Avec Un pays de papier, Marion Boé suit l’avocate rennaise Mélanie Le Verger, engagée depuis de longues années auprès des mineurs non accompagnés… Elle plante sa caméra dans le cabinet. Elle assiste aux entretiens. Elle entend les jeunes exilés expliquer leur situation, expliquer comment ils ont fui leur pays, la violence, le mariage forcé. Elle regarde l’avocate écouter le récit de leur trajectoire douloureuse, de leur arrivée, de la cruauté du quotidien… Ils se retrouvent parfois à la rue, on ne les reconnait pas comme « mineurs », ils ne sont pas pris en charge.… Et rien n’est fait dans ce « pays de papier » pour les accueillir, leur venir en aide…
C’est tout le travail de l’avocate d’obtenir l’acte de naissance, d’aller voir le juge, de rassurer, d’être à l’écoute. Pour elle, les découragements peuvent être nombreux, mais les convictions et les engagements sont tenaces, et peuvent mener à des victoires. Parce que parmi tous les jeunes qui sont venus la voir, qu’elle a accompagné, il est aussi des destins heureux.
Un film édifiant, profondément humain qui regarde la vie dans les yeux, autant qu’il fait du bien.
Retour d'écran
Les invisibles
Dès les premières minutes du film, on comprend que ceux et celles qui sont amené·es à s’adresser à Mélanie Le Verger ont des histoires de vie complexes, tragiques, qu’ils ou elles ont fui. Dès les premières minutes du film, on comprend que ces histoires singulières de déchirures, de drames, figurent l’histoire d’une multitude invisible, ou « invisibilisée », qui en arrivant en France n’est pas forcément bienvenue, et encore moins accueillie. Au long du film, ce sont quelques destins que nous partageons en suivant les voix qui racontent, de dos, face à l’avocate. Il est bien sûr, dans ce dispositif, question de protéger les protagonistes et leur identité, de les protéger aussi en tant que mineur·es… Mais il est aussi question, de manière plus implicite, de pudeur, de distance et de quelque chose qui se transforme, par la voix, en quelque chose de pénétrant : nous ne sommes pas invités à l’empathie par l’image, l’attention au détail des visages et/ou des expressions. C’est le récit qui prend le dessus, et nous avons aussi peu de place pour l’a priori que celle que se refuse à garder l’avocate en recevant ces personnes pour les accompagner.
Charge à elle d’être à l’écoute de faits, de les connecter à la loi, de les porter dans l’idée qu’elle se fait d’un état de droit… avec sans doute, à l’origine de son engagement, une idée noble d’un pays comme la France, qui se targue d’être le pays des Droits de l’Homme…
Mais… cette idée noble de départ, est aussi à l’origine d’un combat… quand l’état de droit se frotte et se pique à la Realpolitik, à des logiques gestionnaires et/ou « pratiques » qui font bien peu de cas de la justice, des droits et de l’altérité. Un mot intéressant à situer ici : « altérité » ! Parce que l’avocate a une fonction et une compétence, du métier… mais on comprend aussi très vite que l’altérité, et une certaine vision du monde l’anime au-delà de sa fonction et sa compétence. Elle est à l’écoute, ouvre des portes, cherche les possibilités pour des mineurs le plus souvent livrés à eux-mêmes, traumatisés, perdus. Au-delà de toute considération « technique », elle fait en sorte d’être RASSURANTE, ACCUEILLANTE, PROTECTRICE.
Si le film n’est pas à proprement parler un « feel good movie », loin s’en faut, il est néanmoins, parmi d’autres films qui se sont appliquer à travailler ce sujet (comme le très réussi Le divan du Monde de Swen De Pauw, pour ne citer que lui !), une sacrée piqure de rappel quant à ce qui constitue « normalement » le fondement de notre démocratie, quant aux forces vives qui luttent au fil du temps pour en défendre les principes, quant à la puissance (fragile parfois) de tels engagements !
Et ça fait beaucoup de bien ! L’affirmation de ces principes, et ces petites victoires – parce que nombres de personnes que Mélanie a accompagnées ont fini par trouver une issue – fait énormément de bien !
Découragement vs les convictions
Bien entendu, et le film ne les occulte pas, il y a des moments de grandes solitudes, des découragements profonds, des désillusions violentes. Mélanie dit ne plus croire en la justice, parfois… Au vu de l’énergie qu’elle déploie, de convictions intactes malgré le temps qui passe (cela fait a priori près de 20 ans qu’elle accompagne des gens !), il est sûr néanmoins qu’elle croit dans l’outil du droit, et à la capacité de celles et ceux qui portent des intentions « humaines » de mettre cet outil au service de nobles causes.
Pour citer une fois encore Swen De Pauw, le film suit Mélanie comme elle vient, dans son cabinet, en voiture, dans son jardin… dans ce jardin se joue, peut-être au-delà de l’intention première du film et de son tournage, quelque chose de doucement Voltairien… Il faut cultiver son jardin disait Candide ! Ce qu’on peut en déduire, c’est que l’avocate a les pieds bien sur Terre, elle est bien ancrée dans ses convictions, avec sans doute la FOI dans la résilience des arbres.
Franck Vialle, directeur de Films en Bretagne
Le film
Une pays de papier de Marion Boé
Depuis près de 20 ans, Mélanie accueille dans son cabinet d’avocate des mineurs non accompagnés et tente de les aider dans la jungle de la justice française. À travers son métier, elle cherche à réparer les injustices que subissent ces jeunes migrants déjà traumatisés par un long exil. Et quand la justice ne fait plus son travail, c’est en citoyenne engagée qu’elle les prend sous son aile et poursuit son combat
Image : Marion Boé et Lara Laigneau • Son : Marion Boé, Henry Puizillout, Pierre-Albert Vivet, Vincent Pessogneaux • Montage & Étalonnage : Denis Le Paven • Montage son & mixage : Henry Puizillout • Coordination écriture : Denis Rollier • Graphisme : Thiven Minton • Musique : Emmanuel Léonard
Une coproduction Les Films de la pluie / TVR avec le soutien du CNC, de la Région Bretagne, de la PROCIREP et de l’ANGOA
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diffusion sur TVR : le lundi 8 avril
sur grand écran, le jeudi 4 avril à 20h30 au Cinéma L’Image à Plougastel-Daoulas (29)
Marion Boé : autrice, réalisatrice
Après avoir égrené tous les ateliers vidéos de Quimper pendant son enfance, Marion Boé pars faire des études d’audiovisuel à Valenciennes en 2003. Elle s’installe ensuite à Paris où elle commence son parcours en tant qu’assistante monteuse pour Jihan El-Tahri ou Martin Meissonnier. Elle deviens monteuse à son tour.
En 2008 elle réalise son premier documentaire « La cité des abeilles » produit par Candela Productions et France 3 Ouest.
Depuis 2015, elle réside à nouveau en Bretagne, où elle continue d’accompagner les réalisateurs et réalisatrices en tant que monteuse et développe aussi de nouveaux projets de réalisation.