Mercredi 10 novembre 2010, dans le cadre du 25e Festival européen du film court de Brest, Images et réseaux, qui fête ses cinq ans, présentait le projet « Il était une fois 5 ». Retour – en pointillés – sur le programme de l’après-midi.
Mercredi 10 novembre 2010, dans le cadre du 25e Festival européen du film court de Brest, Images et réseaux, qui fête ses cinq ans, présentait le projet « Il était une fois 5 ». En soirée, 4 courts métrages (« une même histoire traitée en 2D, 3D relief, images 3D de synthèse et format mobile ») et un « web dock » (« document, proche du web documentaire, chargé d’expérimenter une forme inédite de narration et de conserver une trace du projet ») seront dévoilés au public pour répondre à la question clé du dispositif : « la technologie influence-t-elle l’histoire que l’on raconte, peut-elle alimenter le processus de narration ? »
Au préalable, les candidats inscrits via le site web dédié www.1fois5.com sont invités à converger à l’étage du Quartz pour un après-midi où « dialogueront technologies et contenus » sur le thème « Le futur de l’image : quel impact sur le film court ? »
Au programme : la 3D relief – avec un état de l’art, un focus économique et un point sur « l’acceptabilité par les consommateurs », une définition de la Réalité virtuelle, une démo Autostéréoscopie, la présentation de deux projets collaboratifs menés par Images et réseaux et une table ronde « Le court est-il vraiment un espace d’innovation pour l’image ? »
Retour – en pointillés – sur un après-midi multi-facettes, très dense mais instructif.
Clin d’oeil…
13h45 : alors que les participants investissent tranquillement la salle, sur son pupitre en plexi, un portable annonce l’incontournable rafale de slides à venir. La lecture récente des propos de Franck Frommer recueillis par Pascale Krémer dans Le Monde (« PowerPoint, c’est du cinéma », article publié le 17.10.10) nous met dans une posture critique. Il faut tenter illico d’oublier l’argumentaire diapophobe qui augurait le déclin du tout puissant logiciel et se rendre à l’évidence : nul n’est encore prêt. C’est trop tôt. Le rituel est ancré, la méthode universelle. Le slide, c’est toute une culture. Il faut donc bien s’en accommoder. C’est ce que chacun tente : un oeil sur le conférencier, l’autre sur l’écran, l’immersion 3D peut commencer.
Matériel, nouveaux métiers, diffusion, potentiel artistique…
C’est Thierry Barbier, producteur (Studio Amak) et ingénieur de formation qui fait l’inventaire. De son point de vue – lui qui pratique la 3D depuis 93 en produisant des films de commande pour les musées notamment -, « l’évolution du matériel et des possibilités s’est accélérée de façon fort réjouissante depuis que le long métrage s’est emparé de la technologie ». Pour autant, en passant du mode artisan où chacun « bricolait » matériel à sa mesure à l’ère industrielle où nous sommes, les outils ne sont devenus faciles ni d’accès (en régions notamment) ni d’usage. Pas très répandus, pas très fonctionnels, ils conservent en outre des défauts intrinsèques comme la disparité systématique des optiques associés qui compliquent la prise de vue.
Thierry Barbier met aussi en garde, fustigeant le filon 3D et sa tendance mercantile. On aurait tendance en effet, pour occuper un marché prometteur, à vendre du matériel peu performant voire superflu quand – c’est le cas pour le montage – « les outils traditionnels sont généralement suffisants ».
Au tour des « nouveaux métiers » induits sont cités le stéréographe : « un professionnel généralement issu de l’image et garant sur un tournage de la faisabilité relief » et l’assistant opérateur « pointeur relief », responsable pour sa part des réglages de l’inter-axial.
Les formations dédiées, initiales ou continues, sont quant à elles aujourd’hui accessibles un peu partout sur le territoire.
Vient le chapitre diffusion et le tableau se trouble encore. Un conseil à retenir : « bien choisir sa salle ». En gros : petite salle, petit écran : petit relief, et donc faible sensation immersive. On nous dira aussi, plus tard, que les écrans dédiés ne sont finalement pas adaptés et que l’écartement des rangées est fréquemment rédhibitoire pour une perception correcte des effets.
La création n’est pas ici plus à son aise. Peu de salles étant à ce jour aux normes 3D, les productions sont contraintes à des concessions formelles pour faire des films « notamment 3D » mais en premier lieu « passe-partout ». À ce stade de son exploitation, la 3D relief resterait ainsi « un simple ingrédient technique alors qu’elle implique une nouvelle grammaire » (et impose notamment un montage beaucoup plus lent). Ce n’est pas tout, le spectateur lui aussi en rajoute… Et disposant d’un potentiel convergence/accommodation rapidement épuisé impose une certaine parcimonie dans les effets
En résumé, bien que la technologie ait presque 20 ans, elle reste très largement perfectible. Avec du matériel en rodage, rare et cher, des salles pas vraiment prêtes, la 3D n’aurait pas encore tous les moyens de ses ambitions. Ce qui lui manquerait le plus nettement « ce sont ses auteurs ». Alors en effet qu’on nous annonce un potentiel insondable, la plupart des films qui sortent aujourd’hui en 3D ne sont pas des inédits inspirés par la technologie mais d’anciens blockbusters, remasterisés.
Diffusion et marché : quelles perspectives ?
Le sujet est confié à Xavier Bonjour « Innovation Development Director, Technicolor ».
Au cinéma, la 3D est arrivée par l’animation. Aux Etats-Unis, Chicken little ayant permis une phase de test, les investissements ont aussitôt suivi au profit de l’équipement des salles mais aussi des contenus. Ainsi la production 3D représenterait aujourd’hui 4% des films, mais générerait 20% des revenus d’Hollywood (avec un ticket vendu 40 à 50 % plus cher qu’un titre traditionnel) ; un film 3D entraînant en moyenne 10 millions d’entrées contre 4 millions d’ordinaire. Néanmoins, force est de constater que la production de contenus ne progresse pas. Pour l’expliquer Xavier Bonjour identifie trois facteurs déterminants : un réseau de diffusion restreint avec l’équipement des salles en stagnation ; la carence de professionnels compétents sur le marché et, pour finir, le coût de production.
Certains genres ont cependant la 3D en ligne de mire et s’y adonnent plus volontiers : l’animation, on l’a dit, les films d’horreur, on s’en doute, et les films d’action. What else ? Le genre auquel tout le monde pense est d’abord timidement passé sous silence, mais l’auditoire perspicace aura complété de lui-même sachant notamment que depuis son entreprise réussie de financement par la foule, Marc Dorcel, précurseur, a mis « le paquet » sur la 3D…
Et le home 3D, c’est pour quand ? Faire entrer massivement la 3D dans nos foyers, l’industrie s’y prépare évidemment. Il serait même probable que les écrans compatibles soient bientôt légion : parce que les nouvelles technologies connaissent actuellement un taux de pénétration de 5 ans, nous dit-t-on, et comme le coût de fabrication est ici faiblement supérieur qu’on soit en 2 ou en 3D (20 à 30% de plus), il y a fort à parier que la relégation de l’écran « plat » sera rapide. Pour autant toute la télé – c’est-à-dire les programmes – ne deviendra pas 3D. Le jeu, les blockbusters et les sports, puis après eux – sans doute – les talk-shows et les news se partageront la mention ; le jeu étant pressenti comme l’argument décisif en faveur de l’achat d’un poste 3D. Pèsera aussi la possibilité prochaine de s’équiper à coût modique de caméscopes et appareils photos 3D compatibles avec ces écrans domestiques. Restera alors à choisir entre version autostereoscopic ou non (lunettes ou pas). À moins d’opter carrément pour les lunettes vidéo (elles aussi héritées du jeu).
Pour conclure, Xavier Bonjour répète qu’avant d’envahir le marché la 3D doit pallier quelques désagréments : maux de tête, hygiène douteuse (les lunettes qu’on se refile)… Mais rappelle l’argument ultime en faveur de la 3D : l’aspect ludique et la dimension immersive.
Gare au « shobo shobo » !
Ce qu’on nous a annoncé des déboires physiologiques auxquels s’attendre à tenter de voir double sur un écran mal proportionné, le spécialiste ès optique vient nous le confirmer. Jean-Louis de Bougrenet de la Tocnaye, Responsable de l’Observatoire de l’Acceptabilité 3-D Fovéa, nous détaille, coupes oculo-cérébrales à l’appui, les mécanismes physiologiques et psychologiques à l’oeuvre dans la perception 3D. Le gros souci, c’est que trop ou mal utilisée (cas fréquents, voire majoritaires) la 3D ça peut faire très mal à la tête. Les japonais l’ont – comme d’hab – expérimenté avant nous : ils appellent ça le « shobo shobo ».
Qu’à cela ne tienne, pour Jean-Louis de Bougrenet, le défi à relever pour améliorer la technologie et lui faire tenir ses promesses semble un fabuleux leitmotiv.
Réalité virtuelle
Quand Bruno Arnaldi (membre du projet Bunraku, IRISA / Centre INRIA Bretagne Atlantique) arrive au pupitre, il nous entreprend sans préambule au « schéma triadique ». Des participants qui jusque-là s’étaient accrochés quittent la salle, leur « shobo shobo » sous le bras. Pour le gros des troupes, qui tient bon, la définition de la réalité virtuelle (que Bruno Arnaldi a participé a énoncé dans Le traité de la réalité virtuelle) situe le problème. La réalité virtuelle c’est : « un domaine scientifique et technique exploitant l’informatique et des interfaces comportementales en vue de simuler dans un monde virtuel le comportement d’entités, qui sont en interaction en temps réel entre elles et avec un ou des utilisateurs en immersion pseudo-naturelle par l’intermédiaire de canaux sensori-moteurs ». Grosso modo, on voit de quoi il retourne, mais il va nous falloir un peu de temps quand même… Attention, Bruno Arnaldi y tient, on est ici dans la vraie 3D (par opposition à la 3D « relief » auparavant), la seule réellement immersive.
Tout empêtrés à démêler les concepts exposés en introduction, c’est l’assertion finale que nous retiendrons le plus volontiers, celle qui fait mouche parmi l’auditoire et nous est encore intellectuellement accessible : « il faut augmenter la surface de contact entre art et science ».
Autostereoscopic et rennais
On nous l’avait promis comme une récréation pour nos cerveaux échauffés. À la pause on ira voir par petits groupes, dans la salle d’à côté, ce que donne le procédé développé par Artefacto, spécialiste de l’image 3D basé à Rennes. Il s’agit d’un procédé fraîchement expérimenté lors du tournage à Ménéham de La Terre des Païens (long-métrage accompagné par le Groupe Ouest et par ailleurs premier tournage de fiction en 3D relief en Bretagne). Et précisément : « d’un système de capture avec huit caméras synchronisées et des algorythmes qui permettent d’afficher les images en temps réel ». En diffusion, nous sommes en mode autostereoscopic (sans lunettes). Le rendu est plus ou moins saisissant selon les images, le dispositif est perceptible avec des plans parfois clairement distincts les uns des autres, ce n’est donc pas encore très « immersif » mais en tout cas c’est ludique, c’est sûr et on comprend aisément l’engouement que provoque ce défi parmi les ingénieurs et les techniciens.
« Le court est-il vraiment un espace d’innovation pour l’image ? »
Après la présentation des deux projets collaboratifs associant technologie et contenu : Rev-TV et Rustica1, c’est avec cette question que ce concluront les « Rencontres techno ». Pour y répondre : Sébastien Loghman, réalisateur et diplômé du Fresnoy, Christophe Cluzel, chef de produit Transmedia à Orange Vallée, Dominique Hannedouche, directeur d’antenne à TV Rennes 35, Philippe Coquillaud, délégué général du Festival Européen du Film Court de Brest et Benoît Labourdette, coordonnateur général du Pocket Films festival.
Il ressort du tour de table que oui, bien sur, le court est et restera vraisemblablement un espace d’innovation. On retiendra l’argument économique qui fait qu’au cinéma, on réduit volontiers la prise de risque en expérimentant sur du court. Le format est donc en quelque sorte un terrain naturel pour l’innovation, accueillant logiquement la jeune génération des auteurs et le renouveau formel qu’elle peut porter avec elle.
Donc, créatif et innovant certainement, mais avec une économie généralement low cost c’est souvent bien loin des technologies les plus lourdes que s’illustre le court-métrage. À observer les pratiques on verra que le créateur se fabrique souvent ses propres outils. En détournant, en s’appropriant les technologies et les applications disponibles, c’est là qu’il est le plus inventif. L’émergence et la renommée du Pocket film festival, qui programme des films tournés avec des téléphones portables, en est la meilleure démonstration. Et le numérique a comme jamais auparavant multiplié les possibilités. En réduisant les coûts, en démocratisant les outils de production, il a ouvert à l’audiovisuel et au multimédia un terrain d’investigation quasi infini.
Côté diffusion, les nouvelles technologies ont bien sûr également multiplié les opportunités. Parallèlement elles ont généré de nouvelles attentes chez les spectateurs, attentes que se tiennent prêts à combler, en même temps qu’à entretenir, médias et diffuseurs (oeuvres ouvertes façon web collaboratif, transmédia…). Le mot d’ordre pour atteindre sa cible : renouvellement rapide, contenus ludiques, et innovants !
En devenant le produit à consommer partout et sans cesse qu’elle est devenue grâce aux nouvelles technologies, l’image animée et notamment le format court, idéalement calibré, resteront sans doute un espace d’innovation. Espérons qu’ils soient toujours, aussi, un espace de création.
1Films en Bretagne a consacré un article à cette expérience dans sa publication Photographie de l’activité audiovisuelle et cinématographique en Bretagne : Un nouveau partenaire · le pôle Images & Réseaux
par Anne Luart, productrice à Spirale Production, et Clode Hingant, réalisateur (télécharger la publication).