Adhérente fidèle depuis son arrivée en Bretagne il y a quelques années, Bettina Juminer nous partage son parcours depuis son île natale de Saint-Martin. Un environnement favorable en Bretagne et une envie de faire du cinéma bien plus forte que le déterminisme insulaire lui ont permis de créer la société AuBe Films. Elle nous parle des sujets qui lui tiennent à cœur et de ses projets pour les mettre en lumière. Nous sommes très heureux·ses qu’elle ait choisi de s’engager dans le collectif comme administratrice du collège TCCC en octobre 2023.
Rencontre avec Bettina Juminer, filmmaker engagée !
Films en Bretagne : Peux-tu nous décrire ton parcours professionnel et nous expliquer ce qui t’a amené à la production et à la création de la société AuBe Films ?
Bettina Juminer : J’ai souvent été absente des photos et vidéos de famille quand j’étais enfant. J’ai compris le fonctionnement d’une caméra, et c’est naturellement que je me trouvais derrière et jamais devant l’objectif.
Originaire de l’île franco-néerlandaise de Saint-Martin, je n’avais pas idée que je pourrais un jour faire des études et travailler dans le domaine du cinéma, car je n’avais aucun modèle. J’avais l’impression que c’était un art qui était destiné à quelques élus de Hollywood. En 1995/1996, sur mon île, le front de mer de Marigot a été métamorphosé pendant quelques mois, pour le tournage de Speed 2 ; et la salle omnisports, transformée en studio de post-production. J’ai compris que cela était possible ailleurs qu’à Hollywood ; mais je n’avais personne pour m’aider dans mon orientation. Une conseillère d’orientation m’avait même dit qu’il serait judicieux de trouver un « vrai travail ».
Après mon baccalauréat, j’ai donc choisi de faire les mêmes études que la majorité des jeunes St-Martinois faisaient : Licence Anglais, pour ensuite faire un CAPES et terminer professeur d’anglais ou traductrice. Après deux ans d’études à Bordeaux, j’ai abandonné mes études pour trouver un emploi dans le domaine du social à Saint-Martin.
En 2011, après avoir passé 5 ans dans le social, j’ai intégré un BTS Métiers de l’audiovisuel option gestion de production à Studio M -Montpellier. J’ai découvert le monde de la télévision grâce à un stage de trois mois à Guadeloupe 1ère (France télévision), dans le cadre de mon BTS, puis j’ai eu une courte période d’emploi en tant qu’assistante de production sur diverses émissions de proximité : midi, service, en attendant l’info et studio 1ère.
À 45 minutes par avion de mes proches, et après avoir passé deux ans dans l’hexagone pour mon BTS, je cherchais à rentrer chez moi. C’est pourquoi j’ai accepté un poste de conseillère à pôle emploi en février 2012 au sein de l’agence de Marigot. De retour sur mon île, j’ai fondé une association « The Friendly Island Production », avec laquelle j’ai produit et réalisé des films de commande (clip vidéo, spots publicitaires…) et un court-métrage « Baby needs milk », réalisé par mon frère Richard James, avec lequel nous avons participé à différents festivals dont celui de Saint-Barthélemy, le Fémi en Guadeloupe et avons fait plusieurs projections locales, dans des écoles autour d’actions de lutte contre la délinquance (à St-Maarten).
Je suis arrivée en Bretagne par hasard en 2018.
Après une rupture conventionnelle en juin 2017, j’avais pour objectif de créer une société de production audiovisuelle à Saint-Martin. Hélas, le cyclone Irma a mis fin à ce projet en septembre 2017. En décembre de la même année, j’ai décidé de me rendre en région Île-de-France à la recherche d’une formation, afin de renforcer mes compétences en gestion de production. Mais, ne trouvant, ni formation, ni ma place en Île-de-France, j’ai commencé à rechercher dans d’autres régions. En septembre 2018, je posais mes valises à Rennes pour intégrer la licence Pro GPAME à l’IUT de Rennes 1. Sept mois après, à Brest, j’entamais un stage aux 48ème Rugissants, où encadrée par Adeline LE DANTEC et travaillant au côté d’Anthony QUÉRÉ, en face de Jules Raillard (Les films de Rita et Marcel) avec qui les 48ème partageaient un bureau en open office, j’ai vraiment appris le métier d’assistante de production/administrateur et pu observer avec attention celui de producteur.
Ensuite, pendant 18 mois, comme monitrice d’atelier audiovisuel à Kamadéo (société de production solidaire), j’ai pu me remettre au montage vidéo et à la réalisation média. Une merveilleuse rencontre, m’a fait poser mes valises à Plouescat, où je pense rester, un bon moment. Calme, chaleureux et proche de la mer, ce lieu me rappelle chez moi. Par le biais de Films en Bretagne et des rencontres faites depuis mon arrivée en Bretagne, je me suis sentie en confiance, afin de créer AuBe Films. Une société avec laquelle je peux réaliser des œuvres qui me tiennent à cœur, tout en me sentant accompagnée par un fort réseau, qui pourra me soutenir en cas de besoin en formations, conseils, expertises, etc.
Films en Bretagne : Peux-tu nous dire quelques mots sur la ligne éditoriale et ce qui guide tes choix de production ?
Bettina Juminer : AuBe Films est une entreprise de production audiovisuelle et cinématographique créée en mai 2022 par deux associées, Aude BULTEAU et moi-même.
Je me définis comme un « Filmmaker (créatrice de film) », qui souhaite porter à l’écran des films de courts et longs métrages, de fiction ou documentaire, mettant en lumière des cultures, des expériences, et des récits de personnes issues des « minorités » ethniques, culturelles, religieuses, sexuelles, géographiques…
Principalement, en autoproduction, je me suis lancée le défi de travailler en solo sur mon premier film documentaire (de la prépa à la post-production à l’exception du mixage et de l’étalonnage). Je souhaite, au fur et à mesure, m’entourer de professionnels qui partagent mes valeurs, pour des projets plus ambitieux.
AuBe films se veut l’écran de toutes les diversités.
Ce qui guide mes choix : je veux donner une voix aux invisibles, et en même temps, être un exemple, pour les jeunes personnes atypiques, qui comme moi, rêvent de faire ce métier un jour.
Films en Bretagne : Quels sont tes projets actuellement ?
Bettina Juminer : Je travaille sur mon premier film documentaire, porté par ma jeune société. « Welcome to IFACA » (titre provisoire), pour le moment en phase de production/post-production. Ce projet est réalisé en partie grâce à une aide exceptionnelle de la collectivité territoriale de Saint-Martin.
Autour de ce projet, je cherche tout d’abord à comprendre mon héritage ; comment il est arrivé jusqu’aux Antilles Françaises, et comment nous pouvons le célébrer. En outre, je veux également déconstruire les récits négatifs autour du continent africain en racontant l’histoire d’une jeune communauté internationale, basée au Cameroun, qui pense que la reconstruction du continent se fera par la promotion des arts, la culture et l’agriculture, et qui à cet effet organise annuellement un festival à Kribi au Cameroun, le festival IFACA (International Festival of arts culture and agriculture).
J’ai également un projet de série, autour de la musique et plus particulièrement le monde underground de la musique aux Antilles. Je souhaite coupler ce projet à un programme de formation, et faire appel à la coopération entre plusieurs territoires/nations.
Je suis originaire de l’île de Saint-Martin, c’est pourquoi mes projets mettent en avant son histoire, sa culture et son caractère…
Malheureusement, en ce qui concerne la production audiovisuelle et cinématographique à Saint-Martin, nous avons 10 ans de retard sur nos voisins de la Guadeloupe et de la Martinique, et 30 ans de retard sur l’hexagone. Mais j’ai le sentiment que les politiques locaux portent un réel intérêt à faire évoluer les choses. De mon côté, j’étudie avec attention le modèle de la région Bretagne, le respect de son territoire, la mise en avant des techniciens de la région, la lutte pour préserver son patrimoine culturel (langue, histoire, bâtiments, paysages…) etc… et je pense qu’une collaboration entre nos deux territoires serait bénéfique à tous.
Le reste du temps, je suis disponible comme prestataire de services ou salariée, assistante de production et/ou monteuse, cadreuse et télépilote de drone.
Propos recueillis par Caroline Le Maux pour Films en Bretagne, septembre 2023