En fin d’année dernière, Aline Mortamet a été nommée déléguée régionale de France 3 Bretagne. Elle remplace Bertrand Rault qui a rejoint la direction des antennes régionales de France 3. Rencontre avec la nouvelle responsable éditoriale qui a fait l’essentiel de sa carrière à France 3.
– Quelles ont été les principales étapes de votre parcours au sein de cette chaîne ?
Aline Mortamet : Je suis arrivée à France 3 Bretagne en novembre 1994 pour collaborer à l’émission de Roger Gicquel ‘En flânant’. En sortant du Centre de Formation des Journalistes de Paris, j’avais pratiqué pendant un an un journalisme d’actualité ultra-rapide à TV 10 Angers. Intégrer l’équipe magazine de l’antenne correspondait davantage à mon rythme, à mon envie d’approfondir les sujets et à mon goût pour les rencontres. Pendant trois ans, j’ai réalisé des magazines qui étaient insérés dans les différentes émissions pour lesquelles j’ai travaillé, comme Gens d’Ouest. Puis j’ai rejoint la rédaction du 12/14 Ouest, dès la création, en septembre 1997, de cette tranche quotidienne d’information. J’y suis restée six ans. Au cours de cette période, j’ai pris un congé sans solde de huit mois pour tenter l’aventure documentaire qui m’attirait depuis longtemps. Je me suis installée à Paris avec trois projets de films dont l’un, consacré à l’écrivain Claude Lucas, avait déjà trouvé un producteur et un diffuseur. Mais le personnage principal qui m’avait dans un premier temps donné son accord m’a finalement fait savoir qu’il n’adhérait plus au projet. J’ai donc écrit et réalisé un autre de mes projets qui, lui, a vu le jour : Les ouvriers du ring. C’est un film sur la boxe dans les milieux populaires de Saint-Nazaire.
– Cette expérience vous a-t-elle donné envie de réaliser d’autres documentaires ?
Il y a eu une autre expérience en 2000 d’un documentaire ovni réalisé avec trois autres personnes, une sorte de film à sketches où chacun de nous avait filmé son réveillon. Ça s’appelle Joyeux Noël. Mais je me suis vite rendu compte que réaliser des films impliquait un choix de vie qui ne me convenait pas. Cela entraîne trop d’insécurité sur le plan professionnel. J’avais connu la déception d’avoir écrit longuement ce projet sur Claude Lucas qui est resté lettre morte. J’ai donc réintégré France 3 et en septembre 2009, je suis devenue rédactrice en chef de l’émission Littoral.
– Comment avez-vous fait évoluer ce “magazine des gens de la mer’’ ?
Littoral étant un des programmes emblématiques des antennes du réseau de France 3, au début, je me suis “coulée’’ dans ce qui existait. Puis, au fil de l’eau, j’ai osé imaginer une émission qui me ressemble davantage. J’ai encouragé les réalisateurs à proposer des écritures plus personnelles, à pousser la recherche formelle. J’ai élargi le cercle des collaborateurs, varié le choix des sujets bien au delà des domaines de la voile et de la pêche, lancé des mini-séries qui, pour certaines, sont de vraies curiosités audiovisuelles. J’en suis contente. Cette évolution a porté ses fruits puisque Littoral a obtenu 8 prix dont deux – en 2014 et 2015 – au Circom qui récompense, au niveau européen, les meilleurs programmes régionaux.
– Vous êtes désormais en charge de la politique documentaire de France 3 Bretagne. Est-ce que vous conserverez cette même approche, cette exigence sur la forme ?
Sur le principe, oui ! J’ai envie de soutenir des écritures singulières. Ce qui m’intéresse, ce sont les films habités, investis par leur auteur, incarnés. Je veux pouvoir partager le désir du réalisateur et il faut qu’il puisse me le transmettre. J’y suis plus sensible qu’au sujet lui-même. J’ai besoin de savoir pourquoi il a envie de raconter cette histoire, en quoi elle le concerne. Ce qui n’empêchera pas des films historiques, par exemple, car il n’est pas question de n’écrire qu’à la première personne. Mais, selon moi, c’est le regard subjectif porté sur tel ou tel sujet qui le rend intéressant.
– Comment se font les choix en interne ? Vous serez seule à décider des films que vous coproduirez ?
À ma connaissance, il n’y a pas de ligne éditoriale préétablie. Bien sûr, globalement, France 3 produit plutôt du documentaire “sociétal’’. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand chose. La marge de manœuvre des antennes régionales est importante. Chaque délégué régional reçoit des projets, nous nous réunissons tous les deux mois pour en discuter. Mais il ne s’agit pas d’un politburo, les échanges sont collégiaux et chacun choisit ce qu’il a envie de diffuser sur son antenne.
– Ce que vous ne choisissez pas en revanche, ce sont les horaires de diffusion. Depuis le début 2016, le documentaire est à nouveau programmé tard en soirée sur les antennes régionales.
Regrouper tous les programmes régionaux le samedi après-midi, comme c’était le cas auparavant, ne m’est jamais apparu très pertinent. La réorganisation de la grille permet de mieux les repartir et d’associer de façon plus cohérente le régional et le national. Le lundi soir est donc consacré aux documentaires. La soirée débute avec un film diffusé sur l’antenne nationale, suivi d’un documentaire dans chaque antenne régionale, qui est censé bénéficier des spectateurs de la première partie de soirée.
– Sauf qu’il y a le Soir 3 entre les deux et que le documentaire “régional’’ est diffusé après 23 h 30…
Oui, c’est indéniablement trop tard et d’ailleurs les premières audiences ne sont pas bonnes. Mais des chantiers sont ouverts sur la durée et la place des journaux. Il est trop tôt pour savoir sur quoi cela va déboucher mais si les documentaires pouvaient – ce que je souhaite – être diffusés à partir de 22 h 30, ce serait un bon créneau. Bien meilleur en tout cas que celui du samedi après-midi.
– Que pensez-vous de la suppression de la Case de l’Oncle qui offrait une visibilité nationale à des documentaires produits en régions ?
La Case de L’Oncle Doc n’est pas supprimée. Elle change de nom et de place dans la grille des programmes. Elle s’appellera L’heure D – D comme documentaire – et sera diffusée pendant l’été, période où les documentaires disparaissent des antennes régionales. Dix-huit films émanant des régions seront programmés dans cette nouvelle case au lieu des quarante actuels, mais l’enveloppe budgétaire restant constante, ils seront deux fois mieux financés.
– Vous prenez vos fonctions au moment où démarre le deuxième Contrat d’objectifs et de moyens auquel France 3 est associée pour la première fois. Comment envisagez-vous la collaboration avec les autres médias ?
Ce COM 2 est une initiative passionnante qui intéresse fortement France Télévisions. Nous sommes observés par d’autres régions qui envient cette expérience unique en France. Cela va permettre de mettre à l’antenne davantage de documentaires, des magazines culturel et de société sans oublier les émissions en langue bretonne. En plus des films que nous coproduisons chaque année, France 3 Bretagne, dans le cadre du COM, participera au financement de 10 films supplémentaires, dont certains en breton. C’est la première fois depuis vingt ans qu’il y a une augmentation du volume des programmes sur l’antenne de France 3 Bretagne. Pour moi, c’est un virage. Je me réjouis de prendre mes fonctions dans ce contexte. Les premières réunions avec nos partenaires du COM, à savoir les chaînes locales TVR, TébéO et TébéSud, Breizhoweb et Breizh Créative, ont été très intéressantes. On ne se situe pas en concurrence mais en complémentarité. Par exemple, nous n’avons eu aucune difficulté à nous mettre d’accord sur les projets documentaires que nous avions envie de soutenir. Il ne s’agit pas d’un consensus mou mais plutôt d’un plébiscite pour la démarche d’auteur. C’est enthousiasmant de constater qu’on bâtit ensemble et avec exigence le patrimoine audiovisuel de demain.
– Ce COM comprend aussi un magazine culturel piloté par France 3 Bretagne et Breizh Créative.
Oui, et je voudrais d’abord préciser dans quel cadre se situe ce projet. Il sera produit en externe. Les sociétés de production qui souhaitent s’investir dans ce nouveau programme ont jusqu’au 29 janvier pour faire une proposition. Après quoi, nous effectuerons un premier choix. France 3 Bretagne apportera du cash et de l’industrie. Le budget global est, cette année, de 113 000 euros hors taxe pour fabriquer neuf numéros dont un pilote et un best of. Aux producteurs qui s’inquiéteraient d’avoir deux interlocuteurs dont les avis pourraient diverger, je précise qu’une fois le projet retenu collégialement, je dialoguerai sur chaque numéro avec Serge Steyer, le responsable éditorial du webmédia et qu’ils n’auront qu’un seul interlocuteur. J’ai le sentiment que nous avons le même désir pour un magazine moderne, innovant et inattendu qui rende compte du foisonnement culturel breton.
Propos recueillis par Yannick Calle