, les choses sont beaucoup plus à la carte : « Tout dépend du diffuseur, de la renommée du réalisateur qui doit établir sa cote comme un peintre. » Quid de la répartition entre salaires et droits d’auteurs ? Si la question semble bien balisée côté fiction, avec du 60-40, Nicolas Mazars défend en documentaire le tout-salaire. « En fait, cette répartition 70-30, ou 60-40 ne correspond à rien de juridique. Je trouverais cela normal qu’un auteur-réalisateur soit entièrement payé en salaire, c’est beaucoup plus protecteur pour lui. Et depuis la nouvelle convention d’assurance chômage mise en place cet été, un réalisateur est un artiste, présumé salarié, cela change tout à terme ! Il n’a plus à prouver son salariat devant les prud’hommes par exemple. Contrairement à ce que l’on pense, les droits d’auteurs ne sont pas nécessaires à la qualité d’auteur, puisque tout créateur de forme originale est présumé auteur, quoi qu’il arrive. Le réalisateur touchera de toute façon des droits à la diffusion. » Dans les deux genres, nos intervenants conseillent de mettre noir sur blanc toutes les échéances de paiement, « avec un premier paiement à la signature, c’est une règle d’or ». Quitte à doubler ces échéances par étapes de travail avec des dates précises.
Lors de la fabrication du film, peuvent surgir des conflits : en fiction ils sont plus fréquents lors de l’écriture ou du tournage (entre scénariste et réalisateur, ou scénariste et diffuseur). En documentaire, ils surgissent plutôt lors de la post-production, avec le diffuseur. Paradoxe : ces divergences sont difficiles à considérer d’un point de vue juridique, puisqu’il n’y pas de lien contractuel direct entre l’auteur et le diffuseur ! Et que la loi parle seulement du commun accord entre producteur et auteur. « De l’avis même des documentaristes, ces tensions augmentent depuis quelques temps. A la Scam, nous travaillons actuellement sur une charte tripartite, pour faire en sorte que ce fameux premier visionnage avec la chaîne soit moins éprouvant. » La Sacd planche elle sur un accord de bonne conduite entre scénaristes et réalisateurs, qui donnerait priorité au scénariste pour valider la version de tournage de son scénario. En cas de non-résolution du conflit, il reste toujours à l’auteur l’arme nucléaire : il peut bloquer la diffusion d’une œuvre qu’il n’assume pas. « Mais les conséquences économiques sont graves et immédiates car le film n’obtient pas le dernier versement de la chaîne. Une alternative peut consister à ne pas signer le film ou le signer sous pseudonyme. »
Les bons comptes font les bons amis…
Arrive ensuite l’exploitation de l’œuvre : « Beaucoup reste à faire en matière de reddition des comptes, c’est le moins que l’on puisse dire », selon nos deux juristes qui conseillent de demander ce bilan un an après l’achèvement du film. En ce qui concerne la vie des films, le numérique risque de grandement changer l’exploitation des œuvres, ainsi que la durée de leur exposition. Avec notamment la possibilité de mettre en consultation les films sur internet, sur des plates-formes de vidéo à la demande voire sur Youtube ou Dailymotion, qui ont signé des accords généraux avec la Scam et la Sacd notamment. « D’autant que l’obstacle récurrent des archives, en documentaire, vient d’être levé par un nouvel accord signé en juin dernier au Sunny Side », précise Nicolas Mazars. Les grands fournisseurs comme l’INA ou Pathé acceptent désormais d’être rémunérés en pourcentage des nouvelles exploitations.
Pour clore ce vaste sujet, un dernier conseil pratique : « faire des copies de vos œuvres et de vos rushes en bonne qualité, c’est votre droit, tant que vous en faites un usage privé ! » Nicolas Mazars évoque les douloureux cas de liquidation d’entreprise, où les rushes et les films ont été perdus, faute de sauvegarde. Les deux sociétés d’auteurs travaillent à une meilleure procédure judiciaire en cas de disparition des sociétés de production, pour que les auteurs puissent plus facilement récupérer leurs films. Et pourquoi pas pouvoir les exploiter eux-mêmes ? : c’est un cas plus fréquent qu’on ne le croit, et qui peut donner des résultats satisfaisants.
Pour finir cette rencontre très dense, nos deux interlocuteurs rappellent que leurs services sont à disposition des auteurs pour des conseils, « même s’ils ne sont pas encore membres, même s’ils n’ont pas encore fait de film ». Sur leurs sites internet respectifs, vous trouverez des contrats type, généralement acceptés par les producteurs.
Brigitte Chevet
Pour ceux qui voudront aller plus loin, la retranscription complète de cet échange avec les auteurs bretons est également à consulter ici : la-relation-auteur-producteur.