Le Pays de Lorient accueillera bientôt le tournage du prochain film de Laurent Tuel, Le Combat ordinaire, adapté de la BD éponyme en 4 volumes de Manu Larcenet. Du dessin aux décors naturels, ce cas particulier nous donne l’occasion d’interroger Franck Jolivel sur un métier méconnu, celui de repéreur.
Comment adapter un univers graphique et l’inscrire dans un décor en 3D ? Franck Jolivel est repéreur en Bretagne, un métier de l’ombre qui s’apparente pourtant à celui d’éclaireur : éclaireur à la manière d’un pointer en chasse, mais aussi éclaireur d’une pensée qu’il est chargé de rendre concrète et même parfois simplement intelligible, pour commencer. Franck Jolivel nous parle du combat ordinaire : un film et un quotidien, le sien.
Commençons par circonscrire le terrain de notre chasse en tentant de définir ce que c’est que ce métier, repéreur, et comment on le devient. Franck Jolivel a commencé par la régie à sa sortie de l’ESRA, et contrairement à la plupart de ses compagnons de route, il s’y est senti à sa place, a fait un stage AFDAS et y est resté : « On a toujours besoin de monde en régie, c’est donc la porte d’entrée la plus facile à passer pour faire du cinéma. Mais c’est ce que tout le monde fait ‘’en attendant de… ‘’. Après 15 ans de métier, on me demande encore ce que je veux faire après ! J’aime tout dans la régie et c’est vraiment ce que je voulais faire. »
Voilà donc quelques années qu’il multiplie les emplois d’auxiliaire régie, régisseur adjoint et régisseur général. Ce à quoi on peut ajouter la casquette de repéreur depuis son retour en Bretagne, il y a quelques années. « La Région Bretagne a mis plein de choses en place pour accueillir des films et j’ai tout de suite eu de très belles opportunités. Je suis revenu peu de temps après la création du Bureau d’Accueil des Tournages en Bretagne : une véritable aubaine car on avait besoin de beaucoup de monde. Grâce à ce dispositif, les professionnels de la régie se connaissent tous très vite, on travaille en réseau. Quant à la fonction de repéreur, elle va souvent de pair avec celle de régisseur quand tu travailles en région. Les productions disposent d’une banque de fiches et d’images qu’on alimente régulièrement. L’information circule vite et bien à tous les niveaux. »
Deux semaines pour trouver…
Dans le cas du film Le Combat ordinaire, Franck Jolivel a deux casquettes, celle de repéreur et de régisseur adjoint. Pour ce qui est des repérages, il disposait au départ de la BD, du scénario du film, d’une liste de décors pour deux sessions de tournage en Bretagne (en août et en novembre), de quelques pistes assez floues lancées par la production et la mise en scène… et de deux semaines pour trouver ! En matière cynégétique, on marque les arrêts ; le premier rapport a, en l’occurrence, été difficile à effectuer : « Je devais avant tout trouver la maison des parents du personnage principal, Marco, dont la situation déciderait de la localisation des autres décors : une maison simple, ouvrière, avec un potager et proche de la mer. C’est très ouvert et c’est une vraie difficulté ! Le trait de Manu Larcenet est assez sommaire, le scénario n’est pas très descriptif et je n’avais pas encore eu d’échange direct avec Laurent Tuel. D’habitude, j’aime bien que le réalisateur m’envoie des références de films, de livres, des photos ou quelques dessins succincts, mais là, seule la BD faisait foi pour moi. J’ai donc envoyé une série de photos de maisons en pierre en m’en inspirant, et qui n’ont pas convaincu. Il y a toujours beaucoup de déchets au début, c’est ce qui permet d’affiner les recherches. Ce n’est pas facile d’entrer dans la tête d’un auteur, ça l’est encore moins quand l’information passe par des intermédiaires. Ce n’est que quand Laurent s’est déplacé, que nous avons traîné dans Lorient et ses alentours, que les choses se sont précisées et que j’ai pu mieux comprendre ce qu’il cherchait. »
Il s’est donc agi pour Franck Jolivel de réviser ses positions en fonction d’une idée et d’un imaginaire, celle d’un réalisateur qui a souhaité en l’adaptant se démarquer d’un univers graphique aux contours plus ou moins précis – mais qui n’en dessinent pas moins une réalité – pour recréer un monde en soi qui lui appartienne en propre. La tâche du repéreur n’est pas aisée puisqu’il doit aussi bien traduire cet imaginaire fragmentaire en images qui lui préexistent que forcer l’auteur au compromis, à l’aune d’une réalité prosaïque et selon un certain nombre de contraintes : « Quand j’ai compris ce que voulait le réalisateur, que je pense avoir trouvé le décor idéal, encore faut-il qu’il soit accessible et qu’il s’inscrive dans un environnement qui réponde aux exigences d’un tournage. Il faut obtenir l’accord des propriétaires avant d’envoyer les photos. Tout le monde ne souhaite pas accueillir un tournage, c’est assez lourd ! Je dois aussi me référer au plan de tournage si j’en dispose et m’assurer que les décors inscrits dans une même période de tournage se situent dans un même périmètre. Il faut enfin assez d’espace pour loger une équipe de film. Le fait que je sois régisseur et que je connaisse bien toutes ces données pratiques m’aide évidemment dans les repérages. »
Nous avons rencontré Franck Jolivel à Locmiquélic, un peu avant l’arrivée de Laurent Tuel et de son équipe venus faire un second repérage technique. C’est là que se situent les deux maisons photographiées et qui, a priori, conviendraient. La chasse aux décors n’est toutefois pas terminée. Pour Franck, il reste à trouver, dans un désordre non exhaustif : une maison cachée dans un bois, deux cabinets de psy, un cimetière, une promenade, des galeries d’exposition, une cité résidentielle, un restaurant marocain, un couloir d’hôpital, etc. De la BD au cinéma, il n’y a pas qu’un pas !
Gaell. B. Lerays
Photo de Une : Franck Jolivel