Caméra au poing !


Dimanche 4 janvier, René Vautier est mort. Depuis, la presse multiplie les hommages au cinéaste, rappelant la singularité de son œuvre, la force de son engagement, les années de censure, les honneurs sur le tard… Elle relate sa vie pleine et hachée, faite de combats, de prison et d’images coûte que coûte. Les messages fleurissent sur les réseaux sociaux : on y lit beaucoup d’émotions et de nombreuses invitations à se replonger dans sa filmographie.

Une trentaine de cinéastes ont réalisé des documentaires sur son parcours. En Bretagne, plusieurs réalisateurs ont partagé des moments forts avec lui et ont fait, à partir de son visage, de ses souvenirs ou de son œuvre, d’autres films. Corto Fajal, Larbi Benchiha et Richard Hamon témoignent.

 

Corto Fajal réalise en 2001 Mémoires des pierres, René Vautier y joue le rôle principal.

« J’avais d’abord songé à Jean Marais pour ce rôle, je cherchais un visage, une « gueule » pour interpréter mon personnage. Jean Marais est mort trop vite et j’ai remisé mon scénario dans un tiroir. Quand je suis tombé sur un numéro d’Armen sur lequel René Vautier était en couverture, je me suis dit que j’avais trouvé mon personnage. Il a d’abord dit non, ne souhaitant pas incarner ce vieux monsieur qui revient dans son village avant de mourir. « C’est un peu tôt », m’avait-il dit. J’ai remis mon scénario dans le tiroir. René m’a rappelé six mois plus tard pour prendre des nouvelles, s’enquérir du projet. Il m’a annoncé qu’il acceptait ma proposition, si je voulais toujours de lui…

À partir de ce moment-là, on s’est beaucoup fréquenté. J’ai vu tous ses films, il m’a raconté sa vie. J’étais littéralement fasciné par le personnage. Je me suis laissé embarquer dans son univers. Nous avons réécrit les dialogues ensemble : les souvenirs que son personnage transmet dans le film sont ses propres souvenirs. On y voit une trentaine d’extraits de ses œuvres, les noms de ses copains soldats… Une fois le film terminé, René l’a accompagné, avec ou sans moi, lors des projections en salle. La relation qui s’est construite autour de ce film est une histoire de transmission, j’en garde un souvenir très fort. Son engagement a continué de m’influencer, bien au delà de cette aventure. »

 

Rene vautier:christel garry

 

Larbi Benchiha, réalisateur de films documentaires, notamment de L’Algérie, son cinéma et moi en 2006.

« J’ai rencontré René Vautier au milieu des années 90. Je montais un film avec Soazig Chappedelaine, sa compagne. René venait souvent, nous avons vite réalisé qu’on avait un point commun, l’Algérie. René avait une passion débordante pour mon pays d’origine, son cinéma, ses habitants. À cette époque, le pays sombrait dans la terreur et la violence terroriste, nous avions de longs échanges à ce propos.

Le film de René, Algérie en flammes, est un film que j’ai découvert à l’indépendance, à un moment où nous prenions conscience de l’existence et de la force de notre cinéma national. Il est aussi le premier film algérien reconnu internationalement. L’implication de René en Algérie est allée au delà avec la création d’une école de cinéma, le Centre audiovisuel de Ben Aknoum qui formait des cinéastes. Il a aussi créé un cinéma itinérant qui sillonnait le pays pour projeter des films un peu partout sur le territoire algérien. Le rencontrer a été très important pour moi. Quand j’ai fait mon film L’Algérie, son cinéma et moi, j’ai eu envie de raconter ces épisodes et de montrer combien René Vautier a œuvré pour le cinéma en Algérie. J’ai aussi eu la chance de l’accompagner à Cannes, quand le festival lui a rendu hommage en 2001, et plus tard d’être chef opérateur sur son film Histoires d’images, images d’Histoire, qu’il a co-réalisé avec sa fille Moïra.

Je suis bouleversé par la disparition de ce grand monsieur qui a beaucoup compté pour moi. Je reçois quantité de messages d’Algérie depuis l’annonce de son décès. Les gens sont bousculés, les acteurs du cinéma, de la culture en général… On rend hommage à cet homme exceptionnel aussi là-bas. »

 

Richard Hamon, réalisateur de films documentaires, dont Le petit blanc à la caméra rouge en 2007.

« Jean-François Le Corre, mon producteur, souhaitait faire le portrait de celui qu’il considérait comme le plus grand cinéaste breton du XXe siècle. Bien sûr ça m’intéressait, je connaissais ses films, j’appréciais son engagement, son ouverture d’esprit. Pour parler de cet homme, j’ai choisi Afrique 50, son premier film. À mon sens il contient les ferments de son travail futur de cinéaste, de son engagement politique. Il permet de voir de quelle façon il était venu au cinéma, ce que le cinéma lui a apporté. C’est une histoire extraordinaire qui révèle un personnage hors du commun. À l’époque, René Vautier part en Afrique Occidentale Française – à la demande de la Ligue de l’enseignement- pour mettre en lumière les bienfaits de la mission colonialiste. Et c’est en filmant qu’il a la révélation de l’oppression que la France faisait subir à ce peuple. C’est en filmant ces gens qu’il met en évidence le travail forcé, à la différence de tous ceux qui l’avaient précédé ! René a vingt ans à l’époque, le scandale lui saute aux yeux, il est celui qui voit autrement.

C’est le caractère tranché de sa prise de position qui fait de ce film le tout premier film anticolonialiste. C’est un véritable manifeste, intransigeant et révolté ! À l’image de l’homme qui porte cette caméra avec un sens du cadre évident. Et c’est ce que j’ai aimé chez lui. Il correspondait complètement à l’image héroïque qu’il véhiculait, un cinéaste militant, anticolonialiste, à l’engagement total.

Il avait une dimension humaine très particulière. Au Mali, il était très à l’aise, à Bamako comme dans les villages dogons. Il avait une grande élégance avec les gens. Aujourd’hui, je retiens son courage, son intelligence, sa droiture et son grand cœur. C’est ce qui fait que le film que j’ai fait sur et avec lui est un de mes films préférés. Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre un homme de cette qualité. »

Propos recueillis par Elodie Sonnefraud

Photographie de Une : sur le tournage de Le petit blanc à la caméra rouge © Richard Hamon / Vivement Lundi.
 

En 2002, Tangui Perron, auteur du livre Le cinéma en Bretagne, avait écrit un très beau portrait du cinéaste.

« Il n’est pas aisé d’écrire sur René Vautier, homme de légende entretenant la légende, cinéaste baroudeur battant la campagne, bavard impénitent. Un livre et un flot d’adjectifs n’y suffirait pas. Commençons par ses débuts et les faits les plus objectifs possibles. Né en 1928 à Camaret, René Vautier, jeune Eclaireur de France avant guerre, passe du jeu aux armes pendant la seconde guerre mondiale. Résistant dans la région de Quimper, d’abord chargé du renseignement puis de la propagande, il cotoie tôt la mort. Courageux et bravache, son côté « boy-scout » et tête brûlée ne le quittèrent jamais tout à fait. S’il prolétarise parfois ses origines, ce sont des fortes femmes, indépendantes, qui marquent surtout sa jeunesse : une mère institutrice laïque, une grand-mère contremaîtresse dans les conserveries du littoral breton (qui gifla un jour le leader communiste Charles Tillon venu faire de l’agitation…), tandis que le père, un temps ouvrier puis contremaître avant de devenir entrepreneur, abandonna fort tôt le foyer familial. Si René Vautier rejoint le parti communiste durant ces études de cinéma à Paris, juste après avoir été reçu brillamment à l’IDHEC, son réseau de résistance initial n’était pas du tout communiste. Communiste, René Vautier le sera par la suite toute sa vie et il le revendiquera toujours. Il s’agit cependant d’un communisme particulier, un communisme de guerre froide certes, au sectarisme flamboyant, mais René fut toujours plus attiré par les chocs frontaux que par les louanges à Staline. Individualiste généreux, enragé charmeur, globalement, René Vautier est toujours un marginal, tant en politique que dans les milieux du cinéma. Homme de la fidélité dans ses convictions et amitiés, quoique toujours adhérent du PCF, Vautier a en fait épousé les idéologies les plus radicales de son époque : anticolonialisme, régionalisme frôlant l’indépendantisme, écologisme anticapitaliste…

Et l’œuvre dans tout ça ? L’œuvre de René, on aurait tendance à penser que c’est surtout l’homme lui-même, René Vautier, avec ses aventures incroyables et souvent vraies, alors que sa filmographie multiforme et protéiforme est difficilement saisissable. René Vautier filma en effet abondamment, participa à de nombreuses œuvres collectives, signa parfois d’un pseudonyme, se vit censurer et interdire moult fois par l’Etat ; un commando d’extrême droite saccagea des milliers de kilomètres de pellicule lui appartenant ; il oublia et perdit de plus des films derrière lui, tandis qu’on lui attribue parfois des œuvres qu’il n’a pas réalisées… Au cœur d’une manif, interpellé par son opérateur lui signalant que leur caméra ne contenait plus de pellicule, René aurait répondu : « c’est pas grave, tourne quand même » ! Cette anecdote est peut-être apocryphe, elle témoigne cependant d’une certaine conception du cinéma …

Un bilan de l’oeuvre du cinéaste breton (que les CRS confondaient parfois avec Léo Ferré) ne peut être ainsi que cinématographique et politique. L’anticolonialisme, le cinéma militant et le cinéma en Bretagne lui doivent beaucoup. Son premier film, Afrique 50, peut-être sa meilleure œuvre, est un violent et efficace réquisitoire contre le colonialisme français en Afrique noire. Le film lui valu une interdiction totale, treize inculpations et l’armée, se rappelant que René Vautier n’avait pas fait son service militaire (ses faits de Résistance auraient pu pourtant l’en exempter), l’envoya en Allemagne… où il passa quasiment un an en prison militaire. La suite fut diverse et courageuse, fantasque et brouillonne, internationaliste et inventive. Après 15 jours sur un chalutier, René filme l’enterrement de l’ouvrier brestois Edouard Mazé, assure pour le PCF la responsabilité d’un service d’ordre sur un tournage ou, pour la CGT, le secrétariat administratif de son syndicat des techniciens du film.

Mais c’est la guerre d’Algérie et l’Algérie qui constituent le premier volet de sa carrière. René Vautier passe ainsi clandestinement dans ce « territoire d’Outre-Mer » pour se battre et filmer du côté du FLN. Il y est blessé, incarcéré (à cause de conflit interne à la révolution algérienne), pourchassé par l’armée française. Là-bas aussi René devient une légende. A l’indépendance, et c’est là que René fut le plus proche du pouvoir (FLN), il travaille à la Cinémathèque d’Alger, forme de jeunes cinéastes algériens, organise des tournées homériques dans toute l’Algérie, y compris au sein de contrées qui n’avait jamais vu de projection. De retour en Bretagne, en œuvrant pour la création d’un cinéma en région, René Vautier fonde avec d’autres cinéastes l’UPCB. Durant cette première aventure décentralisée et régionaliste, il n’oublie pas son combat antiraciste (Les ajoncs (1969) et Les trois cousins (1969) ni la guerre d’Algérie (Avoir 20 ans dans les Aurès (1972), son film le plus connu et le plus diffusé dans les réseaux parallèles). C’est durant cette période que le cinéaste breton fut le plus créatif et qu’il disposa le plus de soutiens, ce qui ne l’empêcha pas de connaître quelques échecs artistiques (comme avec La folle de Toujane, 1974).

Les années 80 furent moins fastes pour René Vautier, souvent ignoré par certains milieux (et dictionnaires) du cinéma, prêchant seul devant des auditoires alors moins fourni. Cela ne l’empêche pas de continuer ses combats et harangues, épaulé par quelques Comités d’Entreprises, tournant avec des enfants souvent banlieusards ou se rendant au Liban pour faire parvenir du matériel vidéo aux Palestiniens… Désormais le plus souvent seul derrière la caméra, ses réalisations pâtirent du manque de collaborations (comme naguère avec Yann Le Masson ou Bruno Muel). René Vautier avait pourtant su être un opérateur courageux et talentueux quand il filmait le passage de la ligne Morice, barrière électrifiée séparant l’Algérie et la Tunisie pendant la guerre coloniale ou durant les charges de CRS à Brest, après la marée noire de l’Amoco Cadiz (Marée noire et colère rouge, 1978).

A la fin du XXème siècle néanmoins, René Vautier, toujours debout, suscite un intérêt nouveau illustré par de nombreuses rétrospectives ou des programmations attirant un public souvent jeune et passionné. Le cinéaste s’intéresse enfin à ses films, arrête de les semer à tous vents et la Cinémathèque de Bretagne peut entamer un travail de collecte et de diffusion. Le micro entre les dents, comme naguère la caméra, René Vautier parcourt inlassablement villes et campagnes, principalement en France et en Algérie : « Il était une fois, le cinéma militant… »

Tangui Perron

Texte publié le 21 juin 2012 sur le site de Périphérie, centre de création documentaire en Seine-Saint-Denis. Tangui Perron est spécialiste de cinéma, il est chargé du patrimoine au sein de Périphérie.

Les télévisions locales et régionales rendent hommage au cinéaste

TVR diffusera le film de René Vautier et Moïra Chappedelaine Vautier Histoires d’images, images d’Histoire, jeudi 8 janvier à 20h45
Les antennes de France 3 Bretagne et Pays de Loire rediffuseront le film de Richard Hamon Le petit blanc à la caméra rouge, samedi 10 janvier à 15h20

Filmographie de René Vautier

1950 Afrique 50
1950 Un homme est mort
1954 Une nation, l’Algérie
1956 Anneaux d’or Ours d’argent au festival de Berlin-Ouest.
1958 L’Algérie en flammes
1963 Un peuple en marche
1964 Le glas
1969 Classe de lutte
1970 Les trois cousins Meilleur film pour les Droits de l’Homme à Strasbourg en 1970
1971 Les Ajoncs
1971 Mourir pour des images
1972 Avoir vingt ans dans les Aurès, avec Alexandre Arcady, Yves Branellec, Philippe Léotard. Prix international de la critique du festival de Cannes
1973 Transmission d’expérience ouvrière
1974 La Folle de Toujane, co-réalisation avec Nicole Le Garrec
1974 Le Remords
1975 Quand tu disais Valéry, avec Nicole Le Garrec. Meilleur film français au festival de Rotterdam
1976 Le Poisson commande. Oscar du meilleur film sur la mer
1976 Frontline
1977 Quand les femmes ont pris la colère, Co-réalisation avec Soazig Chappedelaine.
1978 Marée noire, colère rouge. Meilleur film document mondial 1978 au festival de Rotterdam
1980 Vacances en Giscardie
1985 À propos de… l’autre détail
1985 Chateaubriand, mémoire vivante
1986 Vous avez dit : français ?
1988 Mission pacifique
1995 Hirochirac

Lien(s) en relation avec ce sujet
  • Pour (re)voir ou (ré)écouter des entretiens, conférences :

France Culture, émission Hors Champs : entretien avec René Vautier

INA : interview de René Vautier en 1972

Les rencontres de Cinémaghreb à Brest, partie 1 et 2

France Inter, émission Là-bas si j’y suis : René Vautier le petit breton à la caméra rouge

  • Sur Avoir vingt ans dans les Aurès

Films en Bretagne, article de Nathalie Marcault

Sur DVD classik, critique Olivier Bitoun