Quand l’animation sert le documentaire…


Ce vendredi 5 juillet est diffusé sur France 3, dans l’émission Docs Interdits, « L’affaire des missiles Exocet, Malouines 1982 ». Un film d’investigation de Olivier L. Brunet, coproduit par Antoine Martin Production, à Rouen, et Vivement Lundi ! à Rennes. Le numéro deux d’une série intitulée « Etranges Affaires », inaugurée l’année dernière par celle des « Vedettes de Cherbourg », du même auteur. L’une de ses originalités : traiter d’une véritable enquête historique en y injectant des séquences d’animation. A la fois pour pallier le manque d’archives, mais aussi pour proposer une forme renouvelée du récit. Alors que le prochain Doc’ Ouest explorera cette tendance nouvelle du documentaire, entretien avec Jean-François Le Corre, producteur rennais du film.

– Comment est née la série Etranges Affaires ?

– Jean-François Le Corre : Elle a été initiée par nos deux sociétés et France 3 Nord Ouest, puis a évolué vers une de ces quelques séries régionales, qui s’appuient aussi sur le financement de l’unité documentaire de France 3 National. L’idée de départ, c’est de raconter ces histoires inédites, à la fois ancrées en région, mais qui ont des implications nationales et internationales. Des affaires liées aux ventes d’armes, aux espions. Des zones grises de l’Histoire de la République, des affaires méconnues, pour lesquelles il y a des témoins, mais peu ou pas d’images !

– Comment est venue l’idée d’y intégrer entre 6 à 8 mn de séquences en dessin animé ?

– Parce que cela nous permettait de raconter des faits pour lesquels nous n’avions pas d’images, mais pas uniquement. J’ai travaillé sur une collection, L’Histoire par la Bande, dans laquelle j’ai découvert une nouvelle génération d’auteurs de BD, comme un Etienne Davodeau en France, ou un Joe Sacco aux USA, qui travaille dans cette veine documentaire, ou de récit journalistique incarné. Des auteurs qui savent, par le dessin, restituer l’histoire contemporaine aux plus jeunes. Je me suis dit : pourquoi pas nous aussi, à la télévision ? D’autant que les études montrent un vieillissement du public du documentaire historique. Il est important de trouver de nouvelles formes de médiation, de rajeunir l’écriture. Surtout que par essence, les témoins interrogés sont eux-mêmes le plus souvent plutôt âgés. Il fallait trouver quelque chose, pour envoyer le message à un public plus large. Cela a été un ping-pong, une réflexion à deux avec Antoine Martin, mon homologue normand avec qui on partage à parité cette coproduction.
– Comment sont arrivés les personnages des deux enquêteurs ?
– Sasha, la jeune enquêtrice interprétée par la comédienne Ina Mihalache, est de cette génération 2.0. Elle maîtrise les outils graphiques et du net, elle est un personnage hybride : entre un dessinateur de BD, telle un Joe Sacco au féminin qui dessine en interviewant, et un de ces jeunes journalistes du web, qui sortent de vraies affaires, comme ceux de Mediapart. Mais très vite, on a senti le besoin de lui donner un partenaire de jeu, un mentor, et on a tout de suite pensé à Patrick Pesnot. On a été marqués par Rendez-vous avec X (une émission de France Inter sur les histoires d’espionnage, ndlr), qui nous a inspiré pour l’écriture du film ! Surtout par cette manière d’utiliser le conditionnel pour énoncer des hypothèses, un conditionnel qui parfois s’avère très proche de la réalité.

– Ce duo fait penser à celui de la série Manipulations de 2011, sur France 5, qui montre également un enquêteur avec plus de bouteille, Pierre Péan, et une jeune journaliste enquêtrice, Vanessa Ratignier ?

– Nous avons eu cette idée, et nous l’avions écrite avant de la découvrir dans Manipulations… quand une idée est dans l’air, on est souvent nombreux à l’avoir en même temps ! Cela va dans le même sens de recherche de nouvelles écritures, d’un rajeunissement des formes. Les besoins, les attentes sont les mêmes pour tout le monde !

– Quel bilan avez-vous tiré du premier numéro, celui sur l’affaire des Vedettes de Cherbourg ?

– Le bilan était positif à 80%. Nous avions quelques témoins clés, de la documentation : on savait comment était configuré le port de Cherbourg à cette époque, nous avions les plans des vedettes, mais peu de références visuelles sur l’exfiltration des bateaux par les Israéliens. Le film nous a semblé convaincant sur l’enquête, l’animation. Olivier Brunet a trouvé une manière fluide de monter des matériaux hétérogènes et il a réussi à raconter l’histoire des vedettes de Cherbourg dans le détail. L’incarnation de notre tandem d’enquêteur nous a paru perfectible : ils étaient trop statiques dans le pilote, ils ne vivaient pas assez l’enquête. Nous avons accentué cet aspect dans le deuxième numéro.

– Croyez-vous en l’avenir de l’animation au service du documentaire ?

– Oui, vraiment, nous avons d’autres projets en ce sens. Nous participons en tant que studio d’animation à une série documentaire de 4 fois 52 minutes, produite par la Cie des Phares et Balises et Arte, intitulée Juifs et Musulmans, si loin, si proches. Elle est en cours de finitions. Nous avons d’autres contacts en ce sens pour un 90 mn. Je reviens du Sunny Side de la Rochelle, et là-bas j’en ai beaucoup entendu parler ! C’est une tendance lourde, pour le film historique ou scientifique. Les gens ont de moins en moins ce réflexe de dire que le dessin animé est réservé au public jeunesse. Et puis la reconstitution historique fictionnée, avec des acteurs, a tendance à s’épuiser.

– Est-ce moins cher de faire de l’animation animée, par rapport à une reconstitution historique fictionnée?

– Pas forcément, la gestion des moyens de fabrication est différente. La liberté me semble plus grande : il n’y a pas de limite en termes de décors, de figuration. Mais ce n’est pas si facile de faire dialoguer deux mondes qui n’ont pas l’habitude de se parler : le monde de l’animation et celui du documentaire. Ces mondes ont des processus de travail souvent opposés : en doc on crée beaucoup au montage, en animation pas du tout. Tout s’écrit à l’avance, à la seconde près. C’est le story board qui dirige tout le montage. Mais je trouve cette contrainte intéressante pour le doc historique, qui gagne à être plus écrit en amont. Pour certains récits, si on n’écrit pas précisément les choses, en faisant trop confiance aux témoins ou aux archives susceptibles d’émerger en cours de tournage, on risque de se perdre !

– Est-ce qu’il y aura un numéro trois à cette série Etranges Affaires ?

– Nous en parlons avec France 3… c’est un peu suspendu à l’audience de vendredi soir prochain. Je suis confiant, car la presse est plutôt très positive !

Propos recueillis par Brigitte Chevet
Diffusion le 5 juillet sur France 3 National, en deuxième partie de soirée. Télévision de rattrapage sur Pluzz.fr