Un phénomène ne vous a sans doute pas échappé : l’émergence de courts ou moyens métrages diffusés au cinéma, au même titre que des longs-métrages. Des spectateurs ont pu ainsi découvrir en salle Le Marin masqué de Sophie Letourneur, Le naufragé et Un monde sans femmes de Guillaume Brac et, récemment, Je sens le beat qui monte en moi de Yann Le Quellec. Après avoir été diffusé à Brest, pendant le festival du court, il vient de recevoir le Grand Prix et le Prix de la Jeunesse à Vendôme. Derrière ce jeune réalisateur d’origine bretonne se cache un parcours professionnel riche et surprenant. Parti de Rennes après le lycée, Yann fait des piges aux Cahiers du cinéma, en parallèle de ses études à HEC à Paris. Suivront 5 ans en Asie, une collaboration avec Wild Bunch, la création d’une SOFICA, Cinémage, et celle d’une société de production, White Light films. Yann trouve également le temps d’enseigner à la FEMIS, de co-signer une BD, Love is in the air guitare, et d’écrire ses premiers scénarios. Premier film réjouissant de 32 mn, Je sens le beat qui monte en moi est à l’image de son parcours : foisonnant, décalé et sacrément maîtrisé. Nous l’avons rencontré.
– Je sens le beat qui monte en moi retrace la rencontre entre Rosalba, jeune guide touristique au corps irrésistiblement contrôlé par la musique, et son collègue Alain, fan absolu de soul music. D’où est né ce projet un peu dingue ?
– Yann Le Quellec: Le projet est né d’une collision entre deux choses. Habitant Paris, je prends le métro chaque jour. Je passe par la station République, et j’ai le cauchemar d’entendre la flûte de Pan, que je déteste absolument. Pourtant, je vois toujours des gens danser dessus, et forcément, je me dis que soit j’ai un problème, soit c’est plus fort qu’eux, leur corps répond à la musique. C’est comme ça que j’ai imaginé un personnage qui aurait des pulsions incontrôlables à chaque fois qu’il entendrait une mélodie. Le jour même où germait cette idée, je suis allé voir un spectacle de danse. Sur scène, j’ai été très touché par une danseuse que je ne connaissais pas. C’était Rosalba Torres Guerrero. Il y avait quelque chose de « tatiesque » en elle et, en même temps, on la croyait échappée d’un film de Vincente Minelli. Je l’ai contactée et, contre toute attente, elle a accepté de participer au projet, pourtant au stade embryonnaire.
– Drôle de format pour un premier film à la lisière entre le court et le moyen-métrage, est-ce volontaire ?
– Y.L.Q.: Il est vrai que la frontière est assez floue entre le court et le moyen-métrage. Habituellement, la première raison qui guide la durée d’un film est bien souvent une raison économique, car il est plus cher de produire un court-métrage long. La seconde est que la plupart des festivals de courts-métrages ne prennent pas de films au-delà de 30 minutes. La troisième est qu’il n’y a pas de cases adaptées, ou très peu, pour être diffusé sur les chaînes de télévision. Je sens le beat qui monte en moi dure 32 minutes. Par conséquent, non seulement ce format complique le financement mais il en demande davantage. En l’occurrence, je suis allé au bout du montage qui me plaisait, sans me poser la question de la durée. Paradoxalement, au final, c’est sans doute ce qui a permis par la suite son exploitation en salle. Actuellement, le film est diffusé dans une dizaine de salles en province (Pau, Lyon, etc.), mais malheureusement pas encore en Bretagne. C’est donc une production hybride en terme de durée, à l’image d’autres courts-métrages diffusés en salle récemment.
– Même si vous semblez bien placé en tant que producteur, comment finance-t-on un projet hors-norme comme le vôtre ?
– Y.L.Q.: Je n’étais finalement pas si bien placé. Je me suis rendu compte que les interlocuteurs du court-métrage sont totalement différents de ceux du long-métrage. Très bizarrement, alors que je connais bien le réseau du long-métrage, personne ne me reconnaissait au téléphone lorsque je les contactais pour le projet. Il faut dire qu’à priori un producteur qui devient réalisateur n’est pas légitime. Concernant le parcours du film, toutes les chaînes ont refusé de s’engager au départ. Heureusement, nous avons obtenu la contribution financière du CNC. Même si j’avais sollicité la Bretagne avec l’envie de tourner ce film à Rennes, c’est la Région Poitou-Charente qui a répondu positivement au scénario. Le tournage s’est donc fait à Poitiers et la ville m’a beaucoup plu.
L’exploitation du film a été hétérodoxe. À l’avant-première, il y avait des responsables de la distribution de MK2. Ils ont tout de suite proposé de le diffuser en salle à Paris, au MK2 Beaubourg, avant même qu’il ne passe en festival, ce qui est le circuit habituel. Ce coup de projecteur a déclenché une très bonne presse dans Le Monde, Libération, Le Canard Enchaîné, etc., ce qui est plutôt rare pour un court-métrage. Le film a ensuite été sélectionné en festival, dont le Festival du Film de Locarno. Canal +, Ciné+ et TV5 Monde qui l’avaient d’abord refusé l’ont finalement acheté.
– Vous êtes rentré dans la production de votre film, pour quelle raison ?
– Y.L.Q.: Globalement, je pense qu’entrer dans la production de son propre film est un conseil à ne pas suivre. Je l’ai pourtant fait et cela s’est bien passé. Tellement bien, que je l’ai refait pour mon deuxième film. Toutefois, il est très difficile de rêver son film, de toujours en demander davantage de la main gauche, et d’être en posture de dire qu’il n’y a pas d’argent pour le faire de la main droite. Assembler les deux pôles peut rapidement devenir anxiogène. C’est aussi pour cela que j’ai structuré une co-production avec d’excellents producteurs, Sonia Voss de Kinoko Film, et Vincent Tavier et Philippe Kauffmann de La Parti, afin de m’entourer d’interlocuteurs qui ne soient pas complaisants. Je pense qu’il est dangereux d’avoir tous les leviers, et de se passer du regard des autres.
– Avez-vous des conseils pour les jeunes auteurs réalisateurs qui souhaiteraient se lancer dans de la fiction ?
– Y.L.Q.: Je ne me sens pas vraiment légitime pour donner des conseils, étant moi-même jeune auteur. Toutefois, ce qui est sûr, c’est qu’au fur à mesure du processus, toutes les raisons possibles sont données pour ne pas faire le film. Tout est compliqué, il faut trouver de l’argent ( il n’y en a jamais assez ! ), convaincre un grand nombre d’interlocuteurs aux avis souvent contradictoires, etc. En l’espèce, j’ai réalisé un film burlesque et musical avec des acteurs inconnus. C’est précisément ce qui m’excitait. Le fait que cela ne rentre pas dans les schémas habituels de production, de casting, etc. n’a jamais été un souci pour moi. Seulement, surtout pour un premier film, on nous ramène souvent à la manière dont il faut faire les choses. En l’occurrence, je ne les ai pas faites comme je devais les faire mais comme j’en avais envie. Du coup, je n’ai pas fait de concession. Je n’ai pas transigé sur ce qui formait mon désir de départ. Par contre, j’ai essayé d’écouter en route les conseils de gens plus avisés. Par exemple, après que tous les arguments m’ont été donnés pour justifier le fait qu’il n’y ait aucune chaîne intéressée, elles l’ont acheté une fois terminé. Je crois que ce qui les a séduites, c’est que le film a un ton à part, ce qui pour moi justifie a posteriori de ne pas avoir fait de concession. C’est précisément sa singularité qui a permis au film d’être vu et diffusé.
– Pouvez-vous nous parler du tournage de votre nouveau film qui vient de se terminer ?
– Y.L.Q.: En deux mots, c’est un film burlesque et mélancolique. Le quepa sur la vilni ( « panique sur la ville » dans le désordre…) raconte l’histoire d’hommes-sandwich, à vélo dans des villages perdus des Corbières, qui a pour mission d’attirer les spectateurs au cinéma local. Le film met en scène une joyeuse bande de comédiens avec, entre autres : Bernard Menez, le chanteur Christophe qui fait ses débuts comme acteur, et Bernard Hinault, qui a accepté de quitter momentanément sa Bretagne natale pour ce tournage.
– Faire un second film est-il plus facile ?
– Y.L.Q.: En terme de production, les portes se sont ouvertes plus facilement. Après Je sens le beat qui monte en moi, Canal + a voulu préacheter le suivant. Encore une fois, nous avons pu nous appuyer sur des régions très impliquées : Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon, ainsi que le COSIP. Le montage financier s’est donc fait assez rapidement. En outre, la majorité de l’équipe technique est semblable à celle de mon premier film. Cet atout a facilité un tournage complexe car, étant dans des endroits très reculés, il fallait tout amener avec nous.
– Vous êtes parti de Rennes très tôt pour Paris, est-ce que vous vous imagineriez travailler en Région ?
– Y.L.Q.: C’est une question intéressante, que je me suis vraiment posée, et que je me pose encore au quotidien. Pour être clair, en ce qui concerne la Sofica, c’est triste à dire mais c’est très difficile de travailler ailleurs qu’à Paris. Sur les financements, la production et les acteurs du financement restent très centralisées. Après, en Bretagne, vous avez des exemples de sociétés de production, Vivement Lundi par exemple, qui prouvent qu’il est possible de réussir. Personnellement, je suis resté très proche de la Région. Je fais d’ailleurs partie des comités de sélection de long-métrage et du nouveau fonds récemment créé. Par ailleurs, via la Sofica Cinémage que je dirige, nous avons co-financé à ce jour 160 longs-métrages et je réfléchis à la création d’outils financiers, des fonds TEPA notamment, qui pourraient s’adresser plus directement aux films produits ou tournés en Bretagne.
– Si je vous pose cette question, c’est parce que les professionnels bretons se battent pour imaginer une décentralisation au profit des Régions, qu’en pensez-vous ?
– Y.L.Q.: Cette question appelle à se demander ce que l’on entend par le développement de la filière cinématographique bretonne. Est ce que cela veut dire produire des films qui promeuvent la culture bretonne, au risque de connaître une carrière principalement régionale, ou des films produits en Bretagne qui se tournent vers le national, voire l’international ? Prenons l’exemple du premier long-métrage produit entièrement en Région: Les lendemains de Bénédicte Pagnot, produit par Mille et Une films. Il faut bien sûr se féliciter de l’existence de ce film, qui témoigne des ambitions et des qualités du producteur et des auteurs. Mais on peut aussi regretter qu’il n’ait pas été soutenu par Canal +, ni aucune autre chaîne nationale. Et n’ait bénéficié de davantage de moyens financiers, pour lui assurer une plus grande visibilité nationale à sa sortie. D’autre part, j’ai le sentiment que la Région pourrait attirer plus de tournages. En tout cas, la Bretagne reste une région insuffisamment connue comme partenaire financier éventuel. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, cela est directement lié au montant des subventions. Pourquoi Ile de France, le CRAAV ou la Région Rhône-Alpes attirent-elles autant de tournages ? Parce que ce sont celles qui investissent le plus dans le cinéma. J’ai le sentiment que jouer sur la fibre bretonne et le réseau breton est assez déterminant, parce que le cinéma fonctionne énormément par réseau. Et que la Bretagne a énormément d’atouts à faire valoir, tant du point de vue des compétences techniques, de sa richesse artistique que de ses paysages. Il y a donc une réflexion à mener en terme de synergie et de compétences entre des réalisateurs, des producteurs et des distributeurs en partenariat avec la Région. Qu’ils soient en Bretagne, à Paris ou ailleurs, Bretons du cinéma unissez-vous !
Propos recueillis par Lauriane Lagarde