Daniel Laclavière, le goût du large


Daniel laclaviere
Daniel Laclaviere sur les quais du port de Brest © Pauline Burguin

Personnage discret et atypique dans le paysage audiovisuel breton, Daniel Laclavière tourne la page d’Aber Images. Après vingt ans à la tête de la société de production brestoise, le producteur revient sur les films qui ont marqué son parcours dans un contexte régional toujours favorable au documentaire.

Tout commence en Finistère

Avant de créer Aber Images à Brest en avril 1999, Daniel Laclavière vivait à Paris et travaillait dans la promotion et la distribution de films à l’international. D’abord à Unifrance où il est chargé de promouvoir le cinéma français à l’étranger. Puis chez Pathé où il dit avoir fait plus de « business » que de cinéma. C’est sur les marchés internationaux, de Montréal à la République Tchèque, que Daniel Laclavière se forme à l’audiovisuel. En travaillant uniquement sur l’aspect commercial des films, le producteur en devenir évoque des frustrations « celle de ne pas maîtriser le processus de fabrication d’un film et surtout de devoir vendre des films que je n’appréciais pas forcément. J’avais envie d’accompagner un réalisateur du début jusqu’à la fin d’une aventure ».

Il découvre la Bretagne grâce à sa femme originaire de Brest. Au milieu des années 90, plusieurs raisons le convainquent de quitter Paris pour le grand large : la perspective d’emménager dans la maison de famille à Logona Daoulas et un secteur professionnel en pleine ébullition. « Au début des années 2000, la synergie entre les professionnels de l’audiovisuel, les institutions bretonnes et de nouveaux diffuseurs avait permis au documentaire d’émerger fortement dans la région. La présence de France 3 Bretagne, et dans une moindre mesure à l’époque de TV Rennes ainsi que l’espoir mis dans la création de TV Breizh ont contribué à générer une économie viable. Des sociétés de production régionale pouvaient atteindre plus aisément le COSIP automatique et Films en Bretagne voyait le jour. Cet ensemble de paramètres rendaient possible la production de films loin de Paris. »

Des aventures humaines exemplaires !

C’est ainsi que Daniel Laclavière présente la ligne éditoriale d’Aber Images. « Le producteur n’est pas qu’un homme d’argent. Le premier intérêt de ce métier ce sont les rencontres, de toutes sortes. Rencontres avec ceux qui font les films et ceux qui y participent. J’ai eu la chance de côtoyer des auteurs et des personnages étranges, passionnants, marquants qui m’ont permis de faire émerger des thématiques fortes dans mes productions : l’Histoire, les voyages et la mer. » Dans la catégorie Histoire, Daniel Laclavière pense au film de Brigitte Chevet L’espionne au tableau qui connait un rayonnement national et une belle carrière internationale. Et puis Le soldat de boue, le plus récent des films d’Hubert Budor, avec une véritable assise régionale via le soutien des diffuseurs du COM et qui sera aussi son dernier projet en tant que producteur.

Le producteur a plaisir à se remémorer ses différentes collaborations avec des auteurs de la région : les sus-nommés pour 7 films à eux deux, le réalisateur brestois Philippe Abalan pour six films, Yvon Le Gars, deux films dont un tourné en Antarctique… « Avec Philippe, j’ai produit trois portraits de marins d’une autre génération : Capitaine Tabarly, Alain Colas le marin magicien et Alain Gerbault, le courage de fuir. Pour le film sur Tabarly, Erwan Quéméré qui était à la barre du bateau qui a vu périr le grand navigateur, a accepté de témoigner pour la première fois. C’était très émouvant. Et puis, je pense à Alain Gerbault. C’est un personnage qui mérite d’être mieux connu, un navigateur que nous avons oublié et un homme qui s’est retiré en Polynésie où il a pris position contre le colonialisme. »

Croqueur d’aventures, Daniel Laclavière évoque avec une passion communicative ses films d’exploration comme Maufrais, au nom du fils. Ce documentaire de Philippe Jamain nous emmène sur la piste de Raymond Maufrais, explorateur disparu en Guyane dans les années 50 dont le père, Edgar, a cherché les traces pendant 12 ans. « Cette histoire avait défrayé la chronique à l’époque. Le journaliste Georges de Caunes – père d’Antoine – avait très bien suivi l’affaire et nous a beaucoup aidé à documenter le film. »

Derrière son allure affable, veste d’aviateur, jean et pull à col roulé, se dissimule un homme courtois, d’une élégance discrète. Avec un collaborateur à Paris, Dominique Monteiro, «très actif avec les diffuseurs», se souvient Hubert Burdor, et une administratrice de production basée à Brest, Karine Charasse, Daniel Laclavière a accompagné plus de 30 réalisateurs et produit une cinquantaine de films.

« Le documentaire est le genre de l’humain par excellence ». Et lorsque Daniel évoque Radio Lorraine Coeur d’Acier, la parole libérée de Isabelle Cadière, c’est pour parler d’un des grands plaisirs de son métier, et osons pour lui le mot fierté. « C’est un film sur les dernières radios pirates et les premières radios libres au tout début des années 80. Mitterrand arrive au pouvoir. C’était aussi l’époque des grandes crises sidérurgiques. La radio libre n’a pas sauvé les emplois mais a permis de donner la parole à beaucoup de gens, des ouvriers, des syndicalistes… »

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Radio Lorraine Coeur d’Acier, la parole libérée de Isabelle Cadière © Aber images

Écrire un film pour raconter une histoire

Dénicheur d’histoires, Daniel Laclavière s’est aussi frotté à la fiction courte dans le cadre du dispositif ESTRAN. Il a accompagné trois films qu’il tient aussi parmi ses coups de coeur, dont Erémia, Erèmia de Olivier Broudeur et Anthony Quéré et qui, fierté encore, a reçu le Prix spécial du jury au festival de Clermont-Ferrand en 2008.

« Le rôle du producteur est d’accompagner l’auteur dans l’écriture du projet. Cela peut paraître basique de le dire, mais cela ne semble pas forcément évident pour les jeunes professionnels. Il y a peut-être un paradoxe. Nous, producteurs, devons passer par l’écrit, par des dossiers que nous présentons à des commissions, alors que nous fabriquons de l’image. Avec l’évolution du matériel, les caméras, les smartphones, les jeunes peuvent et veulent filmer tout de suite. Aujourd’hui, je constate que le passage par l’écrit est moins évident. » Daniel Laclavière estime aussi que les diffuseurs sont aujourd’hui plus investis dans la production des projets qu’ils soutiennent car leurs lignes éditoriales sont plus contraintes et leurs impératifs de programmation jouent plus fortement sur les contenus.

« Je pense que nous arrivons au bout d’une étape avec le documentaire, qui est sans doute à réinventer. J’aurais aimé participé au développement du long-métrage car je pense que le potentiel se situe là aujourd’hui. J’observe avec intérêt plusieurs autres expériences de production intéressantes comme Fin ar Bed de Nicolas Le Borgne. Des sociétés s’engagent dans des processus de coproduction à l’international et la Région Bretagne semble vouloir accompagner ce mouvement. C’est une très bonne chose. »

« La retraite n’est pas une fin de vie ! »

67 printemps, qui l’eut crû ? Encouragé par son entourage et une santé capricieuse comme le temps brestois, il importait de se préserver. L’arrêt de l’activité d’Aber Images est brutal et définitif mais « tranquille et volontaire », confie Daniel Laclavière. « J’ai senti que ce serait l’année de trop. Je souhaite que ma dernière étape de vie soit la plus riche possible et aussi « spirituelle » que mes années en tant que producteur. La retraite n’est pas une fin de vie ! J’ai encore beaucoup de choses à réaliser. La difficulté est de n’avoir pas trouvé de repreneur pour la société. Techniquement, j’ai dû faire une liquidation judiciaire. C’est maintenant le mandataire qui est chargé de trouver un repreneur. Mais ce que je souhaite avant tout, c’est que les réalisateurs intéressés puissent récupérer leurs films et continuer à les faire vivre. »

Pour l’heure, Daniel Laclavière est dans les archives jusqu’au cou. Elles consistent en une quantité astronomique de rushs et de films sur bandes qu’il faut numériser. Il réfléchit à faire un dépôt à la Cinémathèque de Bretagne. Au milieu des nombreux cartons, il y a celui qui contient les DVD des cinquante films à regarder de temps en temps pour se souvenir d’une vie riche d’histoires singulières et de navigation au long cours.

Pauline Burguin

 

Réflexion : l’auteur face à la cessation d’activité d’une société de production

Premier élément important à rappeler : sans repreneur lors d’une cessation d’activité d’une société de production, l’auteur se retrouve prioritaire pour racheter les droits de son film. Début avril, la SCAM a organisé une table ronde sur le sujet, avec des auteurs et des experts juridiques. Hubert Budor y a assisté et témoigne « si les auteurs ne récupèrent pas les droits de leur film, le risque est qu’il « tombe aux oubliettes ». Quand il s’agit de films récents, c’est vraiment problématique. La table ronde de la SCAM tombait à point nommé, et depuis, j’ai entrepris de racheter les droits de mes films auprès du mandataire judiciaire chargé de la liquidation d’Aber Images. Il me faut désormais estimer la valeur de chaque film afin de faire une proposition de rachat au mandataire. Comment évaluer une œuvre documentaire ? Il y a différents critères à considérer : sa date de production, le support de fabrication, le montant des droits d’archives et des droits musicaux, son potentiel patrimonial. En l’occurrence mon film sur Mathurin Méheut (Le soldat de boue), actuellement en diffusion sur les chaînes locales et la plateforme KuB, comporte de nombreuses archives : c’est alors un vrai casse-tête. Je devrai aussi envisager moi-même l’édition DVD, la promotion du film auprès des festivals (etc). J’ai l’impression de devenir un producteur ! ».

Pour approfondir la réflexion rendez-vous sur le site de la SCAM :

Avec ici un texte rédigé par le juriste Guillaume Thoulon pour la lettre Astérisque n°56.

La captation de la table ronde « Que faire en cas de faillite d’une société de production ? » (4 avril 2018) est visible ici.

Plus d’infos sur :
http://www.scam.fr