Son travail en papier découpé a notamment inspiré le long métrage The Breadwinner réalisé par Nora Twomey et produit par le studio Cartoon Saloon. Ses propres films ont voyagé dans de nombreux festivals comme Basav ! ou Emilien, d’autres sont visibles sur internet comme The Hateful Eight, carte blanche d’une minute pour les « Shortcut » d’Arte.
Janis Aussel vient de finir Nuits Blanches produit par la société rennaise JPL Films – le film a été présenté en compétition du Festival National du Film d’Animation en avril 2023.
Retour d’écran en forme de lettre à son auteure…
Chère Janis,
Comme j’ai déjà pu t’en faire part lors d’une récente discussion, j’ai découvert « Nuits blanches » par la force des choses, au moment de sa sortie de fabrication, dans l’actualité du moment… sur un écran 13 pouces… et en deux temps, une fois distraitement, un fois pas… si bien que je me suis précipité à la première occasion de pouvoir le voir sur grand écran… et c’était en ta présence, ce qui ne gâchait rien.
Pour la rencontre avec le film, commençons par le fond.
Très vite, même au premier visionnage distrait et muet, j’ai compris de quoi il s’agissait : documenter les troubles du sommeil et l’état émotionnel de celles et ceux qui en souffrent, mettre des images sur les rêves qui n’ont pas lieu, cédant leur place à des états éveillés, en roue libre mais cadencés par le rythme de la vie des autres, décalés pour toujours, solitaires.
Parce qu’il s’agit bien d’un film documentaire, mais en images animées où les différentes techniques de papier et de couleur viennent figurer des images qui n’existent pas dans une « nuit » à trous : pas de vision, pas de quoi se raccrocher au réel sans risquer de sombrer dans le vide du réel, un espace à investir et le temps pris pour le faire, la réunion de témoignages sonores qui, dans leur récit choral, touchent autant à la polyphonie des symptômes et des figures qu’à la multitudes des invisibles. Ce « voyage à plusieurs voix » dans les troubles du sommeil est une proposition documentaire inédite sur ce mal qui touche plus de gens qu’on ose seulement l’imaginer…
Peut-être parce que je fais partie de cette multitude, peut-être parce que comme toi je ne dors souvent pas aux côtés de celles et ceux qui dorment, peut-être parce que comme pour toi la ligne est souvent ténue (et tendue) entre ce qui relève de la marge, de l’exception, de la culpabilité, de l’incommunicabilité… pour toute ces raisons, les clés du film sont pour moi si limpides, évidentes et à partager d’urgence.
Je repense à cette chanson bleue pétrole :
Mon ange, je t’ai haïe / Je t’ai laissée aimer d’autres que moi / Un peu plus loin qu’ici
Mon ange, je t’ai trahie / Tant de nuits alité / Que mon coeur a cessé / De me donner la vie
Si loin de moi
Des armées insolites / Et des ombres équivoques / Des fils dont on se moque / Et des femmes que l’on quitte
Des tristesses surannées / Des malheurs qu’on oublie / Des ongles un peu noircis
Alain Bashung
Je brasse au-dessus de cette lettre, volontairement en vrac, différents photogrammes du film que tu m’as confiés… dans ce puzzle mental et son cheminement propre, il y a tant de matière pour se frayer un chemin, trouver sa voix/voie, se reconnaître ou reconnaître un/une autre. Outre le documentaire, auquel Nuits blanches ouvre une nouvelle forme, il y a la poésie à laquelle Nuits blanches rappelle sa place, celle de formulé un monde, son espace et son temps, que la langue à elle-seule, que le réel à lui-seul, que le propos figuratif à lui-seul… ne sauraient traduire. Quelque chose d’impressionniste donc, en ce sens que le film procède par touches d’impressions, et par couches, presque totémiques tant les signes travaillés par le film sont simples, parlants, évidents.
Il y a leur couleur aussi : vives, contrastées dans le noir de cette nuit qui n’a pas lieu, définitivement profondes. Il y a là un mot que j’utilise à dessein, parce que j’y ai littéralement plongé dans ce film, dans une « conversation / voyage » avec mes propres tumultes et mes propres révélations. Ces couleurs hypnotisent autant qu’elles ouvrent un champ inconnu de vision et de matières : un cœur rouge qui bat et se fait planète, des vaisseaux jaunes qui battent de ce cœur rouge, le sang qui monte à la tête et dans tout le corps, un cerveau qui se reforme vert d’une rage difforme… des visions qui se détachent et tentent de prendre à la nuit tout ce que la nuit elle-même leur prend.
Je ne résiste pas, comme de bien entendu de chercher des similitudes ailleurs, comme une dédicace :
Half moon, nighttime sky / Seven stars, heaven’s eyes /Seven songs on seven seas
Just to bring all your sweet love home to me
Janis Joplin
Merci Janis de recueillir les mot de ces maux, merci Janis de leur donner corps.
Bien à toi, avec toute mon amitié
Franck Vialle, directeur de Films en Bretagne
LE FILMS
Nuits Blanches
Un court métrage d’animation documentaire de Janis Aussel
2023 – 10 min – produit par JPL Films
Des nuits sans sommeil. Des sensations, des émotions qu’on ne comprend pas. La quête de sens, l’espoir d’un repos qui ne vient pas. Celles et ceux qui souffrent de troubles du sommeil nous confient leurs questionnements et leur fatigue, l’acharnement pour comprendre, parfois en vain, ce corps qui ne dort pas.
scénario et réalisation : Janis Aussel • avec les voix de Amélie, Loïc, Robin, Alice, Inès, Corinne, Mathieu, Catherine, Cécile et Marc • musique originale : Olivier Mellano • fabrication : Janis Aussel, Hugues Brière, Daniella Schnitzer et Anna Vincensini • animation : Janis Aussel, Gilles Coirier, Daniella Schnitzer, Anna Vincensini et Souad Wedell • lumière : Damien Buquen, Fabien Drouet et Quentin Lemouland • compositing : Janis Aussel et Anna Vincensini • montage : Jean-Marie Le Rest / Lucile Aussel • étalonnage : Pierre Bouchon • mixage : Henry Puisillout • production JPL films / Jean-François Bigot et Camille Raulo • avec la participation du CNC (Aide au programme et Aide complémentaire à la musique originale), de la Région Bretagne et de la Procirep / Angoa
Ce film a bénéficié de la résidence post études Ciclic – La Poudrière