Le réalisateur rennais Emmanuel Piton, fonde en 2014 le labo K, l’un des sept laboratoires français indépendants de développement et d’expérimentation sur pellicule. Cette matière organique, comme il l’a nomme, et par laquelle il a découvert le septième art, est devenue son matériau de création et de partage. Elle est aussi pour lui une fenêtre sur d’autres mondes, à la frontière du vivant.
Emmanuel Piton travaille actuellement avec Marie-Pomme Carteret au montage de son dernier film, Au travers des ruines, un voyage vers les villages abandonnés du nord de l’Espagne à la recherche des fantômes du franquisme. Ce moyen métrage, tourné en 8 et 16 millimètres, produit par Quilombo Films et Les Films de l’Autre Côté, fait suite à une dizaine d’autres, tous sur pellicule, le réalisateur se consacrant depuis maintenant six ans au cinéma argentique. « J’ai découvert le cinéma par les classiques des années 20-30 comme Murnau, Vigo, ou encore Vertov. Un cinéma muet qui m’a sans doute marqué par la puissance des images » se rappelle Emmanuel, qui tente d’expliquer cette nostalgie de la pellicule qui l’a amené à s’investir pleinement pour ce cinéma « primitif », après être passé « comme tout le monde » par le numérique. « Au delà de la nostalgie, Il y avait aussi le rapport à la matière qui m’attirait, le côté artisanal du travail sur pellicule, la révélation d’images comme quelque chose que l’on arrache au noir, au néant, avec sa part de mystère » poursuit Emmanuel, pour qui échapper à la norme des images numériques, et à leurs réalités tangibles, a une résonance poétique. C’est une manière pour lui de voir au delà, non sans une certaine fascination pour les mondes et les êtres disparus, qui souvent traversent le cadre de ses images. Il est un cinéaste de la trace, de l’emprunte. Ses films sont écrits, et ses caméras 8 et 16 millimètres, au temps court d’enregistrement, lui imposent une certaine rigueur, et pourtant, il défend le caractère instinctif du travail sur pellicule. « Je suis très peu dans la narration, mais plutôt dans quelque chose de l’ordre de la pulsation, du travail de la lumière, de ce qui s’impose à moi. La maniabilité et la simplicité des caméras me permettent d’être réactif à un scintillement sur une tasse de café ou à une ombre qui traverse un couloir de lumière. »
Comme une plongée dans des mondes par delà, fascinante – à l’image des (Les) Eaux Dormantes, dont le réalisateur a enterré les pellicules avant de les développer pour que s’imprègnent « les images trop enfouies » – les films les plus intimes d’Emmanuel disent sans la raconter son attirance et son angoisse face à la mort, qu’il met en vibration comme pour redonner vie et forme. Mais ils disent finalement peu sur l’ homme du collectif qu’il est par ailleurs, bien au contact des vivants celui-là.
En 2008, il fonde Zéro de Conduite, une association d’éducation à l’image et de production. Il y anime des ateliers en super 8 auprès d’habitants de quartiers populaires, et participe à la production de films. Porté par cette structure toujours existante, Les eaux dormantes a par exemple obtenu l’aide à l’innovation de la région Bretagne. En 2010, il rejoint le collectif rennais Treiz, qui vise à la réalisation collégiale de films expérimentaux autour de sujets politiques. Tous les 13 du mois, les films sont diffusés dans des lieux alternatifs comme des squats. « C’est là que j’ai appris à tourner en pellicule, et à développer ». Deux ans plus tard, il rejoint l’Espagne, et monte un labo à Grenade, dont il se servait pour ses projets personnels mais aussi pour y tenir des ateliers à destination des habitants de son quartier et d’élèves d’écoles de cinéma. En 2014, il rentre à Rennes et crée le Labo k, qu’il intègre à Zéro de Conduite. « C’est un collectif d’artistes qui expérimentent sur pellicule 8 et 16 mm. En ce moment nous proposons une performance nommée SCRTCH, conçue dans le cadre d’une résidence proposée par Comptoir du Doc, et déjà diffusée à Rennes à l’occasion du festival Hors Format. Sur une musique live, huit projecteurs diffusent une boucle d’images tournée en pellicule, traitée différemment pour chaque projecteur. Nous jouons aussi sur les supports, la surimpresssion, et le décalage temporel des boucles pour faire exister cette création collective. » Une performance qui sera également proposée cette année au public du festival Travelling.
Emmanuel aime parler « d’essais cinématographiques », qui s’intéressent autant à la forme qu’au fond, et qui accordent une place plus importante au rythme, aux sensations, qu’au récit. Également intervenant à l’Université Rennes 2, auprès d’étudiants inscrits en deuxième année d’Art du spectacle, il partage sa vision du cinéma argentique expérimental, dont les références portent le nom de Peter Tscherkassky, Stan Brakage ou encore Maya Deren. « Mais c’est avant tout le faire qui m’intéresse dans l’acquisition du savoir. Le cinéma expérimental par définition doit s’expérimenter. » Et nous pourrions ajouter, être vu.
Et c’est ce à quoi s’attèle l’association Light Cone basée à Paris, qui sauvegarde et distribue à l’international les films expérimentaux de réalisateurs sélectionnés par une commission. Emmanuel a intégré le catalogue de Light Cone en 2017, et tous ses films y seront dorénavant sauvegardés et aidés à la diffusion. Un travail de distribution en relais de celui du réalisateur, dont les films ont été sélectionnés dans des festivals un peu partout dans le monde (Brésil, Colombie, Etats-Unis, Canada, Corée…). Un gage d’universalité de ce cinéma vibratoire.
Yves Mimaut
En savoir plus :
Site internet : http://emmanuelpiton.net/
Films et extraits de films d’Emmanuel Piton : https://vimeo.com/user7635774
Association Zéro de Conduite : http://assozdc.canalblog.com/
Association Light Cone : https://lightcone.org/fr