Ils sont trois, plus ou moins trentenaires, et ils ont partagé la production du film Le Péril jaune au sein d’Equinok Films, une structure associative de production rennaise qui fête ses dix ans. Echanges autour d’une conception de la création cinématographique qui revendique une esthétique de l’imperfection.
Thibault Le Goff et Owen Morandeau ont co-écrit et co-réalisé Le Péril Jaune, immersion nocturne et éthylique dans un bar habité par une tribu de personnages attachants. Léo Dazin est aussi réalisateur, mais cette fois il s’exprime en tant que président d’Equinok. Thibault est administrateur dans un théâtre au Mans, mais il a toujours été porté par un désir d’écriture. Il a découvert le cinéma « et ses possibilités de mise en scène » lors du tournage de Le Rogue, un film réalisé par Léo en 2014. Dans la foulée, il réalise Réflexions, son premier film, avec l’association Equinok Films. Owen, lui, est tombé dans le cinéma dès l’enfance et suit le parcours classique du gars qui veut vivre sa passion : études en Arts du Spectacle à Rennes 2, stages, puis entrée dans le monde professionnel de la régie et de l’assistanat à la réalisation sur des courts, des longs métrages et des séries TV. Une première co-réalisation avec Thibault sur Les Zinzins retour aux sources – « film matrice, mais plus visible car pas assumé en dehors de nos salons » -, un séjour à l’étranger et, en 2014, la décision : « ne plus courir après les heures » et travailler sur des productions « qui l’intéressent artistiquement ». Un héritage lui permet d’assumer le modèle économique de ce choix et il co-écrit et co-réalise avec Thibault La Ville s’endormait en 2015. Les deux réalisateurs endossent aussi les deux premiers rôles, la mayonnaise (déjà un péril jaune…) prend et ils ne se quittent plus.
Pour Léo, le cinéma s’impose tardivement. Lors de son master 2 en Arts du Spectacle, il étudie le cinéma de Jerzy Skolimowski. Cette immersion dans l’univers du réalisateur polonais est une révélation ! Le cinéma lui « casse la tête ou la remet en place c’est selon » et il y consacre alors 100% de son temps, d’abord comme spectateur. En 2012, il rejoint Equinok Films, une association « à prétentions militantes » née sur le campus de Rennes 2. Léo prend la présidence en 2014 et ne la quitte plus – « Belle infiltration ! » rigole Owen. Avec sa quinzaine d’adhérents, principalement des techniciens cinéma travaillant dans différents secteurs professionnels, Equinok peut « composer une équipe de tournage ». Le mode de fonctionnement est simple : lors de chaque AG, l’adhérent qui veut réaliser un film le présente et si le nombre d’adhérents qui soutient le projet est suffisant pour le produire, le feu vert est donné. Un parc de matériel en propre permet à Equinok une « quasi autonomie technique ». Et quand ce n’était pas encore le cas, l’association pouvait compter sur le soutien « important, indéfectible et estimable » du directeur photo Gwen Liguet rappellent en choeur les trois complices. Thibault souligne qu’Equinok ne donne pas de directives, elle accompagne le projet à partir du moment où il est validé par l’AG. C’est en cela que la méthode de travail se démarque d’une structure de production traditionnelle. « Pas de producteur chez Equinok, pas de ligne éditoriale affirmée » souligne Léo, « nous sommes un laboratoire dans lequel le droit à l’erreur fait partie du projet ». « Un film peut nous paraître bancal, mais il peut tout de même être mis en production si les adhérents souhaitent le soutenir » relance Thibault. « Nous nous engageons sur un film parce que nous adhérons à un projet ou à la personne qui le propose. Nous pratiquons la production par adhésion » sourit Léo. Seuls les coûts incompressibles – « il faut bien nourrir et loger l’équipe » – sont financés – « Pourquoi payer un salaire et pas un autre ? Donc, personne n’est payé ». Même si la Région Bretagne les soutient désormais via son aide à la production associative, cela reste très modeste, de 3 à 4.500 € par an. Ce soutien permet à Equinok d’apporter 1500 € par film, le solde des dépenses non financées étant généralement à la charge de l’auteur.
Ce principe de productions aussi peu financées ne les dérange-t-il pas ? « Cela ne nous fait pas plaisir de ne pas payer les techniciens et les comédiens » explique Thibault, « mais nous n’avons pas les compétences pour produire un film plus cossu ». « C’est aussi un choix » complète Owen, « celui de ne pas être obligé de passer par le montage de dossiers de financements et l’attente qui va avec pour tourner nos films. Cela nous offre plus de liberté et une grande rapidité de concrétisation. Mais c’est une pratique à double tranchant. Notre modèle ne sera pas éternel et repose sur la générosité et la confiance des gens avec lesquels nous travaillons. »
La formule Equinok semble bien rôdée. « Nous tournons en moyenne trois films par an. Compte tenu du rythme de production, de la longévité de l’association, et de la tenue de nos films, je ne connais pas d’équivalent associatif en France » affirme Léo. Quand Thibault revient au tournage du Péril jaune, il raconte une production qui ne semble pas relever du film amateur : une équipe de 25 personnes ; 3 jours de répétitions et d’écriture alors que le bar qui doit servir de décor à Auray est en pleine activité ; 7 nuits de tournage en février et pré-montage le jour. Un film pour lequel Equinok a pu s’appuyer sur une coproduction du Festival du Film de l’Ouest qui a pris en charge toute la gestion financière, un soutien précieux pour des réalisateurs qui disent avoir vécu « une course contre la montre ».
La production façon Equinok serait donc une forme de panacée ? L’échange s’agite un peu quand il s’agit d’évoquer la diffusion des films. Si avec La Ville s’endormait, Thibault et Owen ont connu une forme de reconnaissance avec le Grand prix du festival Court Mais Trash de Bruxelles, ils espèrent une plus grande visibilité avec Le Péril jaune qui leur semble plus abouti. Léo semble moins optimiste : « le film va être handicapé par sa durée et il ne correspond pas aux canons esthétiques que privilégient les festivals ». N’y a-t-il pas une forme de naïveté à croire que la production associative puisse lutter à armes égales avec la production plus structurée, mieux financée ? La compétition est rude et, cette année, le Festival de Clermont-Ferrand a reçu plus de 2000 films rien que pour sa compétition française. Le président d’Equinok sort de la réserve qu’il observait jusque là et lâche : « Peu importe Clermont-Ferrand. Ce que nous aimons c’est d’abord, et comme beaucoup, présenter nos films en salles, si possible pleines. A ce titre Clermont est intéressant, mais il existe d’autres moyens de diffusions, plus alternatifs parfois. Je ne supporte plus que le drame réaliste soit le genre dominant, y compris en court métrage. Nous occupons un espace dans lequel nous faisons des films sales, hirsutes et nous revendiquons une esthétique de l’imperfection », affirmant au passage une proximité avec la démarche d’un cinéaste comme Jean-Pierre Mocky.
Et la critique n’épargne pas les festivals bretons où Léo estime ne pas trouver « la diversité de films qui existe davantage que ne le montrent Brest ou Douarnenez ». Seul le Festival du Film de l’Ouest de Betton, dont ils sont proches, accorderait des espaces satisfaisants à la production associative. Un autre acteur régional trouve grâce à leurs yeux : KuB. Les trois réalisateurs s’accordent sur le fait que l’arrivée du webmedia dans le paysage audiovisuel breton a ouvert un canal de diffusion bienveillant, KuB leur paraissant plus curieux de leur travail que la plupart des autres professionnels de la région.
La question du long métrage devait être posée et elle se glisse dans la conversation. Premier sujet qui les divise vraiment. Thibault ne croit pas à la possibilité de produire un long dans un fonctionnement associatif, « il faut pouvoir payer les gens sur des durées de tournage aussi longues ». Léo veut croire à une alternative au modèle de production classique et défend une écriture « découpée » permettant un tournage en petite équipe et éclaté dans le temps. « Il est trop difficile de conserver une énergie avec un tournage découpé » persiste Thibault, « comment créer un univers cohérent sans cohésion d’équipe lors du tournage ? Et comment conserver cette cohésion dans un tournage éclaté ? ». Quelle serait alors la voie ? Se tourner vers une production plus classique ? Une option que ne semblent pas totalement écarter Thibault et Owen…
Dans l’immédiat, Equinok se concentre sur le format court et prépare trois nouveaux films : une adaptation de Bukowski, un film sur la pratique du puzzle et un dernier sur l’art délicat du partage de la tourte !
JFLC
Retrouvez Equinok Films sur sa page Facebook La Ville s’endormait à voir sur KuB Le Péril jaune bande annonce Désir : bande annonce Gargantua : bande annonce
Le samedi 21 septembre, au cinéma Arvor à Rennes, à 11h, projection de trois courts métrages produits par les associations Ribin Lab, Equinok films et Courts en Betton / Festival du film de l’Ouest. En présence des réalisateurs et équipes des films, discussion et pot offert après la séance. Au programme :
Décalage de Sophie Marc The Beach de Fanny Fallourd Le Péril jaune de Thibault le Goff et Owen Morandeau