Les voyages forment la jeunesse : voilà bien une expression que l’itinéraire des producteurs Laurence Ansquer et Fred Prémel ne viendra pas démentir. De retour en Bretagne après un long périple marseillais, ils viennent d’acter la naissance de leur nouvelle société de production, Tita B. Du nouveau à l’Ouest ? Peut-être pas tout à fait. Mais c’est une longue histoire…
Saison 1. Rennes – Marseille
Fred Prémel naît à Saint-Brieuc et étudie à Rennes 2 où il obtient une licence d’Arts du spectacle en cinéma. Il part à Marseille au début des années 2000, pour prendre le large. Là-bas, il travaille sur les tournages en tant que régisseur, administrateur ou directeur de production. Pour lui, ça ne pouvait durer qu’un temps : « Au bout d’un certain nombre d’années à travailler sur les tournages, j’étais frustré de n’intervenir que sur cette période particulière de la fabrication d’un film. Je voulais participer à l’écriture du scénario, au choix des comédiens, à la recherche des financements jusqu’à la postproduction et à la diffusion. La seule façon de résoudre ce conflit, c’était de devenir producteur. » Le hasard est dit heureux parfois : si c’est à lui que Fred doit sa rencontre avec Christophe Bouffil, alors l’adage se vérifie. C’est le début d’une aventure que ce dernier a initié seul, et qu’il propose à Fred de continuer le temps d’un voyage qu’il doit effectuer en Amérique latine : Tita productions. Fred prend les rênes de la jeune société autrement promise à un long sommeil, plutôt que de créer sa propre structure comme il en avait l’idée.
Pendant ce temps, Laurence Ansquer poursuit sa vie dans le Finistère sans se soucier ni de Marseille ni de Fred : ils ne se connaissent pas encore. Elle est animatrice socio-culturelle, alterne et hésite entre ces deux termes sans vraiment trouver sa place, et travaille deux ans au Festival de cinéma de Douarnenez.
C’est en Bretagne que Fred et Laurence se rencontrent ; elle le rejoint à Marseille : « Je suis devenue productrice grâce à Fred qui m‘a convaincue de le rejoindre pour produire du documentaire », raconte Laurence. « Nous n’avions pas prévu de rester aussi longtemps, mais il y a eu la boîte, des films, des rencontres… » Les 3 Tita ne font pas de la production avec les mêmes motivations et c’est ce qui constitue la ligne éditoriale riche et diffractée de la structure. Courts et longs métrages, fictions et documentaires, premières œuvres et suivantes, productions et coproductions, françaises et internationales : les 3 associés se partagent le travail en fonction de leurs affinités. Christophe Bouffil est passionné par l’Amérique latine, le catalogue en atteste. Il a son réseau là-bas et cet ancrage passe d’abord par lui (voir ici la bande-annonce de Palma Real Motel, le second long métrage du cinéaste franco-mexicain Aaron Fernandez).
Laurence s’occupe des documentaires. Elle aime la dimension humaine et créatrice de cette profession, c’est l’accompagnement des réalisateurs qui l’intéresse surtout, « même si évidemment, je fais aussi tout le reste », modère-t-elle. Fred, c’est dans la production qu’il se sait utile, française ou internationale. Ce qui lui plaît, c’est ce défi renouvelé à chaque film : « Je fais ce métier pour fabriquer, mettre en commun des énergies, en réseau les gens, assembler ce grand puzzle technique, humain et financier qui donnera un film. L’objectif, c’est le film, et cela suffit pour me porter. » Ça marche. Pourtant, 7 ans, un beau catalogue, quelques récompenses et presque deux enfants plus tard, le couple commence à ressentir le mal du pays et décide de quitter le Sud pour ce littoral qui leur est resté si cher.
Saison 2. Marseille – Douarnenez
Fred raconte : « On est partis pour nous, on avait envie de revenir vivre en Bretagne. Ça n’avait aucun rapport avec le boulot, on prenait même le risque de se tirer une balle dans le pied en quittant Marseille ! On avait notre réseau, qu’on a dû entretenir. Je ne pense pas qu’on aurait fait le même parcours si on avait monté une société de production ici directement. » Laurence ajoute : « Nous avons toujours conservé des relations avec les producteurs bretons, comme Gilles Padovani, Jean-François Le Corre ou Olivier Bourbeillon. On a grandi avec eux et ils restent notre référence. J’ai coproduit mon premier documentaire avec Vivement lundi !, un film réalisé par Richard Hamon sur les chantiers navals de la Ciotat (1). C’était formidable de travailler avec Jean-François parce qu’il m’a énormément appris. Je ne savais pas comment tout ça marchait. Encore aujourd’hui, quand on a une question, c’est à eux qu’on la pose. »
En 2011, c’est donc à Douarnenez que le couple pose ses valises, et cela ne doit rien au hasard. À quelques maisons de chez eux (exactement trois) vit Gérard Alle, le réalisateur du blockbuster breton, Mon lapin bleu, et de Hénaff, ou le mystère de la petite boîte bleue, deux documentaires que Laurence a produits. « Gérard, comme Caroline Troin, c’est la famille, on les connaît depuis toujours. Sans eux, on ne serait peut-être pas à Douarnenez ! », s’exclame Laurence. Ils collaborent à nouveau avec lui pour l’écriture d’une collection de cinq courts-métrages intitulée Braquages (lire ici).
Choisir de vivre à Douarnenez quand on est producteur de cinéma, c’est adopter le comportement d’un électron libre, être sans cesse en mouvement. « Nous sommes rentrés il y a 4 ans, et nous avons passé notre temps en déplacement ! C’est le lot des producteurs, il faut bouger, mais il est vrai que le fait d’être à Douarnenez accentue encore ce fonctionnement », dit Fred. Revenir en Bretagne, on l’aura compris, ça ne veut pas dire abandonner Tita. Fred ajoute : « Notre intention n’était pas de quitter Tita en quittant Marseille. Elle est identifiée auprès de nombreux partenaires comme ancrée en région PACA et il n’était pas question de casser ça. D’autant que ce sont les gens qui portent les structures, on nous connaît. Je crois qu’ici, on se fichait un peu que nous soyons établis à Marseille, même si on entendait parfois dire qu’il serait opportun d’avoir une structure en Bretagne. »
Et Laurence de renchérir : « J’ai produit les deux documentaires de Gérard Alle coup sur coup en arrivant, et c’est vrai qu’on avait déjà plein de projets bretons. Néanmoins, on ne s’est jamais dit que nous rentrions pour produire des films bretons, comme nous n’étions pas à Marseille pour produire des films marseillais ! »
Pour produire en région, il faut bouger, on l’a dit, et faire oublier d’où l’on vient, surtout si c’est de loin. Fred précise : « La décentralisation n’existe pas. Le fait de vivre à Paris, je le sais d’expérience, crée un isolement presque total. C’est là que 95% de la profession se trouve, là qu’on diffuse et l’on oublie presque que l’on appartient à un grand pays et que des singularités existent ailleurs. L’ensemble du secteur y est réuni ce qui nourrit de forts préjugés vis-à-vis de l’extérieur. En région, on part donc avec un petit handicap, on vous soupçonne d’être moins bons parce que vous n’êtes pas « là ». Il faut faire en sorte que les gens l’oublient, participer à toutes les réunions, accepter les rendez-vous du soir pour le lendemain, se montrer. C’est ce que j’ai fait pendant plus d’un an pour trouver les financements de Toril, le premier long métrage de Laurent Teyssier. J’étais sûr de la qualité du scénario et de la solidité du projet, mais également conscient que nous risquions d’échouer parce que nous étions en région. J’ai mis toutes les chances de notre côté, c’était éprouvant, mais ça a fonctionné ! » Et Laurence d’ajouter : « J’ai l’impression que le fait d’être à Marseille et à Douarnenez a un peu brouillé les pistes. Aujourd’hui, on nous identifie comme les Tita, sans trop se poser la question de savoir où l’on est. Notre parcours nous sert aussi. D’autant que cette année, nous avons quatre longs métrages en production ou en coproduction (2) ».
Saison 3. Tita B
C’est en juin dernier que les Tita se décident à passer le pas et à créer une deuxième structure, le prolongement de la première : Tita B. « Depuis un peu plus d’un an, il devenait clair qu’il fallait qu’on crée notre structure en Bretagne, pour des raisons de cohérence et d’implication sur le territoire. Quand on est à l’initiative des choses, qui plus est quand on vit loin des centres de décision, on devient de fait responsables de l’animation qu’on développe. Que toute cette énergie soit financièrement et juridiquement portée par une structure marseillaise, ça devenait absurde et on ne s’y retrouvait pas », souligne Fred. Laurence et Fred créent donc Tita B, dans laquelle Tita Productions a des parts. « C’est nous qui avons la main », précise Fred, « mais nous avons aussi un gentlemen’s agreement avec Christophe et Tita Productions. Tita B pourra d’ailleurs coproduire avec sa grande sœur. » C’est déjà le cas, avec le deuxième long métrage de Natalia Almada (3) coproduit par Tita Productions et les Films d’ici, comme l’explique Laurence : « Tita B va entrer en coproduction pour nous permettre de déposer au Groupe Ouest, notamment dans le but d’obtenir le Breizh Film Fund, soutien que nous avons déjà eu pour le long métrage de Pablo Agüero, Eva no duerme. »
Ce nouvel ancrage leur permet aujourd’hui d’avoir un siège social en Bretagne et de pouvoir prétendre aux aides régionales au développement ; il leur permet aussi de mieux se positionner par rapport à l’ensemble de la filière et d’apparaître comme les acteurs impliqués qu’ils sont. Fred précise l’importance que revêt pour eux le fait de « pouvoir être membres de Films en Bretagne, au sein du collège producteurs. Faire partie de ce collectif dont nous bénéficions, et donner en retour ». Fred et Laurence insistent sur la force du collectif en Bretagne qui ne laisse pas de les étonner : « La Bretagne a une singularité dans cette capacité à faire les choses ensemble », dit Fred. « Je crois que c’est une manière de faire ancrée dans les mentalités, une conviction, surtout dans ce métier où l’on est assez seul. Le collectif permet à chacun de s’épanouir, il rejaillit sur l’individu. » Laurence approuve : « Il se passe un truc ici que je trouve assez impressionnant. Quelque chose que j’enviais quand nous étions encore dans le Sud. »
Saison 4. En développement
Maintenant que Tita B existe bel et bien, il faut, selon Fred, penser à construire l’avenir. « Je pense qu’il y aurait à Douarnenez le potentiel humain et professionnel pour constituer un pôle audiovisuel. Il se passe quelque chose ici qui est hors du commun, tout le monde peut en convenir, et il y aurait de la place pour créer une représentativité un peu organisée. Il y a tant de personnes qui vivent à l’année dans cette petite ville et qui exercent des métiers du cinéma et de l’audiovisuel ! Je pense d’ailleurs que les gens s’installent ou restent à Douarnenez par choix, car il n’y a pas d’opportunité économique. Ça crée un tissu très chouette. Il y a même un collectif douarneniste qui réunit les gens de l’audiovisuel. » Pour Laurence, « l’énergie des gens à faire et la fête et à mener des projets ensemble a toujours existé à Douarnenez ». Elle estime que ce collectif est un bon moyen de se connaître tous, de développer des projets et d’essayer de résoudre les problèmes qu’ils ont en commun : « Nous partageons tous cette question de l’éloignement, du manque de matériel technique disponible, la question compliquée de l’appartenance aussi. Il y a des choses à faire. » Question production, Laurence travaille actuellement au deuxième film de la réalisatrice mexicaine Natalia Almada : « Les coproductions internationales avec l’Amérique latine ont ceci de passionnant que les réalisateurs qui viennent nous chercher sont souvent leur propre producteur. Quand nous nous rencontrons, les projets sont bien engagés et ce qu’ils veulent, c’est quelqu’un avec qui discuter, du texte notamment. Cela crée des relations très privilégiées. »
L’ancrage des Tita sur le sol breton est entériné et ne s’interrompt pas au seuil de leur localisation. Leur implication concerne aussi la langue régionale : « L’identité, d’où l’on vient, c’est quelque chose qui nous titille, même si nous ne sommes pas des militants. Nos enfants sont en classe bilingue, mes parents étaient bretonnants », confie Laurence. C’est ainsi qu’elle a créé le Labo Filmou Douarnenez pour accueillir en résidence de jeunes réalisateurs rencontrés lors d’un « Pitch dating brezhonek » (lire ici) organisés par Daoulagad Breizh : « J’ai choisi 5 projets de futurs réalisateurs qui m’ont interpelée parce qu’ils avaient en commun d’être des films avec des problématiques de garçons portés par des garçons ! Ça m’a plu ces histoires de mecs et je les ai accompagnés pendant un an avec le soutien de Gérard Alle et de Daoulagad Breizh. Nous venons de faire des lectures de scénarios pendant le festival de Douarnenez. La production des films sera portée par Tita B. »
Fred n’est pas en reste qui a produit l’an passé, pour Tita productions, le court-métrage d’Avel Corre, L’Inconnu qui me dévore (An Dianav a rog Ac’hanon), une fiction en langue bretonne récompensée par le Priziou de la Meilleure Œuvre en langue bretonne 2014.
« Pour en revenir à Douarnenez, nous avons produit, en plus des films de Gérard Alle, ceux de Mathurin Peschet, de Kenan An Hasbak et d’Avel Corre : quatre réalisateurs qui vivent ici ! Et il n’y a pas qu’eux ! On se plaint encore qu’il n’y ait pas d’auteurs en Bretagne et qu’il faille aller les chercher à Paris ou ailleurs ? Non seulement il y en a plein, mais ils sont là, tout près ! » Au-delà de l’ancrage personnel et professionnel, Douarnenez semble être l’objet d’un véritable ravissement pour ces enfants prodigues de retour au pays. De quoi parlions-nous déjà, de Douarnenez ou de cinéma ?
Gaelle B. Lerays
[1] La Ciotat, un bateau dans la tête, de Richard Hamon, 2010, 52’
[2] Fictions : Eva no duerme, de Pablo Aguero et Toril, de Laurent Teyssier. Documentaires : Todo le demas (titre provisoire), de Natalia Almada et Un village de Calabre, de Shu Aiello et Catherine Catella.
[3] Après El Velador, film documentaire présenté à la quinzaine des réalisateurs en 2011, Todo lo demas. Avec ce deuxième projet, Natalia Almada a participé à la Cinéfondation à Cannes l’an passé, et Antoine Le Bos en a suivi l’écriture.
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