Membre de l’organisation du Festival du film britannique de Dinard depuis sa création, Hussam Hindi a quitté ses fonctions de directeur artistique au terme de la trentième édition de l’événement, fin septembre 2019. Rencontre avec un amoureux du cinéma, pionnier de la diffusion culturelle en Bretagne.
De but en blanc, et comme un préalable à l’entretien qui va suivre, Hussam Hindi l’affirme : il va bien. Blues, deuil, vertige ? Non, vraiment, rien de tout cela pour le moment. Ça l’étonne, confie-t-il, mais il se trouve plutôt serein pour quelqu’un qui vient de couper court à trente années de destin commun. C’est que, dans cette relation outre Manche, le cinéphile ne trouvait plus tout à fait son compte.
« A Dinard, je suis arrivé dès le début, contacté quelques mois après Travelling Londres, en 1990 » (Hussam Hindi est parmi les fondateurs du festival de cinéma rennais, créé en 1990). « Pendant 12 ans, j’ai travaillé à la fois sur Travelling et le festival de Dinard. Puis j’ai quitté Travelling pour avoir du temps pour ma fille et j’ai gagné 5 mois de vie par an pour l’élever ! En 1996, à Dinard, j’ai remplacé le premier directeur artistique. A cette époque, les années 90, juste après le départ de Thatcher, le cinéma anglais était en pleine renaissance, avec Ken Loach, Stephen Frears, Mike Leigh… Le festival a explosé grâce à cette veine de grands réalisateurs de comédies sociales. » Et poursuivant sur l’évolution d’un cinéma qu’il a tant exploré : « Dès les années 2000, on s’est aperçu que ce courant, déjà, s’épuisait, comme si les auteurs avaient tout dit. Le social est resté mais il est apparu plus coloré, plus grand public. Sont arrivés de jeunes cinéastes qui voulaient faire autre chose que ce que faisaient leurs aînés. Après cela, il y a encore ce que je peux décrire comme une troisième période. Elle court depuis 8 ou 10 ans et, avec elle, le film de genre : thrillers, films en costumes. Ce cinéma là s’efforce d’être vendable aux Etats-Unis. Les jeunes metteurs en scène veulent aujourd’hui faire comme Nolan, se faire happer par les Américains. » En retour, « les Américains investissent Londres et ses studios ».
Dans ce nouveau paysage qu’il décrit, Hussam Hindi voit de moins en moins sa place, d’autant que son travail de programmation est devenu beaucoup plus compliqué. Il y a les perspectives du « Brexit » qui vont potentiellement alourdir les formalités d’accueil des œuvres et des invités. Il y a aussi la compétition qui s’instaure entre les festivals et qui rend « très difficile d’obtenir certains films ». « Venise, Toronto se tiennent avant Dinard, ils sont donc prioritaires. On doit attendre, parfois très tard, pour savoir si le film peut être programmé chez nous. » En parallèle, il y a la stratégie des distributeurs qui veulent « attendre les grands festivals, comme Berlin et réservent leur avant-première ; cette année, j’ai perdu 2 films majeurs comme ça ». Ajoutez à cela « les plateformes, ça devient vraiment gênant », ou encore « le métier de sales agent qui nous a aussi fait beaucoup de mal. Ces marchands se placent entre la production et le distributeur et n’ont pas d’intérêt à laisser les films aux festivals tant qu’ils ne sont pas vendus. »
Ce paramètre « business » pesant de plus en plus contre ses choix artistiques, Hussam Hindi a donc estimé que le temps était pour lui venu de tourner la page. « Aujourd’hui les municipales approchent, avec peut-être une nouvelle équipe, une nouvelle politique. Je leur dis : allez-y, inventez, créez autre chose ! » Lui, en 30 ans, a eu sa part, une belle part même, et le bilan qu’il tire de l’aventure n’est pas amer. « Enormément de rencontres, côté britannique, des gens exceptionnels. On les a pratiquement tous eus : les réalisateurs comme les comédiens. Avec l’équipe, on partage aussi cette énorme satisfaction d’avoir construit une certaine cinéphilie à Dinard et autour. Le festival c’est 30 000 entrées par an, des gens qui reviennent et même se battent pour revenir. J’ai l’impression de les connaître tous. Les messages, les témoignages d’amitié, voire de tristesse quand j’ai annoncé mon départ, c’était incroyable. Je n’avais jamais vécu ça. Et au fond, c’est cela qui m’importe, la rencontre avec le public. On leur présentait des oeuvres parfois difficiles mais c’était des cinéphiles, ils venaient voir des films, pas des stars. Bizarrement, c’est une des raisons pour lesquelles je me suis un peu fatigué. Un directeur artistique doit faire plaisir au public, mais aussi à la presse, aux élus, aux partenaires et à soi-même. C’est compliqué, voire impossible. »
Moins tiraillé désormais, Hussam Hindi s’affaire aujourd’hui à ce qui l’occupait d’habitude à la même saison. « C’est à partir de mai, peut-être, qu’il faudra remplir le vide. Pour l’instant, j’assure mes cours (Hussam est chargé de cours à l’Université Rennes 2 et enseigne également à l’Esra), je fais aussi des conférences sur le cinéma, dans les salles, les universités du Temps libre, un peu partout et je présente toujours des films, en lien avec le TNB, l’Arvor ou encore pour La Règle du jeu. » Et puis il a cette perspective, une idée qui le taraude et l’enthousiasme vivement : « se mettre à la disposition des salles et batailler avec elles pour y ramener le jeune public. » Sauver les meubles, défendre le cinéma, entretenir la flamme coûte que coûte, c’est à cela qu’il veut employer son énergie désormais. « Le cinéma, celui que j’aime, le cinéma d’auteur, est en train de devenir comme la musique classique, une affaire d’initiés. Il a du mal à s’imposer face aux grosses productions hollywoodiennes, et elles vont bientôt lui barrer l’accès aux écrans. L’an passé, le Hitchcock d’or (le prix majeur du Festival du film britannique de Dinard, ndlr) n’est pas sorti en salles mais sur e.cinema, comme le prix du public d’ailleurs. Mes étudiants ne vont pas dans les salles. Je leur ai parlé de Jocker, là ils vont y aller mais le cinéma d’auteur ne les intéresse pas. Donc, le cinéma est mort. Oui, il y aura toujours des films mais le cinéma comme on l’aime est très menacé. Et ce même si les chiffres donnent encore le change. Ce qui sauve la fréquentation des salles cette année, ce sont seulement quelques films, Parasite, Once upon a time… »
Donner aux plus jeunes le goût du cinéma pour le sauver – peut-être – c’est donc la voie que suivra Hussam – ou qu’il poursuivra, puisque la programmation scolaire était déjà très développée à Dinard « avec 10 000 scolaires accueillis chaque année ». En lien avec l’Education nationale, il propose et encadre actuellement des semaines thématiques qui rencontrent un joli succès. A Cesson-Sévigné, « on a initié un cycle de 2 semaines à l’intention des professeurs d’espagnol. 2 000 élèves ont suivi. On va faire la même chose avec le cinéma allemand, anglais, et proposer aussi un cycle Histoire. Mon rôle est avant tout d’initier les enseignants, et de leur fournir le matériel pédagogique adapté. Pour cela, j’anime des stages qui les accueillent 3 semaines avant qu’ils ne se déplacent avec leurs élèves. Ça m’intéresse énormément et je pense que le besoin est réel. Sur les 150 enseignants que nous avons accompagnés pour le moment pas un n’avait reçu de formation à l’image. » De quoi conforter la vocation d’un passeur un peu désabusé mais toujours aussi passionné.
Marie Esnault