Casus Boloss, ou comment la websérie fait l’histoire


Deuxième opus des rendez-vous Série accueillis aux Rencontres de Films en Bretagne 2019 et sur lesquels nous avons choisi de revenir pour vous, lecteurs : celui consacré à l’étude de cas d’une websérie particulièrement innovante, à la fois dans sa forme, son contenu et les conditions de sa diffusion : Casus Boloss. Anett Sager, directrice adjointe Connaissance et responsable offre numérique Histoire à ARTE G.E.I.E. (Strasbourg) et Julien Coquet, producteur chez Dynamo Production (Lyon) sont venus jusqu’à Saint-Quay nous parler de la genèse et de la jeunesse du projet.

 

Casus boloss

 

La question du web est naturellement au centre des préoccupations quand il s’agit de penser conjointement série et diffusion. La websérie est une forme de la série, située à part, pensée différemment, pour le web exclusivement, et qui connaît son lot de règles et de contraintes. Elle appelle d’autres formes et ouvre à de nouvelles possibilités de création. Elle regarde aussi des publics différents en termes de tranches d’âge, d’intérêts, et d’images. Ainsi ARTE connaît-elle bien ce sujet : évoluant depuis toujours avec son temps, la chaîne franco-allemande a su diversifier ses propositions en fonction des avancées technologiques et des nouveaux médias. ARTE n’a de cesse d’imaginer de nouvelles écritures avec les auteurs et les producteurs, de nouvelles offres de programmes innovants à destination du web spécifiquement. Casus Boloss s’inscrit dans cette démarche de recherche et développement de la chaîne, même si elle n’est pas à l’origine de ce projet détonnant. Un programme qui entre parfaitement dans sa ligne éditoriale non linéaire…

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Julien Coquet - ©YLM Picture

 

Ce sont deux étudiants diplômés en droit et relations internationales, Aurèle Jacquot et Matthieu Putzolu, passionnés par la géopolitique, qui ont souhaité traiter de ces thématiques de façon différente : par le biais d’une série à la fois distrayante dans sa forme, décalée dans son ton, mais rigoureuse dans ses contenus. Une série qui donnerait les clés pour comprendre l’histoire en train de se faire, un exercice de vulgarisation intelligente et ludique. Une maquette faite maison sous le bras, Aurèle et Matthieu ont trouvé chez Dynamo Productions, à Lyon, l’homme de la situation en la personne de Julien Coquet, producteur intéressé par les nouveaux médias, et qui avait produit plusieurs projets dans cette veine-là – telle une websérie de vulgarisation scientifique pour l’Observatoire de Paris. « Ils savaient qu’ils voulaient travailler pour le web et YouTube. Même si tout ou presque restait à inventer, j’ai vu d’emblée dans leur approche un programme potentiel pour ARTE. Nous avons donc travaillé tout le projet avec cet objectif dès le départ : convaincre ARTE. »

La fine équipe constituée, elle œuvre donc d’arrache-pied pour mieux définir le concept de la série, trouver son format, la bonne durée en fonction de sa finalité : une diffusion non linéaire et un public jeune, entre 20 et 30 ans.

Hasard ou coïncidence, quand Dynamo Productions présente le projet à ARTE Paris, l’antenne strasbourgeoise s’apprête à lancer un appel à projets dont le texte n’est pas encore tout à fait rédigé. Bingo ! Sans le savoir, Casus Boloss correspond exactement à ce que cherchent Anett Sager et son équipe : « Depuis la refonte du site arte.tv, nous avons une offre non linéaire en histoire dont l’un des objectifs stratégiques est de créer des formats réguliers, mais aussi d’inventer de nouvelles écritures. Casus Boloss tombait à point nommé !« , se souvient Anett Sager. Elle poursuit : « Les usages et les modes de consommation évoluent, les jeunes ne regardent pas la télévision et nous ne voulons pas les laisser passer sans leur proposer de s’arrêter ! Notre offre linéaire a un public de 58 ans en moyenne, il est autour de 27 ans sur YouTube ! Je conçois les programmes en priorité pour arte.tv, mais si ces programmes sont en plus vus sur YouTube, c’est parfait. C’est là que se trouve le public de demain ! ».

 

©YLM Picture

 

Anett Sager est donc convaincue par le projet, et l’équipe nouvellement constituée travaille de concert au développement d’un pilote à présenter à la conférence numérique d’ARTE – l’équivalent de sa conférence des programmes pour le linéaire, qui se réunit aussi une fois par mois pour juger des nouveaux projets. « Le processus d’acceptation est plus souple en non linéaire qu’en linéaire aujourd’hui, et nous avons pu développer et produire ce pilote après un point d’information en conférence. Nous l’avons présenté en décembre 2018, sous la forme d’un pilote bien avancé et de neuf autres pitchs. Il a emporté les suffrages ». Pour la réalisation de ce pilote, il a donc fallu définir une charte graphique ainsi que l’arche narrative d’une première saison de dix épisodes. « Nous avions déjà développé un format sur-mesure décliné en 30 pitchs et autant d’entrées thématiques« , précise Julien Coquet. « Nous sommes partis du contexte géopolitique global d’après-guerre et des relations internationales pour les définir, autour d’un constat : qui possède la bombe contrôle le monde et qui ne la possède pas souhaite la posséder. Cela permettait de poser d’emblée les grands axes et les rapports de force dans les relations internationales. Nous avons ensuite choisi quelles seraient les dix meilleures entrées pour commencer une série comme celle-ci et avons affiné l’écriture à la virgule près, avec beaucoup d’allers-retours : parce que ce type de sujets peut vite s’avérer ultrasensible (j’ai d’ailleurs fait appel à un expert en relations internationales pour relire tous les textes validés par le diffuseur) ; mais aussi pour éviter les références franco-françaises, une partie du public pouvant se sentir exclue. »

Car nous sommes sur ARTE, et le minimum requis dans une coproduction avec le diffuseur, c’est de considérer deux publics (français et allemand), et d’envisager deux versions au programme, avec, en général, une même image et une des deux versions son. Dans le cas de Casus Boloss, Anett Sager dit avoir voulu privilégier au maximum le commentaire « pour préserver l’esthétique singulière de la série ».

Il est question de produire pour Casus Boloss des versions sous-titrées pour l’offre d’ARTE Europe, ce qu’elle fait déjà pour un certain nombre de documentaires, en quatre langues – l’anglais, l’espagnol, le polonais et l’italien – ce qui permet de toucher 70% de la population de la communauté européenne.

Les dix premiers épisodes choisis par les auteurs et leur producteur l’ont été selon une logique qui n’est plus visible aujourd’hui, car il faut tenir compte de la liberté du diffuseur à disposer d’épisodes comme il l’entend : en fonction de ses besoins éditoriaux, et de l’actualité. « C’est un des points forts de l’équipe : sa connaissance fine des zones de tension sur l’échiquier géopolitique, qui lui permet d’anticiper sur l’actualité », commente Anett Sager.

Anett Sager
Anett Sager - ©YLM PIcture

 

Pour ce qui est de la mise en ligne justement, la stratégie adoptée par Anett Sager est celle d’une diffusion couplée, à la fois sur arte.tv – à raison des dix épisodes mis en ligne le même jour, un mardi – et sur la chaîne YouTube d’ARTE – avec deux épisodes mis en ligne le même premier mardi, puis un épisode par semaine. Pourquoi le mardi ? « Parce que c’est le jour dédié à l’Histoire sur ARTE, mais aussi parce que ce programme est susceptible de provoquer beaucoup de réactions et d’interactions sur le site et que nous avons moins de modérateurs le week-end pour s’en charger ! » La première diffusion conjointe a eu lieu fin septembre, les retours ont été concluants sur un plan quantitatif et qualitatif. On remarque par ailleurs qu’un bon nombre de visiteurs sur YouTube prolonge son expérience en allant visionner l’un ou l’autre des documentaires proposés par ARTE sur les mêmes thématiques. Une valeur ajoutée pour des échos qui fonctionnent.

Pour ce qui est de la diffusion encore, la tentative d’une mise en ligne sur Facebook n’a pas été concluante – leurs algorithmes privilégiant les contenus sans son et les formats carrés, notamment. Anett pense encore à Instagram, à condition de trouver de bonnes solutions et de bonnes déclinaisons :  « Pour l’instant, nous nous concentrons sur arte.tv et YouTube ; un programme non linéaire et de qualité comme Casus Boloss a besoin de moyens conséquents, il ne coûte pas moins cher qu’un programme linéaire, contrairement aux idées reçues ! Je ne suis pas convaincue que ce soit forcément une nécessité ni même une bonne idée de mettre une partie de ces moyens globaux dans cette recherche sur de nouveaux réseaux de diffusion, alors que notre priorité c’est l’éditorial, la réalisation de nos vidéos principales. Il est là notre cœur de métier ! »

Les premiers retours sur la série sont encourageants et il semble bien que Casus Boloss ait déjà trouvé son public. De nouveaux épisodes sont d’ailleurs en préparation, qui bénéficieront de la méthode et du savoir-faire éprouvés par l’équipe. Ils permettront de justifier l’investissement des différents partenaires dans le programme, et récompenseront une ambition qualitative et créative ! En attendant, rendez-vous sur arte.tv et sur la chaîne YouTube d’ARTE, pour continuer d’apprendre et de se divertir en même temps !

  Gaell B. Lerays  

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