La 17ème édition des Rencontres de Films en Bretagne s’est tenue du 5 au 6 octobre au Centre de congrès et au cinéma Arletty de Saint-Quay-Portrieux. C’est sous un soleil radieux, et dans un décor naturellement somptueux, que les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel de France, mais aussi de Belgique et d’Italie, se sont retrouvés pour prendre des nouvelles, et en donner. Un rendez-vous entendu et construit comme un point d’étape, où les réflexions collectives se nourrissent des initiatives individuelles pour penser ensemble des projets ambitieux et ancrés dans leur temps. Un rendez-vous pour redire également la volonté collective, des professionnels comme des politiques, de poursuivre dans la voie d’une structuration et d’un développement de la filière, à l’intérieur et au-delà de nos frontières. La journée du jeudi était consacrée à un parcours de compréhension de la production associative au travers de l’exemple du fonds Émergence de la région Hauts de France.
En 2017, la Région Bretagne a mis sur pied un fonds de soutien aux programmes collaboratifs de création traduisant une volonté politique de mieux accompagner les pratiques associatives de production ainsi que l’émergence de nouveaux créateurs et de nouvelles compétences. La naissance de R.A.P.A.C.E. à l’instigation de Courts en Betton – autrement dit le Réseau des Associations de Production Audiovisuelle et de Cinéma Émergent – n’est pas étrangère à cette initiative que les Rencontres de Films en Bretagne ont voulue éclairer à leur manière. Tout au long d’une journée à Saint-Quay-Portrieux, la production associative a été au cœur d’échanges, de découvertes et de réflexions en s’appuyant tout particulièrement sur un retour de plus de dix années d’expérience, celle du fonds Émergence, le plus ancien existant en France, qui permet à Pictanovo en Hauts de France de soutenir plus d’une trentaine de projets à l’année.
Pictanovo rassemble entre autres activités l’accueil des tournages pour la région Hauts de France, un centre de ressources, un parc de location de matériel, des salles de travail pour du montage, du mixage son, l’organisation de castings ou de projections test. L’association est issue de la fusion du Pôle Images et du Centre régional de ressources audiovisuelles, le CRRAV, créé en 1985 par le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais pour soutenir et développer la production audiovisuelle et cinématographique. En la matière la Région se montrait originale en raison de la présence d’un secteur associatif jouant un rôle actif dans la production et la diffusion des œuvres mais aussi dans des actions d’éducation à l’image.
“Dans les missions de départ du CRRAV, rappelle Corinne Woittequand, aujourd’hui coordinatrice du fonds Émergence, cela s’est traduit par un catalogue de formations et surtout par l’existence d’un parc de matériel audiovisuel qui permet aux associations adhérentes de disposer à des tarifs privilégiés d’équipements professionnels.” Les trois cent soixante structures adhérentes, qu’elles soient culturelles ou non peuvent emprunter micros et autres écrans, quant aux associations de production dont les projets sont soutenus par le comité Émergence, elles accèdent au matériel mis à disposition en bénéficiant d’une réduction de 75% pour la réalisation de leur film. Le parc dispose chaque année d’une enveloppe de 100 000 € émanant de la Région pour renouveler les équipements vieillissant et faire de nouvelles acquisitions. Régulièrement, les associations adhérentes sont consultées sur les besoins qu’elles rencontrent.
À la fin des années 2000, il est apparu aux yeux des élus régionaux qu’il était indispensable de combiner à ces moyens matériels un fonds associatif destiné aux jeunes auteurs “soucieux de faire des films et de se former, de réaliser leurs premiers tournages dans des conditions professionnelles”. Doté de 130 000 euros à son origine, il a été augmenté au fil des années pour atteindre 200 000 euros en 2017. “À l’époque, Il n’y avait pas d’école de réalisation à Lille et peu de sociétés de production”, précise Corinne Woittequand. En conséquence, le CRRAV a contribué à la formation d’auteurs et les associations de production se sont constituées dans cette dynamique. “On en compte une soixantaine aujourd’hui sur le territoire des Hauts de France dont une trentaine organisées de manière collective. Une bonne dizaine d’entre elles développent un projet tous les ans”. Doté de 130 000 euros à son origine, il a été augmenté au fil des années pour atteindre 200 000 euros en 2017 suite à la fusion des régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie.
Pour bénéficier du fonds Émergence, l’association doit être domiciliée dans les Hauts de France et adhérente à Pictanovo. C’est une règle qui ne vaut pas forcément pour le réalisateur. Pour l’année 2017, trois sessions du comité de lecture – composé de professionnels désignés par Pictanovo et de membres élus par leurs pairs, il comprend une section documentaire/fiction et une autre art vidéo/spectacle vivant – ont permis d’accompagner financièrement la moitié des projets reçus avec des enveloppes pouvant aller de 3 000 à 12 000 euros (1). “Les critères de choix sont purement artistiques. Le dossier est étudié avec beaucoup d’attention, de bienveillance et de professionnalisme”, précise Corinne Woittequand qui reçoit en outre chaque demandeur avant l’examen de son dossier par le comité de lecture.
Pictanovo gère les sept fonds régionaux d’aide qui permettent plus largement de soutenir toute la création audiovisuelle et cinématographique en Hauts de France, et Émergence est le seul parmi ceux-ci où tout candidat peut représenter un dossier. L’accompagnement des jeunes auteurs qui déposent leurs projets est une priorité et Pictanovo reste idéalement placé pour conseiller une formation en compagnie d’un professionnel puisqu’il en organise régulièrement et que l’accueil des tournages recense à l’échelon régional toutes les compétences liées à l’audiovisuel. Le dernier atout de ce dispositif propice à une production associative de qualité, c’est la possibilité d’utiliser les équipements techniques du Fresnoy notamment l’auditorium de mixage et la station d’étalonnage. Quand les étudiants du Studio national des arts contemporains n’en ont pas l’usage, l’accès à ces équipements est soumis à la décision d’un comité de lecture interne au Fresnoy.
Dans le parcours de compréhension que proposaient les Rencontres de Films en Bretagne, Anne Bruneau, a pu autour de la diffusion du film La terre et l’usine de Jean-Charles Leyris, éclairer sur la réalité d’une expérience une fois le fonds Émergence attribué. Auteure et réalisatrice de documentaires, elle est aussi productrice au sein de l’association La Fabrique. “Quand je produis, j’essaie de multiplier par deux ou trois l’aide de Pictanovo. Je ne fais pas un film avec 4 500 euros… Il faut six mois à un an pour boucler un financement au delà des aides liées au cinéma.” En l’occurrence, sur ce premier documentaire de Jean-Charles Leyris, qui est lui-même un ethnologue, archiviste et iconographe salarié par ailleurs, l’aide d’Emergence, le crowdfunding et une allocation de recherche de l’Université de Lille 1 ont permis à la productrice de payer toute l’équipe technique sauf le réalisateur qui “voulait d’abord faire son film dans les meilleurs conditions possibles.” Avant de prendre contact avec Anne Bruneau, il avait déjà participé à un atelier d’écriture au sein de Pictanovo pour un scénario qui a beaucoup évolué au fil du tournage. Celui-ci s’est en effet étalé sur plusieurs mois pour s’adapter aux saisons qui rythment la vie du jardin dont l’existence est au cœur de ce portrait de famille d’origine algérienne installée à Tourcoing. “L’idée que le film existe et soit montré” reste une priorité aux yeux d’Anne Bruneau qui défend le caractère professionnel de cette aventure humaine où il est surtout question de transmission de savoirs, de formation pour des auteurs avec des techniciens compétents. “Il faut que le réalisateur trouve sa famille de cinéma”, résume-t-elle convaincue que la dimension associative nourrit une émulation, une vivacité et une énergie que la société de production à statut commercial peine davantage à apporter. “Le temps prend aussi moins d’importance pour rendre pérenne un projet, précise-t-elle, et l’absence d’un diffuseur dans le montage financier induit moins de contraintes dans le rendu”.
Il est une autre dimension qu’est venu souligner Yohann Kouam, réalisateur lillois passé par les ateliers d’écriture du CRRAV. Il a fait ses armes dans le court métrage et la production associative soutenue par Pictanovo, et il est aujourd’hui accompagné par la société de production Mezzanine Films dans un projet de long métrage. Jeune homme pressé, il a été admis au sortir du lycée dans la section montage de l’Institut des arts de diffusion (IAD) à Bruxelles qu’il a vite abandonnée pour un cursus en langues étrangères. “J’avais dix-huit ans et besoin de gagner en expérience, de connaître la vie tout simplement.” Il n’abandonne pas ses velléités à devenir réalisateur. Un atelier d’écriture étalé sur six mois au CRRAV débouche sur le film Fragments de vie en 2007. Il y cumule les fonctions de scénariste, de réalisateur et de producteur au sein d’une association qu’il a lui-même créée avant de découvrir le partage des responsabilités et des tâches pour le court métrage Les dimanches de Léa, produit par Les films du Clair de Lune, et pour lequel il obtient le coup de pouce du fonds associatif de Pictanovo. Le film a circulé jusqu’aux États-Unis, mais il a surtout permis à Yohann Kouam de comprendre qu’il est beaucoup plus facile d’approcher une société de production avec quelques lignes crédibles sur son CV de réalisateur et des copies 35mm sous le bras. Le passage à l’échelon supérieur lui est devenu évident quand il s’est rendu compte que son producteur associatif n’avait plus la disponibilité pour l’accompagner aussi loin qu’il le désirait dans ses projets d’écriture. “Cela allait être mon troisième film. Il était temps dans mon parcours de faire cette transition et cela prenait aussi en considération la lourdeur logistique du projet.” À Paris, Mezzanine Films est venu combler ce manque. Toujours soutenu par Pictanovo ,le court métrage Le Retour a vu le jour en 2014 et la relation avec Mezzanine Films se poursuit aujourd’hui alors que le jeune réalisateur s’est installé à Berlin, gardant toujours un pied à Lille.
Plutôt que copier une expérience (2) ou d’opposer des statuts qui ne traduisent que deux finalités différentes – l’une commerciale et l’autre à but non lucratif – et non des écarts en exigences professionnelles ou légales, l’exemple de Yohann Kouam a permis de comprendre les opportunités qu’un réalisateur peut avoir à saisir dans son parcours d’auteur. C’est un état d’esprit qui convient à Antoine Lareyre de Courts en Betton, quand il défend qu’“il ne s’agit pas de créer un système contre un autre”. Déjà volontaire par le biais du Festival du film de l’Ouest pour faire “briller toute la diversité des films tournés en Bretagne”, il participe au sein de R.A.P.A.C.E. “à fédérer et soutenir les associations de production non professionnelles et tous les acteurs de la filière dite de l’autoproduction”. Un état des lieux est en cours à l’initiative du réseau et devrait donner ses conclusions en 2018. Les premiers chiffres donnent déjà une mesure de la réalité de la situation. Quarante associations de production ont à ce jour été identifiées en Bretagne et cinq cents films réalisés depuis 2007.
Christian Campion
(1) Les aides obtenues se situent la plupart du temps dans une fourchette entre 5 000 et 10 000 euros.
(2) En Nouvelle Aquitaine et en région Centre-Val de Loire, les associations de production sont éligibles au fonds de soutien à la production et à l’aide aux structures (selon des critères différents dans ces deux territoires). En Corse, elles sont éligibles à l’aide à la première oeuvre destinée à promouvoir les nouveaux talents.