Au terme de 18 mois d’incubation, voici – comme prévu – les quatre courts métrages Estran 6 prêts à se montrer. Films en Bretagne, qui a porté le dispositif, les programme pour la toute première fois jeudi 6 octobre à Saint-Quay-Portrieux, dans le cadre de ses 16èmes Rencontres. C’est bien sûr un aboutissement pour les équipes à l’œuvre côté réalisation et production. Ce n’est pour autant pas la fin de l’histoire. Un nouvel acteur vient en effet mettre à son tour la main à la pâte. Sa mission : propulser les courts sur les écrans de France et de Navarre. Ce nouveau venu s’appelle Anthony Trihan. A la tête de la jeune société Next Film Distribution, lui incombe désormais le devenir de trois des quatre courts Estran 6. Présentation.
Estran, c’est un peu une épopée. Un parcours initiatique pour quatre jeunes auteurs et quatre producteurs émergents. Autour de ces huit prétendants, des professionnels mobilisés en nombre, épousant chacun la cause : développer la fiction régionale et aguerrir une nouvelle génération d’auteurs-réalisateurs et de producteurs de fiction courte sur le territoire. C’est une des lois du genre : aboutir aura demandé patience et volonté.
Après plus de dix ans d’existence et 24 films produits, Estran réclamait d’être refondé. Il fallait retrouver l’esprit et la vocation des débuts, remobiliser les partenaires autour d’une version réinventée, explicitement tournée désormais vers la formation des jeunes professionnels. Ceci fait, il fallait encore déployer le temps et les moyens pour accompagner les candidats sélectionnés dans un double processus – création/ formation – ne concernant plus seulement les auteurs mais incluant avec eux les producteurs. Conduire un tel dispositif imposait d’être déterminé, compétent, mais aussi d’avoir l’esprit d’aventure !
Celui qui prend aujourd’hui le relais sur le parcours Estran 6 – au terme du dispositif lancé mi-décembre 2014 – a ces qualités ; celles que revendique l’ensemble de la filière bretonne ! On peut dire en premier lieu, le concernant, qu’il arrive à point nommé, comblant une absence jusqu’alors totale dans le paysage régional : celle du distributeur. On ajoutera que ce « chaînon manquant » fait le pari de se lancer du bout du monde, c’est à dire de Douarnenez, où il s’est installé il y a quatre ans. Audacieux, Anthony Trihan ne se lance cependant pas à l’aveugle, on peut même dire qu’il a du métier : une expérience de la vente internationale, du lien avec les festivals ou encore de l’édition dvd, acquise au sein de la société parisienne La Luna (production et distribution) dont il fut le collaborateur pendant dix ans.
En 2014, installé en Finistère mais travaillant toujours à Paris, Anthony cherche un nouveau projet professionnel à investir. Il passe à l’acte un an plus tard, s’associe avec Patrick Hernandez, producteur chez Bagan Films et fonde sa propre entité : Next Film Distribution. Premier dans sa spécialité à s’implanter sur le territoire, ce Breton d’origine conçoit sa démarche comme un « acte militant » conforté par « son lien particulier avec les festivals et ses connexions fortes avec les professionnels bretons ». Son idée : « porter un regard particulier sur ce qui se produit ici, sans pour autant dédier son activité aux seuls projets émanant du territoire ».
En tant que distributeur, Anthony s’est déjà frotté à Estran, accompagnant – pour la Luna, le film de Mathieu Paquier En boîte, en 2010. « J’ai lu certains projets Estran quand ils étaient proposés aux sociétés extérieures à la Bretagne (avant la session 6, ndlr) », confie-t-il, affirmant en connaisseur : « C’est un programme au niveau assez élevé, produisant des films convaincants. J’avais donc plusieurs raisons de m’y intéresser ».
Parmi ses raisons, Anthony mentionne l’importance évidente pour sa société d’avoir une implantation forte en Bretagne, et donc un lien avec les professionnels et la création sur place.
C’est au moment du Festival européen du film court de Brest, fin 2014, que les choses se précisent. Anthony, reçu en entretien pour le poste de coordination du dispositif Estran, échange avec l’équipe de Films en Bretagne. Céline Durand, directrice, lui confie l’intérêt de la fédération professionnelle pour ses compétences de distributeur et son expérience du secteur du film court. Le contact est pris. Mado Le Fur, nommée coordinatrice, poursuivra les échanges jusqu’à concrétiser la collaboration entre Films en Bretagne, producteur des courts métrages Estran pour les besoins du dispositif et Next Film.
En professionnel qu’il est, Anthony Trihan a une vision claire de la stratégie qu’il va mettre en œuvre pour accompagner les courts. Il va travailler sur trois films : A l’Horizon, de Lauriane Lagarde, accompagné par le producteur Thomas Guentch (Les Films de l’Heure bleue) ; Jusqu’à ce que la mort nous sépare, de Germain Huard, accompagné par Jean-Philippe Lecomte (.Mille et Une. Films) et T’es con Simon, de Claire Barrault avec Marc Bellay (Yeti Productions). Le quatrième, Danse poussin, de Clémence Dirmeikis, sera distribué par sa productrice Amélie Quéret (Respiro Productions) qui a souhaité garder la main sur le projet qu’elle a suivi.
« On va fonctionner en collection lorsque cela sera pertinent. Des festivals peuvent, par exemple, être intéressés à aborder les films ensemble, notamment pour ce qu’ils illustrent d’une politique cinématographique régionale. Chaque film sera néanmoins amené à vivre sa vie propre et poussé de manière indépendante vers les réseaux qui lui correspondent. La notion de collection n’est pas si présente puisque – (dans ce dispositif nouvelle version ndlr) – il n’y a pas de thème commun », rappelle le distributeur.
Son effort portera sur deux voies distinctes : la diffusion en festivals et la vente internationale. Il précise que « souvent la partie festivals est prise en charge par les producteurs en direct. Ici Next film se chargera des deux axes ». Le paysage à embrasser est vaste : « Une centaine de festivals dans le monde, dont une cinquantaine en France ont été sélectionnés de concert avec les producteurs émergents. Nous nous sommes aussi rapprochés d’Unifrance qui fait un gros travail de labellisation des festivals étrangers », poursuit Anthony. « On commence par le Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, le festival et le marché du film court les plus importants au monde. On vise aussi Premiers plans à Angers, les deux avec des dates d’inscription imminentes. »
Les acheteurs potentiels à l’international sont essentiellement des chaînes de télévision. Le premier objectif que s’est fixé Next Film : « Vendre les courts à une chaîne hertzienne d’ici la fin de l’année ». Pas si simple, concède cependant Anthony, « avec un marché compliqué qui s’est nettement restreint ces dernières années. On ciblera aussi les réseaux VOD, en sachant toutefois que les recettes escomptées par ce biais sont encore assez faibles ». Attentif aux opportunités des marchés étrangers, le jeune distributeur n’aura cependant pas à multiplier les voyages au bout du monde dans les deux ans que couvre son mandat – période durant laquelle il détient l’exclusivité des ventes internationales. Il rappelle en effet que « nous sommes, en France, et pour le court métrage, très bien lotis en matière de marchés internationaux. Clermont-Ferrand, Cannes mais aussi Trouville et Aix accueillant chacun à son échelle des marchés de première importance ». Et d’ajouter : « Next Film et les courts Estran seront bien sûr également présents sur les écrans ainsi qu’au marché du festival de Brest ».
Pour étayer le travail de distribution, quelques outils auxiliaires sont fournis directement par les producteurs émergents. C’est le cas des supports destinés à la presse, même si, tempère Anthony Trihan, « il y a très peu de presse concernée par le court métrage ».
Autre mesure déjà prise – et qui n’incombera donc pas à la longue liste des actions à mener par le distributeur ! –, le RADI Bretagne a d’ores et déjà préacheté la collection Estran 6. De quoi permettre une première visibilité des films sur le territoire, avec 25 salles adhérentes au réseau régional piloté par l’Agence du court métrage.
Enfin, opération nécessaire pour aborder les marchés internationaux, les films Estran sont actuellement en cours de sous-titrage. Tout est donc prêt désormais pour permettre au nouveau cru Estran de sortir du sérail.
Dernière pièce maîtresse du dispositif Estran : permettre que les films soient distribués au plus près de ceux qui les ont fait exister. Anthony Trihan est enthousiaste. Il convient que, dans la logique de formation propre à l’opération, et plus largement, lorsque l’on est auteur ou producteur, « il est essentiel de savoir comment les films sont distribués. Certains savaient déjà, j’ai éclairé sur la stratégie, le choix des festivals. Ils m’ont consulté sur le matériel de promotion et j’ai donné mon avis. En tant que distributeur, je suis intervenu très tôt contrairement à ce qui se pratique d’ordinaire autour du court métrage. Là, les films n’étaient pas terminés, j’ai pu donner mon point de vue sur les montages en cours ».
Aussi, c’est comme un partenaire plutôt qu’un prestataire qu’Anthony envisage sa contribution, avec la satisfaction d’agir au profit d’une aventure collective, porteuse de sens et d’opportunités pour le territoire. Et si son implication ne relève pas initialement d’un choix artistique, le distributeur s’avoue finalement « heureusement surpris », estimant que « tous les films sont d’un bon niveau, avec des univers bien particuliers, des qualités notables de direction d’acteurs ou encore de mise en scène ».
D’autres projets connaîtront bientôt les bons soins de la douarneniste Next Film qui, de bureau secondaire, prendra petit à petit son autonomie à l’égard de sa société de tutelle parisienne Bagan Films. Au menu des activités auxquelles Anthony Trihan souhaite se consacrer, ou qu’il a déjà en cours : la vente internationale de courts métrages, la distribution de longs métrages, essentiellement documentaires, en salles – avec, sur ce volet une première sortie attendue en mars 2017 pour un film belge – ou encore l’édition dvd. Souhaitons-lui bon vent, heureux de voir se densifier la filière bretonne et ses acteurs se diversifier !
Charlotte Avignon