Avancer en rangs serrés


Pour clore la série d’articles relatifs à la 14ème édition des rencontres documentaires de Doc’Ouest, des réalisateurs, producteurs et responsables de fonds d’aides régionaux livrent leur point de vue sur la manifestation et sa résonance avec leurs problématiques.

«  J’ai été invité à Doc’Ouest dans le cadre du tutorat des jeunes auteurs. Jusqu’à présent, ces rencontres professionnelles étaient pour moi quelque chose d’assez obscur. Je m’interrogeais sur ma légitimité à y assister. Je craignais un côté trop corporatiste. Le fait d’avoir obtenu, pour la première fois, une aide à l’écriture de la Région Bretagne, m’a encouragé. J’ai mis mes inquiétudes de côté et je suis venu.

Pendant 72 heures, on croise les mêmes personnes, on identifie des têtes. Ce contexte facilite la rencontre. J’ai suivi des échanges sur des thématiques qui m’étaient inconnues et j’ai fait deux rencontres significatives. Comme j’ai l’intention de présenter mon projet à la bourse Brouillon d’un rêve, j’ai pris rendez-vous avec Jean-Pierre Mast de la Scam. Je l’ai trouvé d’une générosité déconcertante. Je ne m’y attendais pas. Après avoir lu ma note d’intention, il m’a dit, faisant référence à René Char : « Je vois les traces, mais je ne vois pas encore les preuves ». Ça m’a fait réfléchir  !

J’ai aussi pris conseil auprès de Maud Brunet, chargée de la formation au sein de Films en Bretagne. Je viens des Beaux-arts, je n’ai pas fait d’école de cinéma, la question de la formation se pose donc pour moi. Maud m’a présenté les dispositifs mis en place, notamment celui des ATE (action expérimentale territoriale, ndlr) et expliqué que Films en Bretagne proposait des solutions au cas où Pôle Emploi refusait de financer une formation jugée non professionnalisante. Voilà qui me rassure et m’encourage à suivre la formation Dramaturgie et documentaire à Mellionnec.

Je venais aussi dans l’espoir de rencontrer des producteurs, de façon informelle, autour d’un verre. Ce qui reste assez difficile. On ne m’a jamais appris à démarcher un producteur. J’ai le palpitant qui s’emballe chaque fois que j’en approche un ! Beaucoup de gens de ma génération sont dans la même situation que moi, ont les mêmes inquiétudes, se posent les mêmes questions. A Doc’Ouest, il y a des échanges intergénérationnels – et c’est important – entre des jeunes gens qui veulent faire les choses dans l’urgence et d’autres plus expérimentés, comme Jean-Pierre Mast, qui nous renvoient une image plus sereine. Je repars chez moi avec une énergie ressuscitée, le désir de gravir des sommets et de montrer que les preuves vont venir ! ».

Jérôme Duc-Maugé, producteur (Cocottesminute Productions)

«  C’est la première fois que je viens à Doc’Ouest. J’ai été convié à rencontrer des auteurs dans le cadre du tutorat. J’ai pu partager avec eux mon expérience de producteur, en particulier sur la question de la relation auteur/producteur. C’est souvent un point compliqué à projeter lorsque l’on débute dans ce métier d’auteur. Cela vaut d’ailleurs pour les producteurs  ! Les échanges ont été particulièrement riches, les questions posées directes et souvent pertinentes. Ce débat préalable, agréable, a été un bon prélude aux one to one. J’ai pu leur faire un retour individuel sur leurs projets respectifs, installer un dialogue constructif pour qu’ils puissent repartir avec des pistes de travail, plutôt que des doutes.

Concernant Doc’Ouest, j’ai apprécié le programme très pluriel cette année. Documentaire bien sûr, web, fiction… Beaucoup de problématiques échangées et partagées. J’ai trouvé ici une énergie positive et une envie de faire, ce qui est rare, dans une époque souvent trop anxiogène. Cela fait du bien, dans l’exercice de mon métier surtout.

Une priorité dans nos régions ? En Rhône-Alpes, pour parler de celle que je connais bien pour y travailler, cela serait l’émergence de nouveaux professionnels. C’est paradoxal, mais nous manquons de producteurs. Ce sont eux qui fixent les talents sur un territoire. Les fonds alloués par le service de la culture et Rhône Alpes Cinéma sont importants, mais cela ne permet pas assez l’émergence de nouveaux producteurs et réalisateurs sur notre territoire. C’est ennuyeux. Un auteur qui cherche un producteur pour un projet qu’il développe a besoin d’un vrai parterre de producteurs pour faire son choix. Il en est de même pour le producteur vis-à-vis des réalisateurs. Je constate qu’il y a en Rhône-Alpes un problème de filière. La solution passera par la formation, à l’image de ce qui s’est passé à Valence autour du cinéma d’animation. On est en chemin. En cela, la table ronde sur la fiction longue d’initiative régionale était instructive. »

Jérôme Parlange, Responsable Cinéma et Audiovisuel – CICLIC – Agence régionale du Centre pour le livre, l’image et la culture numérique

« Doc’Ouest est une manifestation à taille humaine et c’est très appréciable. J’ai été très intéressé par la problématique de coproduction européenne et par la présentation de Doc Alliance.

Au delà du programme, une manifestation comme Doc’Ouest est une manière de joindre l’utile à l’agréable, de travailler son réseau, d’avoir du temps pour des rencontres, à la fois de «  hasard  » au sein de son propre secteur d’activité, comme d’autres plus anticipées, des réunions de travail, par exemple celle organisée sur la formation professionnelle. Une des missions de CICLIC porte sur la formation de tous les corps de métiers. Des besoins sont régulièrement exprimés. Mais c’est une action qui coûte cher, limitant de fait nos possibilités. La réunion qui s’est tenue à Pléneuf nous assure que ces perceptions sont partagées dans les autres régions et que nous avons tout intérêt à nous associer pour avancer. Les problématiques étant proches, nous avons à partager les expériences et à inventer.

Cette année de nombreux responsables d’autres fonds d’aides territoriaux étaient présents, nous en avons profité pour nous réunir entre homologues. Ce type de temps d’échanges est essentiel pour évoquer des problématiques communes, des retours d’expériences, et partager des informations.

L’année écoulée a été riche en nouveautés ou en réformes : la Convention Collective du Cinéma, la réforme du régime des intermittents, celle du Cosip documentaire, les nouvelles réglementations européennes. Ces quatre sujets ont été très prégnants pour notre secteur et nous obligent à réfléchir sur nos moyens et nos montants d’intervention mais aussi sur le type de longs-métrages qu’on va soutenir. Chacune de ces réformes va avoir des effets dominos et il s’agit d’être le mieux informé possible pour les prévoir et les anticiper.

Les responsables de fonds d’aides sont à la croisée des chemins : nous devons, à la fois, assurer la bonne gestion de notre fonds mais aussi soutenir au mieux les professionnels du secteur. Et pour cela il faut bien connaître leurs enjeux techniques et financiers, de façon à avoir une politique de soutien pertinente et cohérente. Ce sont toutes ces raisons qui nous font venir à des rencontres professionnelles comme Doc’Ouest. »

« Je réalise actuellement mon troisième film documentaire mais suis également productrice au sein d’une structure naissante en Aquitaine. Tourné Monté Films existait depuis quelques années mais sous une forme associative. Nous y avons fait des actions d’éducation à l’image et de l’accompagnement de projets documentaires. Aujourd’hui David Foucher, mon associé, et moi-même avons créé notre société pour produire des documentaires de création.

C’est notre première participation à Doc’Ouest et nous y sommes venus pour les échanges proposés autour de la coproduction internationale. La majorité de nos films sont concernés par cette dimension internationale, soit du fait de leur sujet, soit par la localisation du tournage. L’étude de cas était intéressante. J’en retiens d’emblée l’importance de participer au forum de coproduction, de se déplacer pour parler de nos projets et ainsi trouver des partenaires. »

« C’était la quatrième ou cinquième fois que je venais à Doc’Ouest, avec, cette année, des attentes diverses. La rencontre avec Vincent Leclercq était pertinente. Qu’il prenne le temps ainsi de nous expliquer, dans le détail, la réforme documentaire, est une réelle opportunité pour les producteurs.

J’ai apprécié la volonté d’ouverture tant du coté des professionnels, qui venaient de partout, que des problématiques régionales explorées… On peut regretter qu’il n’y ait pas plus de diffuseurs et de décideurs qui fassent le déplacement, des responsables des programmes des antennes régionales de France 3 par exemple.

En ce qui me concerne, puisque je produis de la fiction et que je suis basé à Marseille, l’ouverture à ce genre et à la question du long-métrage initié en région m’a intéressé. Pourquoi y en a-t-il si peu ? J’ai le sentiment qu’il y a eu des amorces de réponses énoncées à Doc’Ouest, qu’il y a des fils à tirer. Les rendez-vous auteurs-producteurs étaient intéressants. Ils confirment que les auteurs/réalisateurs talentueux existent  !

On est conscient que la plupart d’entre-eux vivent à Paris, même s’ils sont originaires des régions. Ils y vont pour se former, pour travailler, acquérir des expériences… Et c’est ici que se niche une de nos difficultés. Elle n’est pas à chercher du côté du soit disant complexe qui dit « qu’on serait moins bon hors de Paris ». Je crois beaucoup en la proximité géographique entre un auteur et son producteur. Je suis persuadé qu’elle favorise nettement la qualité du développement d’un projet. Quand les gens sont loin les uns des autres, les retards s’accumulent.

Je pense qu’on n’arrivera pas à combler ce retard en région si on ne parvient pas à attirer des professionnels, auteurs, techniciens, prestataires, producteurs. Pour ça, il faut créer un terreau favorable. C’est ce qui m’a frappé à Doc’Ouest et c’était enthousiasmant. L’annonce de la création du Breizh Film Fund et le travail du Groupe Ouest par exemple, la réflexion sur la formation, tout ceci est très cohérent et au cœur de nos problématiques. Attirer des talents, générer de l’activité et de la qualité, chercher à développer un secteur et son économie ne peuvent pas s’appuyer sur les fonds d’aides uniquement. Il faut davantage de tournages, former des auteurs et des producteurs ou les accueillir, pour créer un tissu dense et structuré dans les régions. Et pour que tout ça advienne, il ne faut pas le faire de manière isolée. Puisque la problématique d’un territoire est la même dans chaque territoire, il faut avancer en rangs serrés. S’organiser ensemble pour être un contre-pouvoir efficace, un rempart au centralisme actuel. »

Cédric Pellissier, Directeur Général d’Écla – Écrit Cinéma Livre Audiovisuel en Aquitaine.

«  Venir à Doc’Ouest et y rester sur toute la durée de la manifestation est intéressant à plus d’un titre. D’abord pour multiplier les temps informels d’échanges avec les collègues des autres fonds d’aides territoriaux. On ne se voit pas souvent, du moins pas longtemps et plutôt dans un cadre bien déterminé. Là, au fil de ces trois jours, on a pu échanger sur la durée et au regard des thématiques qui ont traversé ces Rencontres.

Cette année, plusieurs sujets nous concernent : la réforme du Cosip documentaire, la formation professionnelle, la coproduction internationale d’initiative régionale, l’émergence de jeunes auteurs… Ces points de réflexion sont au cœur des problématiques de la création d’initiative régionale et du renforcement de la filière, chères à Ecla. Développer durablement et globalement le secteur sur notre territoire était l’un des objectifs du nouveau règlement d’intervention mis en place il y a deux ans en Aquitaine. Notre politique particulière vis à vis du cinéma et de l’audiovisuel, et notamment sa logique non territoriale – quant à l’implantation du tournage –, s’appuie sur un appareil de production locale existant et efficient. Nous savons qu’à présent il s’agit d’améliorer notre capacité à soutenir les projets en amont et en aval de la production.

Certains outils sont déjà en place, comme le bureau des auteurs et la résidence du Chalet-Mauriac associant auteurs de cinéma et écrivains, mais Écla souhaite aller plus loin.

Comme les autres régions ayant une politique forte en terme de cinéma, – je pense à Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Centre, Nord-Pas-de-Calais, Basse-Normandie et Bretagne -, nous nous posons la question de l’émergence. Comment accompagner celle des jeunes auteurs ? Comment être à l’initiative de leurs projets ? J’ai donc profité de ma présence à Doc’Ouest pour avancer sur ces réflexions, en rencontrant notamment l’équipe du Groupe Ouest.

Une autre préoccupation commune aux régions tient à l’évolution des modes de financement et des forces en présence sur le marché du cinéma qui fait de nous, fonds d’aides territoriaux, la cible de films plutôt fragiles, notamment ceux portés par de jeunes auteurs. Puisque ce sont ces films qui cherchent notre soutien, il nous faut réfléchir aux outils qui leur sont adaptés pour mieux les accompagner. C’est de notre ressort de nous interroger notamment sur la diffusion, sur tous supports et à différents moments de la vie d’un film. Autant de sujets qui ont nourri nos échanges pendant ces trois jours. »

Propos recueillis par Nathalie Marcault et Elodie Sonnefraud