CAROLE HEDOUIN : rencontre avec une directrice de collection fiction


Carole Hédouin

Valence scénario se définit comme « le Festival des raconteurs et raconteuses  d’histoires visuelles, sonores et musicales » et c’est une aventure qui existe depuis 1998…

L’édition 2023 se déroulait du 5 au 10 juin : Guillaume Kozakiewiez, administrateur du collège des Auteur·es / Réalisateur·trices / Compositeur·trices y était pour suivre présentations, débats, échanges, rencontres…

Il partage avec nous un billet d’humeur, et une rencontre avec Carole Hédouin, directrice de collection.

Bel endroit pour une rencontre…


Films en Bretagne : Carole Hédouin, pouvez-nous dire comment on devient directrice de collection ? Ou comment VOUS, vous êtes arrivée à cet endroit là ? Quel a été votre parcours, votre cheminement ? Vos rencontres ? Les projets ou pistes qui vous ont mené à ce métier ou à ce poste ?

Carole Hédouin : J’ai commencé ma carrière comme conceptrice-rédactrice de bandes-annonces pour des films ou des chaînes de télévision. Une bonne bande-annonce ne résume pas le film, mais raconte une petite histoire qui va donner envie au spectateur de découvrir une plus grande histoire. Tout part de là. Après avoir participé à l’écriture de plusieurs programmes courts à la télévision, j’ai souhaité en apprendre plus sur l’écriture et la narration. En 2012, j’ai fait une formation, puis tout de suite, j’ai commencé à travailler sur des séries non-feuilletonnantes pour TF1 et France Télévision grâce à une amie, Gil Vincelot, elle-même chef d’édition sur les montages de ces séries. Puis, j’ai rencontré des scénaristes, puis d’autres scénaristes, comme Pauline Devi, Anne Buffet et Alexandre Lenot, avec lesquels je collabore depuis sur des projets personnels. Mais aussi des producteurs artistiques rigoureux et bienveillants, comme Stéphanie Girerd et Laura Fontaine. En 2019, j’ai entamé une formation du Groupe Ouest, à Plounéour-Trez, et j’y ai appris énormément sur l’art d’écrire, avec Nicolàs Buenaventura et Nolwenn Lemesle. J’ai pris confiance en mes talents d’artistes et de raconteuse d’histoire. Dernièrement, j’ai suivi les cycles de formation au CEEA de Marc Herpoux, sur l’écriture des genres et la narration complexe, ainsi que la formation de Muriel Teodori sur les grandes figures psychologiques.

J’imagine que c’est mon expérience et mon sens du récit, qui ont donné envie à l’équipe de la série sur laquelle je travaille de me proposer le poste de directrice de collection. Je l’occupe depuis trois ans, en plus de mes activités de scénaristes. J’ai plusieurs projets de séries et d’unitaires en écriture, dont l’un a obtenu l’aide à l’écriture du FAIA du CNC, et une autre est actuellement optionné par UGC Fiction.

Films en Bretagne : En quoi consiste finalement ce métier ? Peut-on en donner une définition ? Est-ce un métier très bien défini avec des règles précises ? Ou un rôle qu’il s’agit de re-questionner et adapter en fonction de la collection, des partenaires, des conditions d’écriture et de fabrication ? Pouvez-vous en profiter pour nous conter vos expériences, et souvenirs (bons, moins bons, farfelus, riche en enseignements ?

Carole HédouinLa directrice de collection est celle grâce à laquelle, quand vous regardez une série ou une collection de films sur laquelle pléthores de scénaristes riches de leurs différences et de leur originalité ont écrit, vous avez malgré tout la même couleur de tons, les mêmes nuances qui font un univers de série. Si le coordinateur d’écriture met en place l’agenda et accompagne les scénaristes au fil des étapes de travail, le directeur de collection, lui, accompagne les auteurs dans leur imaginaire et leur créativité. Son rôle est de trouver des solutions narratives quand l’auteur est dans une ornière, mais aussi d’inscrire le scénario dans le cadre de la production (nombre de séquences par décor, nombre de personnages par scène, possibilités d’actions en fonction des ressources techniques…) Mais surtout, le directeur de collection passera derrière chaque scénario pour en livrer une version correspondant à la charte d’écriture de la série : lisser les dialogues de chaque personnage pour qu’il corresponde à la tonalité, resituer les scènes et les décors en fonction de la charte de réalisation, recalibrer les textes pour respecter le rythme des épisodes. En quelque sorte, le directeur de collection est le garant de la bible, la béquille sur laquelle s’appuiera la créativité des auteurs.

La directrice de collection s’adapte à l’univers de la série, s’en imprègne pour pouvoir accompagner les auteurs et faire en sorte qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes dans un cadre précis. Le bâtit doit rester léger et imperceptible, pour ne pas brimer les scénaristes, tout en délimitant leur espace.
Par exemple, l’an passé, sur la série sur laquelle je travaille, nous avions accueilli plusieurs scénaristes d’animation. Leurs idées étaient excellentes, originales, le rythme promettait d’être trépidant mais… comment leur expliquer qu’un acteur filmé par deux caméras ne peut pas sortir d’une maison en courant, être poursuivi en travelling, puis aller se battre dans la rue avec un autre protagoniste ? Alors oui, tout est possible, mais pas partout ni tout le temps ! Nous avons passé deux mois à trouver des solutions, des idées, des astuces pour ne pas avoir à filmer un comédien sautant d’une gouttière ou plongeant tout habillé dans une rivière… Pour au final de supers épisodes.

Films en Bretagne : Nous avons eu l’occasion d’évoquer ensemble l’appel à projets FAR OUEST, une collection de 4 x 52 minutes, fiction télé… De part votre expérience, pensez-vous qu’un ou une directrice de collection puisse avoir un rôle constructif dans ce cadre précis ? Si vous deviez vous projeter dans des pistes de travail, thématiques, genre… Vu notre époque, le paysage audiovisuel, les attentes éventuelles, que verriez-vous, ou auriez-vous envie de tester ? 

Carole HédouinUne directrice de collection, dans le cadre d’une collection… c’est indispensable. Pour garantir la cohérence du projet. Mais aussi pour créer le projet, son calibrage et sa tonalité dès l’écriture.

Le titre Far Ouest m’inspirant le western, j’aurais envie de partir sur ce genre : un étranger arrive dans une petite ville ou une communauté en butte à une problématique (écologique, politique, humaine…) et change la donne en poursuivant le but pour lequel il est venu, et que l’on ne découvre qu’à la fin. Je partirai sur des thématiques actuelles et propres à la région, avec une résonnance universelle, sans hésiter à verser dans un humour noir rafraichissant. La révélation finale vient surprendre, créant ainsi la chute » que tout le monde attend. Au début de chaque épisode, un pompiste fait le plein de la voiture de l’étranger, en route vers son destin et introduit l’épisode.
Far Ouest inspire aussi la dystopie écologique. Dans une Bretagne située dans un futur proche, mais indéterminé, des catastrophes écologiques et climatiques ont changé la donne. Nous retrouvons quatre histoires mettant en scène une poignée d’être humains dans ce monde bouleversé. Ainsi, par exemple, une fillette vivant dans une ferme bretonne avec ses parents après qu’un virus porcin ait ravagé l’humanité découvre que ce sont ses parents qui ont crée et propagé ce virus, pour sauver le vivant de son pire virus, l’être humain. Ou dans une petite communauté, une mystérieuse algue verte apparue dans la rivière transforme la nature des êtres humains. Ou encore, dans une forêt, les animaux se liguent pour protéger leur habitat des chasseurs et des bucherons… etc…

Ce genre d’épisode « bouclé », basé sur une thématique, se prête tout particulièrement à ce format. Ainsi, la dystopie à succès Black Mirror ou l’anthologie horrifique de Guillermo Del Toro Le Cabinet de Curiosités ont rencontré leur public. La Bretagne, au carrefour des changements climatiques et environnementaux, terre sauvage et belle malmenée par les interêts des uns et des autres, est un territoire qui se prête à ce type de questionnements écologiques. 

Films en Bretagne : A l’époque des séries, proposer une collection peut paraître presque anachronique, mais si on prend un autre point de vue, n’est-ce pas finalement plus originale aujourd’hui de proposer une collection de 4 fois une heure, plutôt qu’une mini-série ? Comment faire pour qu’avec cette proposition, auteur.rices, producteur.rices, comédien.nes, diffuseurs et spectateurs en sortent finalement grandis et gagnants ? De quoi pourrions-nous rêver aujourd’hui ?

Carole Hédouin : Une collection n’est pas du tout anachronique, la preuve, il s’en produit à l’heure actuelle un grand nombre, en France et à l’International. Capitaine Marleau, puisque le personnage n’évolue pas, est une collection, qui attire les plus grands acteurs français. Meurtre à… est une collection, au casting prestigieux et grand public. Black Mirror, Le Cabinet de Curiosité, Les Chroniques de la Peur sont des productions récentes. Le mode de diffusion en streaming se prête à la collection, qui peut être regardée dans n’importe quel ordre, sans obligation de « suivre ». C’est donc un choix original de proposer une collection, mais c’est surtout une idée qui s’inscrit dans l’air du temps. Il existe aujourd’hui des collections qui s’adressent aux publics de tous âges, même si elles sont toutes inscrite dans le « genre » : horreur, dystopie, polar.

Nous pourrions rêver de relancer chaque année cette collection, avec ses quatre épisodes bouclés, en attirant des comédiens prestigieux par la qualité des scénarii et le choix du réalisateur. En France, le réalisateur-auteur a une place prépondérante. A l’époque, Claude Chabrol avait créé sa série d’anthologie, Sueurs Froides. Peut-être pourrions-nous imaginer de collaborer avec un réalisateur à succès Français, ayant ses racines en Bretagne ? Ce choix de réalisateur pourra être décisif pour inspirer confiance à un casting de qualité.

propos recueillis par Guillaume Kozakiewiez, auteur/réalisateur et administrateur de Films en Bretagne – juin 2023


Billet d'humeur, retour de festival…

« À Valence, pendant 4 jours, une famille se compose, se retrouve, s’invente…
Cette famille ce sont des auteurs.rices, réalisateur.rices, compositeur.rices, des producteur.rices.

Dans des salles dédiées, sur des chaises à l’ombre des feuillages, à des terrasses, parfois sur un toit, les discussions et palabres semblent toujours passionnés et sereins. Une sensation de bonne humeur, un parfum de délicatesse, une sonorité douce, des visages attentifs et toujours ouverts, jamais tendus, voilà l’image que l’on emporte avec soi à la fin du voyage.

C’est studieux, très très bien tenu par l’équipe qui gère les rendez-vous pros, des échanges de 20 minutes qui s’enchaînent, certains qui s’étendent une heure, deux heures mais jamais quelqu’un pour se plaindre, pas de panique à bord chez les auteurs par peur de louper le bon rendez-vous… Non… C’est l’inverse et on se prend à se sentir très bien dans cette famille improvisée et éphémère.

Les compétitions de pitchs sont haletantes et passionnées, les projections et discussions thématiques décortiquent des scénarios et des musiques, des intentions et des peut-être, des scrupules et des fiertés.

On se demande juste pourquoi on était pas venu avant à Valence pour parler des récits en construction et de ce désir vital d’imaginer les histoires de demain ».

Guillaume Kozakiewiez, auteur/réalisateur – juin 2023


Pour en savoir plus sur le festival, c’est par ICI