Ils font partie de la première promotion de la licence « Arts », ouverte en septembre par l’Université de Bretagne Occidentale, à Brest. Ils ont tous choisi le cinéma comme spécialité, et tous ont passé quatre semaines de formation pratique, à Mellionnec, sous la direction de l’équipe de Tyfilms, qui étend sa mission de formation jusqu’au banc de la fac.
C’est sous l’impulsion d’Isabelle le Corff, maître de conférences à l’UBO, qui enseigne depuis 2013 la littérature et le cinéma en études anglophones, et de l’équipe de Tyfilms, conduite par son directeur Jean-Jacques Rault, que le septième art s’est ajouté aux disciplines artistiques de la nouvelle licence brestoise, aux côtés du théâtre, de la musique, de la danse et des arts plastiques. La particularité de cette licence pluridisciplinaire, dont Jean-Manuel Warnet, lui même Maître de conférence à L’UBO, est l’instigateur, est d’inscrire la pratique artistique dans le processus d’apprentissage et de recherche. Une démarche pédagogique assez inédite à l’université, surtout en début de cycle. Pour assurer l’enseignement pratique de chacune des spécialités, l’école des beaux arts de Brest, ainsi que les conservatoires de musique, de danse et de théâtre de la ville, sont devenus partenaires de l’université. Les étudiants, qui ont choisi l’une de ces pratiques, sont ainsi pris en charge par les formateurs de ces écoles, généralement un jour par semaine, pour faire. Le reste du temps de formation se déroule à l’université, où l’enseignement est identique pour les soixante promus de la licence Arts.
En cinéma, le fonctionnement propre à la pratique artistique est quelque peu différent des autres spécialités, et l’éloignement géographique du partenaire, en l’occurence Tyfilms, est une contrainte, que les neuf étudiants cinéastes, décrivent unanimement comme une force. Au lieu d’un jour de pratique par semaine, ils ont suivi quatre sessions d’une semaine, en immersion dans l’enceinte de l’association mellionnecoise, en centre Bretagne. Alan est l’un d’entre eux : « chaque semaine avait une thématique : la réalisation, l’image, le son, et le montage. Ici nous avons le temps de faire, d’approfondir notre pratique sur des points spécifiques, dans un lieu entièrement dédié à cela. » Logés dans un gîte à proximité de l’association, les étudiants vantent également l’émulation de groupe favorisée par le partage de moments du quotidien, hors cadre universitaire. « Nous avons appris à nous connaître, à créer du lien, tant dans le travail d’équipe, que dans les moments off » souligne Mathis.
Ils sont quelques-uns à d’ailleurs considérer que le cinéma ne saurait s’envisager comme l’art d’un seul, une opinion renforcée par leurs travaux pratiques, où les uns montent les films des autres, où les regards sont partagés. « En cela le système d’évaluation propre à notre spécialité est cohérent, nous avons tous la même note » explique Sarah. Un principe défendu par l’équipe d’accompagnants, et validé par la faculté, dont ce n’est pourtant pas l’habitude. « Cela nous place dans une autre dynamique. Nous ne cherchons pas à faire mieux que l’autre mais à faire bien, ensemble » renchérit l’étudiante. Notés 15/20 au premier semestre, et 13/20 au second, coefficient 9, le groupe n’a pas eu à partager la responsabilité d’une mauvaise note. Aux dires de Oona Spengler, formatrice, il n’y a cependant pas de complaisance, seulement une grille de notation qui s’attache moins, pour cette première année de licence en tout cas, à la qualité des films réalisés par les étudiants, qu’à leur investissement et leur capacité à faire exister leur « je », autrement dit leur point de vue. « Lors des visionnages et études de films, nous ne nous inscrivons pas dans une analyse classique, dont la complémentarité est assurée par les enseignements universitaires. Nous cherchons davantage ici à ce que les étudiants partagent leurs ressentis, qu’ils disent ce que les films ou séquences provoquent chez eux. Nous attendons aussi que dans leur pratique, ils assument leur subjectivité ». Klervie et Boun, tous deux étudiants en spécialité cinéma, se font écho au sujet de l’importance donnée à leur point de vue « c’est très agréable de pouvoir dire je » exprime Klervie, « Ils veulent connaître notre perception des choses, ce qui n’est pas habituel » rajoute Boun. A titre d’exemple, leurs derniers travaux s’intitulait « mon Brest », et les étudiants avaient pour consigne de porter un regard personnel sur la ville. Ils ont ainsi filmé avec leurs propres moyens « leur Brest », avant que les images ne soient montées par un autre camarade, dans les locaux de Tyfilms. Après projection devant le groupe, chacun était invité à s’exprimer sur sa réception des courts-métrages et sur ce qu’il avait compris des intentions des réalisateurs ou réalisatrices. Si certains comme Alan confondaient reportages et documentaires en début d’année, tous ont aujourd’hui compris ce qui distingue, dans le regard porté, les deux pratiques.
Concernant justement la particularité du cinéma documentaire, sur lequel se concentre l’activité de Tyfilms, les étudiants, qui ont postulé pour une spécialité « cinéma », ont un avis partagé. Là où certains ne font pas de distinction majeure entre les styles, d’autres, comme Boun, trouvent au cinéma documentaire une certaine ambiguïté : « je ne pensais pas que l’écriture du documentaire était si poussée, et je trouve que le pacte avec le spectateur n’est pas aussi clair qu’en fiction. La possibilité de faire du vrai/faux avec le réel me dérange. Il y a un rapport à la vérité difficile à identifier, et en cela le pouvoir du cinéaste est incroyable. » Une réserve que partage en substance Tudual, qui s’interroge sur la mise en scène en documentaire, sur le réel rejoué, ou encore sur la chronologie des évènements non respectée. Le session montage n’a fait que conforter cette prise de conscience, tant ils ont constaté qu’à partir d’une matière identique, on pouvait fabriquer plusieurs récits. Un enseignement par le faire, mais aussi par l’analyse de « Lettre de Sibérie », de Chris Marker, où le réalisateur appose des commentaires différents sur des séquences d’images semblables, tournées en URSS. Loin de scier la planche sur laquelle elles sont assises, les formatrices, Marie-Pomme Carteret, monteuse, et Oona Spengler, réalisatrice, en appellent justement à une subjectivité assumée, au sens critique, et à la responsabilité des cinéastes.
Qu’ils soient des professionnels du grand écran en devenir, ou de futurs amateurs éclairés, la question du débouché ne semble pas encore se poser comme une injonction chez les étudiants du groupe cinéma. Et si la création d’un master cinéma a été évoquée par l’équipe de Tyfilms comme une perspective souhaitée, les étudiants n’imaginent pas qu’il puisse être sur pied à leur sortie de licence. Pour Isabelle le Corff, qui en dehors des enseignements qu’elle donne à l’université, intervient une demi journée par semaine spécifique, sur Mellionnec, les premières promotions d’étudiants auront la possibilité d’intégrer une fois leur licence acquise, des écoles telles que la Fémis, ou des masters déjà existants, comme celui de Lussas…en attendant.
Quant au fait d’être les fers de lance de ce cursus, les étudiants en mesurent les particularités, sans naïveté, mais avec aussi une certaine fierté. « On est les chouchoux, et en même temps on essuie les plâtres » s’amuse Mathis, qui à l’instar de ses camarades, apprécie d’être interrogé par les formatrices, ainsi que par Elise Demarbre, coordinatrice de la formation, sur les ajustements à apporter pour optimiser leur apprentissage. « Chaque fin de semaine, nous faisons un bilan, au cours duquel notre parole est entendue ». Un leitmotiv qui semble être intimement lié à leur plaisir d’apprendre, et de faire.
Yves Mimaut