Justine Guichen vit dans le Morbihan et découvre la réalisation pendant sa formation de comédienne à Vannes. Dans ses films, elle tient à exprimer la nécessité de faire vivre les silences et les non-dits. Sœurs, adaptation d’une pièce de théâtre de Gérard Levoyer, est son 3ème court métrage : il met en scène deux sœurs qui se retrouvent autour du décès de leur mère…
Retour d'écran par Anaïs Clerc-Bedouet
« T’as toujours été sa chouchoute ! »
C’est fou comme une phrase, un texte, une fiction, un court métrage, peuvent résonner avec notre propre histoire, si simplement. Une phrase si banale, presque anodine, et pourtant capable de nous désarmer. Justine Guichen, la réalisatrice, ne pouvait pas imaginer combien son film viendrait percuter quelque chose de si intime en moi, lorsqu’elle me l’a envoyé. Presque timidement. Presque en s’excusant. « Je serais très heureuse d’avoir tes retours », m’a-t-elle écrit.
« T’as toujours été sa chouchoute ! »
C’est ce qu’Annette, la cadette, lance, calmement, presque comme un défi, à Pauline, son aînée, tandis que leur mère se meurt dans la pièce d’à côté. Bientôt, elles ne seront plus les enfants de personne, et il n’y aura plus de chouchoute. Dans l’intimité de la maison de leur enfance, Annette et Pauline se retrouvent, confrontées à l’urgence de redevenir sœurs, de retisser ce lien indélébile, qu’elles le veuillent ou non. Pauline, elle, n’a jamais demandé à être la chouchoute. Il y avait des raisons pour cela, des raisons qu’on pourrait qualifier de « bonnes »… ou de terriblement mauvaises, selon l’angle sous lequel on les regarde.
« Je ne voulais pas être la chouchoute ! »
C’est ce que dit silencieusement Pauline à sa cadette. L’enfant préféré n’a pas choisi sa place, elle lui a été attribuée, inscrite dans l’intimité des liens familiaux comme un poids qu’il n’a pas demandé à porter. Et pourtant, il y a toujours cette part de culpabilité, cette sensation qu’il en porte la responsabilité, même sans en avoir conscience. Parce qu’être le chouchou, c’est aussi être le miroir des failles des autres. C’est incarner, sans le savoir, des « bonnes » raisons qui, souvent, ne sont que des blessures mal cicatrisées, des inégalités de traitement ou des attentes non dites. L’enfant préféré n’a pas choisi d’occuper ce rôle autour duquel se structurent les attentes et les déséquilibres familiaux. Et pourtant, il l’assume, sans le vouloir, dans le silence des non-dits, dans l’ombre des absences affectives, comme une chance ou une malédiction dont il faudrait s’excuser.
Sœurs remet au centre de la relation adelphique la nécessité de prendre du recul et d’accepter la réalité des liens familiaux, sans pour autant négliger la reconnaissance des blessures profondes de chacun·e. Ce court métrage, inspiré d’une pièce de théâtre de Gérard Levoyer, met en lumière la nécessité de revisiter ces déséquilibres invisibles et d’écouter les voix qui, souvent, n’ont jamais eu l’opportunité de se faire entendre.
SUR LA RÉALISATRICE : JUSTINE GUICHEN
Justine Guichen est comédienne et vit dans le Morbihan. C’est au cours de sa formation de comédienne au Cours Charmey, qu’elle découvert que l’image lui permet d’exprimer ce que sa parole ne suffit pas à dire. Elle réalise à la fin de ses études, son premier court métrage Le cri du silence, en 2020 L’Absente, puis Sœurs en 2024. Dans chacun de ces court-métrages elle exprime la nécessité de faire vivre les silences et les non-dits. Sœurs, son dernier court-métrage, est une adaptation d’une pièce de théâtre de Gérard Levoyer (Ed. L’Harmattan) et a été sélectionné en festival à Montréal.
SUR LE FILM : SŒURS
Sœurs de Justine Guichen
Lors du décès de leur mère, deux sœurs se retrouvent, confrontent leurs souvenirs et leurs vécus d’enfant, pour retrouver leur lien filial.
14 minutes • France • 2024
Réalisation et scénario (d’après la pièce de théâtre de Gérard Levoyer) : Justine Guichen • Avec : Béatrice Meana et Justine Guichen • Directeur de la photographie : Théo Fouillet • Chef opérateur du son : Robin Huline • Monteur image et étalonneur : Théo Fouillet • Mixeur : Robin Huline • Compositeur : Florian Buiron
Une production PHOENIX Production