Temps fort pour les professionnels de l’audiovisuel des pays celtiques, le Celtic Media Festival est organisé cette année à Dungarvan en Irlande, du 20 au 22 avril. Une délégation d’une quinzaine de professionnels bretons se prépare pour l’évènement. Dans leur valise, huit films et émissions en langue bretonne sélectionnés en compétition officielle. Doit-on y voir le signe d’un renouveau de la production en langue bretonne ? Le résultat de la nouvelle politique de coproduction des chaînes de la région ? En attendant le palmarès, voici quelques éléments de réponse…
Depuis bientôt 40 ans, le Celtic Media Festival réunit tous les ans la crème de la production pour la télévision et la radio des pays celtiques. Trois jours ponctués de conférences, tables-rondes, rencontres, et une compétition internationale. Les films sont présentés en anglais, en français ou en langues celtiques (gaélique irlandais et écossais, gallois, cornique et breton). Un festival nomade qui s’est déjà tenu en Bretagne, à Quimper pour l’édition la plus récente (2002).
Les nominés sont…
Cette année est une année faste pour la production en langue bretonne avec huit projets en compétition :
- Catégorie animation Dimitri à Ubuyu d’Agnès Lecreux et Fabien Drouet (Vivement Lundi ! / Beast Animation / Nadasdy Film / France 5 / RTS / VRT)
- Catégorie émission jeune public Mouchig Dall (JPL Films / France 3 Bretagne)
- Catégorie Divertissement Bali Breizh (France 3 Bretagne)
- Catégorie Série documentaire A-Viskoazh (France 3 Bretagne) /phot
- Catégorie documentaire unitaire Ar gwim, un istor bugale de Soazig Daniellou (Kalanna / France 3 Bretagne / TVR / Tébéo / TébéSud)
- Catégorie documentaire unitaire Paotred Al Loc’h de Ronan Hirrien (France 3 Bretagne)
- Catégorie court-métrage An dianav a rog ac’hanon d’Avel Corre (Tita Productions / TVR / Tébéo / TébéSud / Brezhoweb)
- Catégorie public jeune Foeterien (Gwengolo Filmou / TVR / Tébéo / TébéSud / Brezhoweb)
Retour d’expérience avec Soazig Daniellou
Chaque année, la société de production d’œuvres audiovisuelles en langue bretonne Kalanna propose des films au Celtic Media Festival. Soazig Daniellou, réalisatrice et membre fondatrice de la société brestoise, y présente régulièrement ses créations et apprécie cette confrontation avec ses confrères européens. « C’est intéressant de voir comment les autres pays celtiques travaillent car les Gallois, Irlandais et Écossais ont des chaînes dans leur langue. Nous sommes un peu comme leurs « petits frères ». Le breton est très proche du gallois et nous avons beaucoup à apprendre de leur fonctionnement. Les Gallois produisent, par exemple, des séries policières de qualité comme le font les pays nordiques. J’ai aussi le sentiment que notre culture documentaire est différente de la culture anglo-saxonne qui influence les pays celtiques outre-Manche. Elle est moins journalistique et plus fictionnalisée. C’est une particularité française, dans laquelle Kalanna s’inscrit. »
Son film Ar Gwim, une histoire de famille est en compétition cette année. Il dresse un tableau de la Bretagne des années 50 à hauteur d’enfants. « C’est à cette époque que s’est produite une véritable rupture dans la transmission de la langue bretonne. » Un sujet sensible, rarement évoqué, que la réalisatrice traite à travers le regard des enfants de familles de locuteurs militants qui eux ont transmis la langue.
Cette année Soazig cède sa place à la productrice Anna Lincoln pour représenter les couleurs de Kalanna au festival. « Au Celtic Media Festival, on se rend bien compte que la production bretonne est marginalisée par rapport au reste des productions celtiques, – en tête de proue desquelles on trouve les productions issues des chaînes de la BBC -, mais cela tend à changer avec l’arrivée d’une nouvelle génération de réalisateurs et producteurs en langue bretonne. Et ils sont très intéressés et curieux de ce qui ce fait outre-Manche. Il y a une véritable volonté de créativité, des envies de collaborations tant au niveau de l’écriture que de la production. C’est une très bonne chose, place aux jeunes ! »
De nouveaux professionnels
Quand Fred Prémel produit An dianav a rog ac’hanon avec sa société Tita B, c’est une première expérience de production e brezhoneg : « Pour Avel Corre, réaliser ce film en breton était une évidence et c’est ce qui m’a plu. Je ne suis pas bretonnant mais Tita B est ancré dans un territoire où la langue bretonne fait partie de la culture. À Douarnenez, on voit émerger des réalisateurs qui ont le désir de s’exprimer dans cette langue, des professionnels qui ont besoin de raconter le monde différemment. Cet élan a été accompagné par Daoulagad Breizh avec la mise en place du « pitch brezhoneg » pendant le festival. Ces sessions de pitch ont favorisé la rencontre entre des réalisateurs et des producteurs qui, comme nous, ne sont pas habitués à produire en langue bretonne. »
L’arrivée de Mael Le Guennec à l’antenne régionale de France 3 a participé à ce dynamisme de la production en breton. Journaliste de formation, il a commencé sa carrière à la rédaction de France Bleu Breizh Izel à Quimper. En 2014, il succède à Bernard Le Roux en tant que responsable des émissions en langue bretonne à France 3 Bretagne. Aujourd’hui, le trentenaire pilote Bali Breizh (magazine de société hebdomadaire diffusé le dimanche à 10h55), Mouchig Dall (émission hebdomadaire pour enfants diffusée le samedi à 10h20) ainsi qu’une vingtaine de documentaires produits en interne ou en coproduction. « Nous nous intéressons également à la fiction et à l’animation. Nous avons notamment coproduit le long-métrage Lann vraz avec Kalanna et préparons une série d’animation avec Vivement Lundi “Le quatuor à cornes“. Même si nos budgets ne nous permettent pas de produire autant que la chaîne publique irlandaise TG4, France 3 Bretagne a des moyens non négligeables. 17% du budget de la chaîne est consacré aux programmes en langue bretonne. Et le COM 2 nous permet aujourd’hui de travailler en complémentarité avec les autres diffuseurs de la région. »
Des Prizioù et une délégation de professionnels
Organisés par France 3 Bretagne et l’Office public de la langue bretonne, les Prizioù récompensent chaque année les meilleures initiatives en langue bretonne. En janvier 2015, le prix de l’avenir en langue bretonne est décerné au film d’Avel Corre. Fred Prémel se rappelle que « c’est à cette occasion que Mael Le Guennec nous a suggéré de le proposer au Celtic Media Festival. Et il se retrouve aux côtés de sept autres films et programmes retenus en compétition officielle cette année ! Avec autant d’œuvres en lice, la représentation de la Bretagne et la constitution d’une délégation se sont avérées évidentes. »
En écho au producteur de Douarnenez, Mael Le Guennec précise : « Ce sera une première ! J’ai eu envie de rassembler les troupes et de marquer officiellement notre présence au festival. Un temps-fort à l’initiative des diffuseurs est organisé : l’occasion de présenter nos chaînes et les producteurs avec qui nous travaillons, d’initier des coproductions et a minima de nouer des contacts. Nous rêvons aussi de prix qui permettraient de gagner en visibilité auprès des confrères des pays celtiques… »
France 3 Bretagne sera largement représentée puisque quatre de ses collaborateurs réguliers accompagnent Mael Le Guennec : Ronan Hirrien, réalisateur de Paotred Al Loc’h, Thelo Mell et Yann-Herle Gourves, chroniqueurs de Bali Breizh (Yann Herle est également réalisateur de la série documentaire A-Viskoazh), Yowan Denis (éditeur web et assistant de production). Mai Lincoln et Tangi Merien, les deux comédiens-animateurs de la série Jeunesse Mouchig Dall, seront aussi du voyage. Les producteurs viennent en nombre : chacune des sociétés nominées sera représentée.
Un avenir à trouver à l’extérieur de la région
Selon Mael Le Guennec et Soazig Daniellou, les oeuvres d’animation et les programmes jeunesses peuvent d’ores et déjà s’appuyer sur un savoir-faire reconnu au-delà de nos frontières et ainsi susciter l’intérêt plus facilement à l’étranger et en particulier en Grande-Bretagne. Fred Prémel estime que « le projet audiovisuel breton arrive à maturité. La plupart des sociétés bretonnes se sont ouvertes à la coproduction internationale. La proximité culturelle avec nos voisins d’Outre-Manche est évidente. Mais nous avons toujours un problème à résoudre. Comment faire exister les oeuvres en breton à l’extérieur de la Bretagne ? »
Si ces œuvres cherchent toujours leur place dans les réseaux européens, cette forte présence de professionnels du territoire à Dungarvan est une étape importante pour manifester ce désir d’ouverture et de créativité de la production bretonnante. Cette envie n’occulte pas les problématiques bien françaises de l’audiovisuel. Les moyens des chaînes publiques anglo-saxonnes restent largement supérieurs à leurs homologues françaises et le rapport aux langues régionales est aussi plus décomplexé…
Pauline Burguin